Cissy Houston (1933-2024)
08.10.2024
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Hommages aux artistes et personnalités disparus récemment.
Avec son incontournable turban – porté pour des raisons esthétiques et non spirituelles – et sa grande barbe, Lonnie Smith a été pendant plus de cinquante ans une des figures les plus iconiques de la scène jazz, incarnant, avec quelques-uns de ses collègues, son instrument de prédilection, l’orgue Hammond. Né à Lackawanna, dans l’État de New York, il baigne dans la musique dès son plus jeune âge et fonde son premier groupe vocal, les Smith Brothers, alors qu’il est tout juste adolescent. Ce premier ensemble est suivi d’autres dans le même registre : les Teen Kings (avec Grover Washington Jr. au saxophone) et des Supremes qui n’ont rien à voir avec le futur groupe Motown. S’il s’est ponctuellement essayé à la trompette, c’est la rencontre avec l’orgue Hammond, par la grâce d’un patron de magasin d’instruments inspiré, qui détermine son destin musical. Sous l’inspiration de Jimmy Smith, et particulièrement de son album “Midnight Special”, il explore l’instrument en autodidacte, et commence quelques mois plus tard à peine à se produire avec différents groupes locaux.
C’est dans ce cadre qu’il croise la route de George Benson, qui se produit alors avec Jack McDuff. Les deux musiciens sympathisent immédiatement et, à partir de la fin 1965, commencent à jouer en public ensemble et accompagnent sur disque le saxophoniste Red Holloway sur l’album “Red Soul”. Découverts par John Hammond, tous deux enregistrent un album pour Columbia l’année suivante : “It’s Uptown” pour le quartet de Benson et “Finger Lickin’ Good” pour Smith, qui accueille, outre Benson, des pointures comme Melvin Sparks, King Curtis et Blue Mitchell, suivi quelques mois plus tard par un nouvel album du George Benson Quartet, “The George Benson Cookbook”. Si ces différents disques ont permis aux deux musiciens de se faire remarquer du public jazz, leur notoriété explose avec le succès du Alligator boogaloo de Lou Donaldson, sur lequel ils jouent tous les deux. Alors que Benson poursuit sa carrière sur Verve, A&M puis CTI, c’est sur Blue Note – le label de référence en matière d’orgue jazz – que Smith enregistre quatre albums fondateurs entre 1968 et 1970.
Son approche passe cependant de mode au début des années 1970, et ses albums suivants, après un disque pour Kudu, paraissent sur les labels spécialisés du producteur Sonny Lester pendant la décennie 1970 puis sur différents labels indépendants (dont Black & Blue) dans les années 1980, tandis que Smith maintient une activité d’accompagnateur de luxe, aux côtés notamment de Lou Donaldson et de George Benson. La mode de l’acid jazz vient relancer sa carrière à partir des années 1990 et ses classiques Blue Note sont régulièrement compilés et samplés : ainsi, sa version de Spinning wheel constitue la base du Can I kick it? de A Tribe Called Quest. Ce revival inattendu lui permet de retrouver très régulièrement le chemin des studios pour différents petits labels, y compris en trio avec le guitariste John Abercrombie, et Blue Note exhume même en 1995 un enregistrement en public de 1970 resté inédit (“Live At Club Mozambique”), tandis que Smith enchaîne les apparitions de prestige, comme par exemple aux côtés de Johnny Adams pour l’album “One Foot In The Blues”.
Sous son nom ou avec Lou Donaldson, il se produit régulièrement dans les clubs et les festivals, y compris en France où il apparaît plusieurs fois au New Morning (Soul Bag l’y entend en 2016). Loin de se contenter de faire fructifier ses classiques comme le font nombre de ses collègues, il ne cesse d’enrichir son répertoire, et il y a une certaine ironie à constater que c’est sur Blue Note que sont parus ses trois derniers albums – dont “Breathe” qui date de 2021. Dernier héraut historique ou presque d’une certaine forme de soul jazz, il a inspiré plusieurs générations d’organistes, et laissé sa trace sur une bonne partie des musiciens qui s’expriment aujourd’hui dans le genre, de Raphael Wressnig à Delvon Lamarr. Il ne doit pas être confondu, évidemment, avec son homonyme et contemporain Lonnie Liston Smith.
Photo © Jimmy Katz
« Melvin’s quiet but he likes to shake ’em on down », déclare à son propos Bill Withers sur son album live gravé au Carnegie Hall. Jamais vraiment identifié par le grand public, faute de vraie carrière personnelle – quelques disques autoproduits à partir de la fin des années 1990 –, le bassiste Melvin Dunlap a pourtant contribué à quelques disques majeurs de la soul et du funk des années 1960 et 1970. Originaire de Cleveland, c’est avec les O’Jays qu’il fait ses débuts professionnels, les accompagnant sur scène et sur disque (Lipstick traces). Installé en Californie, il rejoint le Watts 103rd Street Rhythm Band de Charles Wright, dont il forme la section rythmique avec le batteur James Gadson, et participe aux cinq albums studio publiés par Warner entre 1967 et 1971 (ainsi qu’au live “Live At The Haunted House: May 18, 1968”, publié dans les années 2000) et aux différents classiques du groupe, parmi lesquels Express yourself. Il contribue également ponctuellement, comme ses camarades de groupe, aux enregistrements publiés sous le nom de Dyke & The Blazers.
S’il continue ensuite à travailler ponctuellement avec Charles Wright (par exemple sur l’album de 1973 “Doing What Comes Naturally”), c’est avec Bill Withers qu’il noue son partenariat artistique suivant. Avec James Gadson, ils rejoignent le groupe de Withers pour l’album “Still Bill” et pour les concerts qui suivent, dont sont tirés le légendaire “Live At Carnegie Hall”. Il participe également à “+’Justments” et “Naked & Warm” et est crédité comme producteur, avec les autres membres du groupe, sur plusieurs singles de l’époque comme Harlem, Who is he (And what is he to you?), Kissing my love et Lean on me, tandis que sa base est un ingrédient majeur du son de Withers sur un titre comme Use me. Toujours avec James Gadson, il apparaît aussi en 1973 sur l’album “Body Heat” de Quincy Jones. Plus discret à partir du milieu des années 1970, il retrouve Gadson et d’autres pointures des années 1970 en 2006 pour une chanson de l’album de Justin Timberlake “Futuresex/Lovesounds”.
Très tôt passionné de jazz et lui-même pianiste – il a même gravé quelques albums sous son nom et accompagné ponctuellement musiciens comme Sidney Bechet ou Pee Wee Russel –, c’est surtout en tant que promoteur et organisateur qu’il a marqué l’histoire des musiques afro-américaines. Dès les années 1940, il lance son propre label et son club à Boston, tous deux baptisés Storyville, et enseigne l’histoire du jazz à l’université. Dans les années 1950, il lance, à l’initiative de Louis and Elaine Lorillard, le Newport Jazz Festival, premier évènement en plein air du genre aux États-Unis, suivi quelques années plus tard du Newport Folk Festival. De la prestation légendaire de Muddy Waters au festival jazz en 1960 à la redécouverte de Mississippi John Hurt au festival folk en 1963, l’évènement a joué un rôle majeur dans le blues boom des années 1960, et plusieurs albums importants y ont été enregistrés, notamment pour Vanguard. Au fil des années, Wein a contribué à la création ou au développement de nombreux festivals de grande taille, parmi lesquels le New Orleans Jazz & Heritage Festival, le Playboy Jazz Festival de Los Angeles, les différentes déclinaisons (y compris parisienne) du JVC Jazz Festival et la Grande Parade du Jazz à Nice.
Originaire de Louisiane, Gary Edwards s’immerge dans la scène musicale locale dès son adolescence en jouant de la guitare dans différents groupes avant de gérer un club à Hammond. Installé à La Nouvelle-Orléans, il travaille dans un magasin d’instruments, dont il devient propriétaire. Spécialisé dans la sonorisation, il prend en charge quatre scènes au premier New Orleans Jazz and Heritage Festival, en 1970. Il y rencontre Sherman Washington, leader des Zion Harmonizers, et monte alors son propre label, Sound of New Orleans, pour enregistrer le groupe. Tout en développant son entreprise de sonorisation, qui devient l’une des plus importante du Sud, il crée un magasin de disques et continue à faire vivre son label, enregistrant notamment des pionniers comme Irma Thomas et Tommy Ridgley, jusqu’à ce qu’un incendie, à la fin des années 1980, l’oblige à interrompre ses activités. Il relance le label au début des années 1990, documentant dans toutes ses dimensions la scène locale, du gospel des Zion Harmonizers et des Heavenly Stars au zydeco de Rockin’ Dopsie Jr. et Dwayne Dopsie And The Zydeco Hellraisers en passant par le R&B de Carol Fran et Tommy Ridgley, la swamp pop de G. G. Shinn, le blues de Selwyn Cooper ou le son des brass bands comme le Treme Brass Band ou les High Steppers Brass Band. Katrina met à nouveau un terme à l’aventure, mais Edwards relance ensuite le label et continue à faire tourner régulièrement ses artistes en Europe, et en particulier à l’Umbria Jazz Festival. En 2005, dans la foulée de Katrina, Frémeaux a consacré un double CD au catalogue Sound of New Orleans, qui n’a hélas jamais été distribué correctement en France.
Si sa carrière personnelle n’a connu qu’un succès relatif, malgré quelques singles remarqués et le soutien de Clive Davis à son unique album, “The Best of Me”, paru en 1998, c’est surtout en tant qu’autrice, bien souvent avec Ivan Matias, et plus ponctuellement en tant que productrice que Andrea Martin s’est fait connaître, avec en particulier des titres pour Monica, SWV, Toni Braxton, En Vogue (le tube Don’t let go (Love)), Angie Stone, Al Jarreau, Leela James, Anthony Hamilton, Fantasia et Jennifer Hudson.
Originaire de Chicago, James Dukes est encore au lycée de monter avec son frère Dwight un groupe vocal baptisé Heaven and Earth dont il assure la voix de basse. Repéré par l’ancien Chi-Lite Clarence Johnson le quartet signe avec son label GEC, où l’ensemble publie un premier album, “I Can’t Seem To Forget You” produit par Johnson avec des arrangements signés Tom Tom 84. Toujours sous l’égide de Johnson, le groupe change de chanteur principal et signe avec Mercury pour deux albums, puis, au début des années 1980, avec WMOT Records. I really love you, un extrait très marqué par le disco de l’album “That’s Love” paru en 1981, est le plus grand succès du groupe, mais marque également la fin de son existence, sa popularité n’ayant jamais vraiment dépassé les frontières de sa ville d’origine. James Dukes ne semble pas avoir poursuivi plus avant son activité musicale.
Né en Caroline du Sud, Sam Reed grandit à Philadelphie. Dès l’adolescence, il se produit sur la scène jazz très dynamique de la ville aux côtés d’amis comme Albert “Tootie” Heath, Ted Curson, Bobby Timmons, Jimmy Garrison ou Henry Grimes et accompagne des vedettes de passages, comme Billie Holiday. En 1957, il rejoint l’orchestre de l’Uptown, l’équivalent local de l’Appolo, dont il devient le leader en 1963. Dans ce cadre, il accompagne les principaux artistes du moment, de Jackie Wilson au stars Motown. Il développe en parallèle une carrière de musicien de studio, apparaissant notamment sur Get a job, le tube de 1958 des Silhouettes. Il devient un collaborateur régulier de Gamble & Huff, souvent en charge des arrangements de cuivre, et participe à différentes séances aux studios Sigma pour Philadelphia International Records (les O’Jays, Billy Paul, Harold Melvin & the Blue Notes, Lou Rawls, Archie Bell & the Drells…) et pour des artistes venus profiter de la magie locale comme Wilson Pickett et Dusty Springfield. Dans les années 1970, il rejoint le groupe de Teddy Pendergrass, dont il devient le directeur musical (l’album “Live! Coast To Coast”). C’est sur la scène jazz locale qu’il poursuit ensuite son parcours, se produisant régulièrement en club et participant au Saxophone Choir d’Odean Pope.
Sans jamais avoir chanté, joué d’un instrument, écrit ou produit, Joe Schaffner a été, pendant plus de cinquante ans, un acteur majeur de la scène musicale de sa ville de naissance, Détroit, et au-delà. Chauffeur, road manager, comptable, puis plus tard éclairagiste, il a accompagné les artistes sur la route tout au long de sa carrière, en commençant par son voisin Barrett Strong, quand celui-ci décroche son premier tube avec Money (That’s what I want). Devenu un rouage important de l’organisation Motown, il accompagne sur la route les Four Tops, les Temptations, les Supremes et Marvin Gaye, et épouse même une des Marvelettes, Katherine Anderson. À partir des années 1970, il se spécialise dans l’éclairage de concerts pour les Temptations, les O’Jays, et même, à partir de son installation à Las Vegas, pour Elvis et Liberace, tout en continuant occasionnellement à accompagner des groupes, comme New Edition, sur la route. Revenu à Détroit, il prend ensuite un peu de recul, mais retrouve l’industrie musicale quand Aretha Franklin, avec qui il avait travaillé à ses tous débuts, lui demande d’être son assistant pour ce qui sera sa dernière tournée, en 2016…
Essentiellement connu pour son rôle au sein du Derek Trucks Band dans les années 2000, le percussionniste Count M’Butu (Harold L. Jones de son vrai nom) est déjà un musicien expérimenté quand il est remarqué par le légendaire rocker sudiste Col. Bruce Hampton, qui l’intègre à son Aquarium Rescue Unit au début des années 1990 et jusqu’à sa séparation au milieu de la décennie. Peu après avoir publié en 2000 son premier album, “See The Sun”, il rejoint le groupe de Derek Trucks, avec qui il tourne et enregistre tout au long de la décennie, de “Joyful Noise” à “Roadsongs”. Il n’accompagne cependant pas son leader dans l’aventure du Tedeschi Trucks Band et reste discret ensuite. Outre ces deux groupes, il a également enregistré avec Tinsey Ellis, Johnny Jenkins et Johnny Neel.
Le nom d’Eddie Thomas est indissociable de celui de Curtis Mayfield, dont il a longtemps été l’indispensable partenaire côté business, au point que le nom de leur principal projet commun, le label Curtom, soit une contraction de leurs deux noms. L’histoire commence un soir de 1957, quand Thomas assiste à un concours de talents à la Washburne Trade School de Chicago. Séduit par ce qu’il entend, il décide d’assurer le management de deux groupes : les Medallionaires and les Roosters. Si les premiers se contenteront d’un single pour Mercury en 1958, les seconds sont destinés à un grand avenir, une fois qu’ils adoptent le nom que leur propose leur nouveau manager : les Impressions. Sous sa direction, le groupe connaît un énorme succès dès son premier disque, For your precious love. Malgré le départ de son premier chanteur principal, Jerry Butler, le groupe, désormais mené par Curtis Mayfield, enchaîne les tubes tout au long des années 1960.
Tout en assurant leur management, Thomas fonde au milieu des années 1960 un premier label qui porte son nom. Tout d’abord associé à Satellite, une maison de disque de Chicago (qui n’a rien à voir avec son homonyme de Memphis), le label prend ensuite son indépendance et publie, entre autres, des disques de Cash McCall, Mamie Galore, Jamo Thomas (le tube I spy (For the FBI)) et Nolan Chance, dont certains bénéficient des talents de producteur et d’auteur de Mayfield, mais aussi d’un Donny Hathaway débutant. En parallèle, Thomas et Mayfield lancent Curtom, qui devient un des labels soul majeurs des années 1970 avec les disques de Curtis Mayfield et des Impressions, mais aussi de Linda Clifford, Baby Huey and the Babysitters, Leroy Hutson, the Natural Four, Bobby Whiteside, Holly Maxwell, the Staple Singers… Thomas quitte l’aventure – et le travail avec Mayfield – vers 1973, et monté sa propre structure de promotion, Thomas Associates, ne manque pas de travail, avec des clients comme Ray Charles, Barry White, Quincy Jones et Johnny Taylor, puis sa société de production, A-1 Creative Productions. Auteur-compositeur très occasionnel (Cigarettes and coffee, chanté par Otis Redding et Al Braggs), il produit quelques faces dans les années 1960, notamment pour son propre label, puis à partir du milieu des années 1970 pour d’autres dont Edwin Birdsong et les groupes de Chicago The Independent Movement et Coffee.
Textes : Frédéric Adrian