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Hommages / 19.04.2024

Magic Buck (1965-2024)

La disparition d’un musicien est un événement malheureusement fréquent pour nos musiques chéries. Nombreux sont ceux pour qui la disparition aura sonné “à l’heure”, car le blues conserve, c’est bien connu. Pour des raisons économiques ou un choix personnel, rares sont ceux qui peuvent profiter d’une retraite reposante, au moment où l’on fatigue davantage mais que l’on reste en relative bonne santé. C’est d’autant plus cruel et injuste quand la maladie a déjà donné d’incessants coups de boutoir alors qu’on est en pleine force de l’âge… C’est alors que Buck Langlois venait de célébrer ses 59 ans que le cancer a gagné cette nouvelle bataille contre la vie.

“Magic” Buck Langlois, né à Toulon en 1965 et résidant depuis quelques années en Auvergne, a gagné son surnom grâce à ses qualités éblouissantes de multi-instrumentiste, jouant de façon “magique” comme si on pensait entendre un orchestre complet. Depuis plus d’un quart de siècle, il avait en effet délaissé son activité de musicien de groupe pour une formule one-man band liant le chant, l’harmonica, la guitare et les percussions, commandées depuis les pieds à l’aide de son fameux “tabourin”, le tabouret de bar bricolé par ses soins de façon à accueillir tambourins et foot-stomper. 

One man and his blues

De nombreux habitués des salles et festivals qui versent d’ordinaire dans le blues, mais aussi fréquentant les cafés et d’autres endroits plus insolites, ont en mémoire la chevelure léonine de Buck, son éternelle allure svelte de jeune homme séduisant, son sourire désarmant, sa voix convaincante, son indépendance rythmique et harmonique, son agilité de guitariste, son aisance naturelle à captiver son auditoire. Avec talent et cœur, il jouait admirablement de ses instruments “vintage” ou non : National style O 1930, Ibanez 637/12 1980, Gibson L-00 1995. Le répertoire original de Magic Buck trouvait principalement sa source dans l’amour : celui qu’il portait à ses proches, à ses enfants, à ses amis, qui le lui rendaient tous bien. Dès lors qu’on l’écoutait pour la première fois, l’authenticité de sa démarche ne faisait aucun doute. Sillonnant d’innombrables endroits de toutes jauges, il préférait aux métropoles stridentes le doux rythme de la campagne, celui qui distille l’apaisement et les conditions pour méditer qu’apprécient les citadins lorsque leur vie trépidante les pousse à bout. C’est ainsi qu’il se ménageait chaque année – lorsque son état de santé était compatible – sa “petite” tournée en Bretagne, le Breizh Blues Therapy Tour, allant de La Gare, son dernier fief dans l’Allier, aux quatre départements bretons où un public fidèle emplissait les petits lieux qui lui donnaient le plaisir de l’accueillir.

© CRIPE

Des disques en témoignage

Offrant plus que des concerts, mais surtout des rencontres et des échanges humains, la démarche artistique de Buck avait quelque chose d’unique. Il nous laisse quelques beaux albums dont “Bootstompin’ The Blues !” (1998) et “Thankful” (2008) – pour « merci à la vie » comme il le disait, des sorties d’albums entre lesquelles la maladie frappa et lui accorda ensuite une première rémission. “Love And Light” (2011) portait en lui seul tout l’art de Buck : simplicité, goût des ballades ciselées, blues obsédant, mélodies attachantes. Un double album live intitulé “This Magic Will Buck You Up !” (2015) donne plus qu’un aperçu de ses performances en concert. La tumeur cérébrale étant logée dans son lobe droit, c’est le côté gauche, et notamment la main qui pince les cordes, qui souffrait d’une faiblesse difficile à rééduquer. Il avait dû littéralement réapprendre complètement à jouer de la guitare pour remettre son art à flot. “Soul Confidence” (2017) contient Ginger lady, un très émouvant message à l’adresse de sa compagne Florence, à la manière du Layla qu’un Eric Clapton avait dédié à Patty Boyd, qui avait déjà inspiré George Harrison. Ses compositions en anglais, toutes soignées et retravaillées patiemment, ne laissaient aucune place à la demi-teinte ou à l’approximation. 

Un homme solaire

À l’instar d’un autre artiste unique en son genre en France, notre précieux Philippe Ménard, seul en scène, Magic Buck savait susciter beaucoup. Détenteur du secret de l’alchimie que certains faiseurs de bruit cherchent en vain, c’est sans ostentation, en toute modestie, avec spiritualité et respect, qu’il nous ouvrait toute grande la porte de son univers. La maladie aura eu raison de lui le 17 avril 2024, emporté sans douleur dans son sommeil. Le blues français perd un de ses flambeaux les plus sincères et les plus ardents. Je garde personnellement le souvenir d’un homme profondément bon, lumineux, sincère, généreux, droit, réfléchi, philosophe. Un homme solaire comme il en est peu. 

Texte : Marc Loison
Photo d’ouverture © Jean-Paul Marti

magicbuck.com

© Alain Hiot