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Hommages / 04.03.2024

W.C. Clark (1939-2024)

Bien qu’il n’ait commencé à enregistrer que tardivement, W.C. Clark a eu un impact marquant sur la scène blues d’Austin pendant presque sept décennies, au point d’en être légitimement pensé comme son bienveillant parrain. 

Né le 16 novembre 1939 à Austin, Wesley Curley Clark commence la guitare dès son plus jeune âge et, dès 12 ans, il est suffisamment doué pour accompagner un groupe gospel local, les Southern Wonders. Il fait ses débuts quelques années plus tard, à 16 ans, en tant que bassiste des Cadillacs du chanteur et guitariste T.D. Bell que jouent au Victory Grill, un des clubs majeurs du chitlin’ circuit qui accueille les principales vedettes blues et R&B du moment (une photo d’époque apparaît dans le livret de son premier album Black Top). Il rejoint ensuite les Jets de Henry “Blues Boy” Hubbard, qui se produisent au Charlie’s Playhouse, un des premiers clubs fréquentés également par une clientèle blanche d’étudiants venus de l’université voisine. Il y croise la route, entre autres, de Bobby Bland et Roy Head et accompagne Percy Mayfield et Johnny Copeland. C’est là que Clark est découvert au début des années 1960 par Joe Tex, qui l’embauche dans son orchestre, où il reste jusqu’à la première retraite artistique de Tex vers 1972. 

Quand Clark retourne à Austin après son départ du groupe de Joe Tex, il retrouve une scène totalement renouvelée. Le Charlie’s Playhouse a fermé, et de jeunes musiciens comme Jimmie Vaughan et Doyle Bramhall, tous deux membres d’un groupe appelé Storm, ont fait leur apparition. Il intègre en tant que bassiste les rangs du groupe du pianiste James Polk, The Brothers, dont la chanteuse est Angela Strehli, puis monte avec celle-ci, qui est sa petite amie, son propre ensemble, Southern Feeling, qui comprend également le guitariste Denny Freeman. 

Musicien expérimenté, Clark fait profiter de son expérience les plus jeunes artistes, parmi lesquels le frère de Jimmie Vaughan. Comme pour nombre de bluesmen, la fin des années 1970 n’est pas évidente, et Clark est obligé de prendre un “day job” en tant que mécanicien dans un garage, jusqu’à ce que Stevie Ray l’embauche en tant que bassiste dans son nouveau groupe, la Triple Threat Revue, avec la chanteuse Lou Ann Barton, le pianiste Mike Kindred et le batteur Freddie “Pharaoh” Walden. L’ensemble ne dure qu’une année avant que Clark parte monter son propre orchestre, la W.C. Clark Blues Revue, et n’a pas le temps d’enregistrer, même si en 1979 paraît un single crédité à W. C. Clark with The Cobras (un des groupes les plus populaires de la ville, fondé par le chanteur Paul Ray avec Denny Freeman) & Stevie Vaughan. De cette courte aventure provient également Cold shot, une chanson co-signée par Clark avec Kindred que Vaughan enregistre sur son deuxième album, “Couldn’t Stand The Weather”, et qui sort en single courant 1984, et dont les droits d’auteur ont garanti à Clark une situation économique confortable jusqu’à la fin de sa vie. 

La W. C. Clark Blues Revue, qui comprend notamment l’ancien batteur de James Cotton et de Rare Earth Barry “Frosty” Smith avec qui il collaborera régulièrement par la suite, publie un album autoproduit en 1987, “Something For Everybody”, et la réputation de Clark commence à s’étendre, en particulier grâce à son rôle de mentor pour les frères Vaughan. En 1989, un concert en l’honneur de son 50e anniversaire auquel participe l’élite de la scène locale (les frangins Vaughan, Kim Wilson, Angela Strehli, Lou Ann Barton…) est filmé et diffusé dans l’émission de télévision très influente Austin City Limits.

S’il enregistre ponctuellement à cette période – en tant que bassiste de son ancien patron sur trois titres de l’album qui associe T. D. Bell à Erbie Bowser (“It’s About Time”), sur le premier disque de Bill Thomas (“’Cause She’s My Baby”) et avec Lewis Cowdrey en particulier –, il doit attendre 1994 pour publier son premier album sur un label bénéficiant d’une distribution nationale, Black Top, fondé et dirigé depuis La Nouvelle-Orléans par les frères Scott, auxquels il a été recommandé par Clarence Hollimon et Carol Fran. Produit par Hammond Scott, “Heart Of Gold” associe Clark à une certaine élite des musiciens d’Austin, parmi lesquels la section rythmique de Double Trouble, le clavier Riley Osbourn et le saxophoniste Mark Kazanoff, également co-producteur. Il est suivi deux ans plus tard par “Texas Soul”, enregistré avec les mêmes collaborateurs.

Récompensés par des W.C. Handy Awards, les deux disques permettent à Clark de se faire connaître bien au-delà d’Austin et il commence à tourner régulièrement. L’aventure tourne cependant au drame en 1997, quand un grave accident avec son bus de tournée, dont il était le conducteur, aboutit à la mort de sa fiancée Brenda Jasek et de son batteur Pete Alcoser Jr. Après avoir envisagé de mettre un terme à sa carrière, Clark parvient à retrouver sa musique et publie un troisième album pour Black Top, toujours avec la même équipe, “Lover’s Plea”, qui comprend une chanson poignante dédiée à Jasek, Are you here, are you there

La fermeture de Black Top et la lutte contre un cancer expliquent la pause de quelques années avant la sortie d’un nouvel album, “From Austin With Soul”, qui sort sur Alligator en 2002. Toujours produit par Kazanoff, le résultat est largement considéré comme son meilleur disque. Il est suivi deux ans plus tard par “Deep In The Heart”, qui maintient un même niveau de qualité. En 2005, Clark tourne en France, apparaissant notamment au New Morning et au festival de Salaise. 

W.C. Clark, Buddy Guy, Legend’s, Chicago, 1er mai 2002 © André Hobus

Paradoxalement, c’est à ce moment-là que s’arrête à peu de choses près sa carrière internationale. Replié sur sa base d’Austin, qu’il n’a jamais vraiment quittée, il se produit essentiellement localement, et ne publie plus que deux albums autoproduits, le “Were You There”, enregistré en public, en 2012 puis un disque éponyme passé inaperçu – il n’est pas chroniqué dans Soul Bag – en 2018. Il apparaît également sur un titre d’un album de l’harmoniciste italien Fabrizio Poggi, “Fabrizio Poggi And The Amazing Texas Blues Voices”, sorti en 2016, sur l’album “I’m Here Baby” de son cousin Big Pete Pearson. Il chante également sur un titre du disque des Texas Horns de Mark Kazanoff “Blues Gotta Holda Me”.

S’il est discret au plan discographique, Clark continue jusqu’aux dernières semaines de sa vie à se produire très régulièrement dans les clubs d’Austin et des environs, comme le Giddy Ups (où il jouait toutes les semaines depuis six ans et où il a donné son dernier concert le 20 février 2024), Antone’s, le Hays City Store (où il était programmé chaque lundi), le Saxon Pub, Poodie’s Hilltop Roadhouse… Toujours attentif aux jeunes musiciens, il continuait à jouer un rôle de mentor, y compris pour son cousin éloigné Gary Clark Jr., qu’il a rencontré quand celui-ci commençait sa carrière. Interviewé par Living Blues en 2015, Clark déclarait : « Je ne prendrai ma retraite que quand mes doigts ne fonctionneront plus. » Il a eu la chance de pouvoir jouer jusqu’au bout…

Texte : Frédéric Adrian
Photos d’ouverture © Max Grace

© Max Grace
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