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Hommages / 23.08.2020

D.J. Rogers (1948-2020)

Parfois considéré, sur la foi de son unique apparition dans le Hot 100 de Billboard pour la ballade Say you love me, comme un “one hit wonder”, D.J. Rogers a, tout au long de sa carrière, bénéficié auprès des amateurs de soul et de gospel d’une popularité que la faiblesse de son palmarès officiel – outre Say you love me, seulement six titres et trois albums (dont un qui entre également dans les charts pop) dans le classement R&B – ne reflète pas du tout. 

Né à Los Angeles en 1948, DeWayne Julius Rogers fait ses débuts musicaux, sous influence familiale, sur la scène gospel de sa ville natale, tout d’abord au sein du Los Angeles Community Choir, dirigé par Harrison Johnson, qui enregistre pour Savoy, puis à la direction du Watts Community Choir, dont l’album de 1970 “We Need More Love”, paru sur Proverb, crédite au piano et à la direction un certain Dee Jae Rodgers – qui y partage les claviers avec Michael Wycoff, un futur collaborateur de Stevie Wonder dont il croisera la route régulièrement dans la suite de sa carrière. Il croise également la route de James Cleveland, incontournable du milieu gospel de la ville. 

C’est cependant du côté de la soul qu’il lance sa carrière : armé d’une démo gravée dans les studios de Ray Charles, il signe avec Shelter, le label de Leon Russell, mais l’album éponyme, enregistré avec les pointures locales et publié en 1973, passe inaperçu entre les disques à succès de Freddie King et JJ Cale parus la même année… Cet échec n’empêche pas Rogers de produire pour le label le premier album de la chanteuse Mary McCreary, ancienne collaboratrice de Sly Stone et future épouse de Russell, mais le deuxième disque personnel de Rogers – gravé avec les futurs membres du Gap Band, qui lui servaient à l’époque de groupe de scène – passe à la trappe et reste inédit à ce jour. 

Après cette relative déconvenue, c’est à New York et sur une major, RCA, que rebondit Rogers, qui y publie l’album “It’s Good To Be Alive”. RCA lui a à peu de choses près donné carte blanche : il écrit et produit lui-même l’ensemble du disque, dont il assure également, outre le chant, l’essentiel des claviers et même le mixage ! La ballade Say you love me – reprise ensuite par Jennifer Holliday, Leon Haywood et Natalie Cole – frôle même le succès commercial grand public, mais souffre de problèmes internes au label. Sorti l’année suivante, “On The Road Again”, enregistré avec l’aide de son ami d’enfance Jerry Peters, devenu un auteur-compositeur-producteur très respecté, et un orchestre pléthorique de pointures, confirme le potentiel commercial de Rogers en se classant dans le hit-parade généraliste des albums, en plus des charts R&B. Mais la réussite est de courte durée : paru l’année suivant, “Love, Music And Life”, plus réussi que son prédécesseur, passe totalement inaperçu et marque la fin du séjour de Rogers chez RCA.

C’est Maurice White, l’âme d’Earth Wind & Fire, qui relance la carrière de Rogers après ce faux pas en lui permettant de signer avec Columbia. Paru en 1978, “Love Brought Me Back” est une grande réussite, enregistrée avec les collaborateurs habituels de Rogers (Jerry Peters, Keni Burke, Michael Wycoff, Charlie Wilson…) et d’autres pointures des studios californiens. La chanson titre permet même à Rogers de décrocher son plus gros succès dans les classements R&B – une modeste vingtième place, seulement. Les deux albums suivants de Rogers, “Trust Me” et “The Message Is Still The Same”, parus sur le propre label de Maurice White, ARC (distribué par Columbia) passent à peu près inaperçus, mais plusieurs de ses singles se classent dans les charts R&B, parmi lesquels un duo avec Patrice Rushen, Givin’ it up is givin’ up.

Des turbulences chez Columbia empêchent la sortie d’un album enregistré avec Nick Ashford et Valerie Simpson – qui reste inédit à ce jour –, et c’est sur un label gospel, Hope Song Records & Tapes, que paraît le disque suivant de Rogers en 1982. Musicalement dans l’esprit de ce qui a précédé, “Hope Songs Vol. I” se caractérise par des paroles explicitement religieuse, et marque la fin de la carrière commerciale de Rogers, qui se consacre ensuite essentiellement à son rôle de révérend, même s’il lui arrive de prêter sa plume ou sa voix à différents projets gospel – le D.J. Rogers Jr. qui apparaît aux côtés de Snoop Dogg et Warren G sur la bande originale du film Above The Rim et publie un album sur Motown en 2002 est son fils. 

Régulièrement samplée (les Roots, Common, Faith Evans, Nas…) et reprise (Jennifer Holliday, Natalie Cole, Tom Jones…), la musique de D.J. Rogers n’est cependant pas oubliée, et ses albums sont régulièrement réédités avec succès. Longuement interviewé par Soul Bag en 2014 (pour notre numéro 215), Rogers faisait part de sa volonté de publier un nouvel album. S’il ne semble pas avoir pu mettre son projet à exécution, cela n’enlève rien à la richesse et à la qualité d’une œuvre à qui il n’a manqué que le succès commercial pour être considérée comme incontournable. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © DR / Collection Gilles Pétard

© Rodney A. Lewis
D.J. RogersFrédéric Adrian