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Hommages / 26.10.2021

Willie Cobbs (1932-2021)

Malgré toute une vie au service du blues, le nom de Willie Cobbs reste en bonne partie attaché à une seule chanson. Largement décalqué du She’s fine she’s mine de Bo Diddley, son You don’t love me, sorti en single une première fois en 1960, est devenu un classique quasi instantané, multirepris, et dont l’aura dépasse largement le monde du blues.

Des rockers “garage” des Megatons (emmenés par Billy Lee Riley), qui en donnent une version instrumentale dès 1961 sous le titre Shimmy, shimmy walk à la chanteuse jamaïcaine Dawn Penn qui en fait un classique dancehall au milieu des années 1990 (sous le titre You don’t love me (No, no, no)), la chanson est passée entre les mains plus ou moins inspirée de John Mayall et de ses Bluesbreakers, James & Bobby Purify, Al Kooper (avec Stephen Stills), Booker T & the MG’s, Junior Wells, Ike & Tina Turner, Albert King, Sonny & Cher, Jimmy Dawkins, Luther Allison, Dr. Feelgood, Gary Moore, l’Allman Brothers Band, John Hammond, R.L. Burnside et même Rihanna ! 

Né dans l’Arkansas, Cobbs migre vers Chicago à la fin des années 1940, où il se produit sur Maxwell Street et croise la route de Little Walter et d’Eddie Boyd. Il passe une bonne partie du début des années 1950 dans la Garde nationale, avant de revenir à Chicago de la décennie pour lancer vraiment sa carrière de chanteur et d’harmoniciste. C’est la sortie en 1960 de You don’t love me (après au moins un single passé inaperçu sur un sous-label de J.O.B.) qui l’impose définitivement : enregistré avec un orchestre comprenant notamment Eddie Boyd et le guitariste Sammy Lawhorn, publié d’abord sur Mojo Records, un petit label de Memphis dirigé par Billy Lee Riley, le single est ensuite repris en licence par Home of the Blues puis Vee-Jay – dont le patron avait rejeté la candidature quelques mois plus tôt de Cobbs, jugé trop proche musicalement de Jimmy Reed – et devient un grand succès, qui frôle même l’entrée dans le classement de Billboard bien que Vee-Jay en ralentisse la promotion après que quelques questions surgissent sur l’auteur effectif de la chanson… 

Bien qu’il enregistre régulièrement dans la suite des années 1960, il ne parvient pas à retrouver le même niveau de succès, faute sans doute d’obtenir le soutien d’un label important : il enchaîne en effet les singles pour des labels de petite taille comme Pure Gold, qui est basé à Memphis, dont certains, comme Ruler ou Riceland, semblent lui appartenir. Au début des années 1970, il retourne dans son Arkansas natal où il continue à se produire et à enregistrer pour des labels locaux, croisant notamment la route de Calvin et Hosea Levy ainsi que du producteur Calvin C. Brown et de son label Soul Beats. Il ouvre plusieurs clubs au cours de la décennie, dans l’Arkansas (le Blue Flame à Stuttgart) et dans le Mississippi (le Turning Point à Itta Bena, Mr. C’s Bar-B-Que à Greenwood, où il finit par s’installer), tout en se produisant régulièrement sur le circuit des festivals et en publiant ponctuellement des singles, essentiellement sur de petits labels comme Philwood ou le Retta’s de James Bennett, mais aussi pour la filiale de Malaco Chimneyville. Alors que Jim O’Neal fait paraître au Japon en 1984 une anthologie de ses singles (“Mr C’s Blues in the Groove”, sur Mina), Cobbs publie, en cassette uniquement, un premier album sur son propre label “Hey Little Girl”, aujourd’hui introuvable.

King Biscuit Blues Festival, Helena, Arkansas, 1998 © Boo Boo Récaborde

Les années 1990 voient décoller la notoriété de Cobbs. Après avoir participé comme acteur (tout en apparaissant sur la bande originale) en 1991 au film Mississippi Masala avec en vedette Denzel Washington – une expérience qu’il renouvellera plusieurs fois, notamment dans le téléfilm Memphis, avec Cybill Shepherd –, il signe avec le label Rooster Blues de Jim O’Neal, qui publie en 1994 l’album “Down To Earth”, gravé à Clarksdale avec un groupe emmené par Johnny Rawls. Globalement bien accueilli, l’album reste cependant sans suite et c’est pour son propre label qu’il publie à la fin de la décennie “Pay Or Do 11 Months and 29 Days”, qu’il autoproduit à Memphis. Celui-ci est suivi par un retour sur un label important, Bullseye, pour l’album “Jukin’”. Il bénéficie de l’expertise de Willie Mitchell à la production et de l’accompagnement de la légendaire Hi Rhythm Section – celle des disques d’Al Green, entre autres – mais pâtit d’un répertoire de reprises trop prévisibles. 

Habitué des festivals blues américains comme le King Biscuit Blues Festival d’Helena ou celui de Chicago, il attend presque 20 ans pour retourner en studio, pour “Butler Blues Boy” qui sort en 2019 sur son label Wilco et qui est bien accueilli, notamment par Soul Bag. Du fait de son affinité pour les microlabels et pour les autoproductions, il a été peu gâté en termes de rééditions, même si neuf de ses faces historiques apparaissent sur l’anthologie “Fernwood Rhythm ‘N’ Blues From Memphis” parue en 2008. À l’affiche du festival Blues Estafette d’Utrecht (Pays-Bas) en 1994, il ne semble pas s’être produit en France. Il ne doit pas être confondu avec le chanteur de Chicago Jumpin’ Willie Cobbs, auteur au début des années 2000 de l’album “Cotton Sack Blues”.

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © DR