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Hommages / 22.01.2024

Marlena Shaw (1942-2024)

Si le succès grand public lui a étrangement échappé – elle n’a classé qu’un seul titre dans le Hot 100 de Billboard, tout au début de sa carrière –, Marlena Shaw, qui n’a jamais voulu choisir entre le jazz et la soul, a marqué de son style unique les amateurs de l’art vocal afro-américain.

Née le 22 septembre 1942 à New Rochelle, dans l’État de New York, la jeune Marlena Burgess découvre la musique sous l’égide d’un oncle trompettiste avec qui elle chante sur la scène de l’Apollo dès l’âge de 10 ans. Si ses parents ne souhaitent pas qu’elle se lance aussi jeune dans une carrière de musicienne et préfèrent qu’elle poursuive ses études, elle ne tarde pas à commencer à se produire en club, notamment au sein de l’orchestre d’Howard McGhee, et à se faire remarquer du public jazz. 

Une audition avec John Hammond pour Columbia au milieu des années 1960 n’est pas une réussite, mais elle parvient à se faire embaucher au Playboy Jazz Club de Chicago, où elle est découverte par des représentants de Chess. Son premier single, une version de Wade in the water produite par Richard Evans et Billy Davis, sort en 1966 sur Cadet, la marque annexe de Chess consacrée aux artistes jazz comme Ramsey Lewis ou Ahmad Jamal. L’année suivante, sa version du Mercy, mercy, mercy de Joe Zawinul, arrangée par Charles Stepney, lui offre son premier tube, qui monte jusqu’à la 58e place du Hot 100. Cette réussite est éphémère cependant, et aucun des deux albums qu’elle publie les deux années suivantes, “Out Of Different Bags” et “The Spice Of Life”, ne parvient à atteindre les classements, bien que ce dernier contienne deux titres devenus par la suite des classiques, California soul – qui ne sort même pas en single à l’époque – et l’hymne Woman of the ghetto. En parallèle, elle rejoint en 1968 l’orchestre de Count Basie,  avec qui elle tourne dans le monde entier et au sein duquel elle reste quatre ans. 

À son départ de l’ensemble de Basie, en 1972, elle signe avec Blue Note, qui la présente tout d’abord dans un registre assez classiquement jazz sur les albums “Marlena” et “From The Depths Of My Soul”, avant de la réorienter vers un format plus R&B avec “Who Is This Bitch, Anyway?”, qui lui permet d’accéder pour la première fois, et simultanément, aux classements des albums soul et jazz. L’année suivante, It’s better than walking out, de l’album “Just A Matter Of Time” marque un virage vers le disco et lui permet, dix ans après son premier tube, de retrouver le classement des singles R&B. Entre-temps, son passage remarqué à Montreux en 1973 a fait l’objet d’un album en public, “Live At Montreux”, mêlant jazz et soul qui se conclut par une spectaculaire version à rallonge de Woman of the ghetto dont l’introduction parlée servira, presque trente ans plus tard, de gimmick au tube Rose rouge du producteur français St Germain. 

Signée par Columbia jusqu’à la fin de la décennie puis sur South Bay, elle publie une série d’albums orientés soul et disco et décroche un nouveau tube R&B avec une nouvelle version de Go away little boy, une composition de Goffin & King qu’elle avait déjà enregistrée sur son deuxième album Cadet. Moins prolifique dans les années 1980 et 1990, elle se réoriente vers un registre jazz avec quelques albums ponctuels pour Verve puis Concord, tout en participant régulièrement aux disques d’autres artistes comme Phil Upchurch, Joe Williams, Jimmy Smith, Benny Carter ou Ray Brown.

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© DR / Collection Gilles Pétard

Dans les années 2000, elle enregistre pour le label japonais Eighty-Eight’s et se produit à plusieurs reprises en France, ciblant le public “rare groove” qui l’a découverte grâce aux nombreux samples empruntés à son œuvre à partir des années 1990, de 9th Wonder à Gang Starr. Après un dernier album paru en 2007 enregistré en public au Japon avec le groupe de Freddy Cole (“When You’re Smiling”) et un dernier concert parisien en 2010 au New Morning, elle ne semble plus avoir été active par la suite, mais les rééditions régulières de ses disques garantissent le maintien de sa popularité et sa redécouverte régulière par de nouvelles générations, des titres comme California soul ou Woman of the ghetto – récemment repris par la chanteuse Melanie Charles – étant régulièrement diffusés sur les radios de goût. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © DR / Collection Gilles Pétard

© DR / Collection Gilles Pétard
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