Quincy Jones (1933-2024)
04.11.2024
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Né le 5 octobre 1932 en Pennsylvanie, mais élevé à Brooklyn, Lawrence Cohn tombe amoureux de la musique dès son enfance, grâce à la radio, et se lance dès son adolescence, au cœur des années 1940, à la recherche de ses premiers disques, établissant au fil du temps une collection exceptionnelle, qui contient en particulier nombre de test pressings inédits des bluesmen pre-war.
Ce n’est cependant pas dans l’industrie musicale qu’il choisit de faire carrière après des études universitaires de droit interrompues le temps d’une brève parenthèse militaire au cours de laquelle il intègre l’équipe de basket de l’armée : il devient en effet agent fédéral, travaillant aussi bien pour le Trésor Public que pour le département de la justice sous la direction de Robert Kennedy. Il développe en parallèle une carrière d’auteur, en particulier pour le périodique pour collectionneurs 78 Quarterly où il défend une ouverture d’esprit peu fréquente dans ce milieu et pour le journal littéraire Saturday Review pour lequel il interviewe Son House et Mississippi John Hurt. Il rédige également des notes de pochettes aussi bien pour de nouveaux albums, publiés en particulier par Prestige Records (John Lee Hooker, Gary Davis, Big Joe Williams, Lightnin’ Hopkins…) que pur des rééditions (Leadbelly, Ma Rainey, Blind Lemon Jefferson, Blind Willie McTell…).
Sa vie prend un tournant quand il quitte ses fonctions au sein de l’administration pour rejoindre l’industrie musicale et en particulier CBS où il prend la direction du label Epic pour lequel il travaille avec des artistes en tous genres, de Billy Joel à Cheap Trick en passant par Fleetwood Mac, Johnny Otis, Shuggie Otis ou Jo Ann Kelly, avant de rejoindre Playboy Records, l’émanation du célèbre magazine où il publie notamment un album de Philip Walker. Il s’éloigne de l’industrie dans le courant des années 1980, passant quelques années en région parisienne où il devient en particulier un habité de Boogie, le disquaire situé à Levallois tenu par Jacques Périn et Jean-Pierre Arniac. Une relation d’amitié durable s’établit alors avec Soul Bag, et il participe en particulier au dossier spécial consacré à Robert Johnson dans notre numéro 203.
C’est par le biais de Robert Johnson, en effet, que Cohn se fait remarquer d’un public plus large que celui des collectionneurs. Revenu à CBS en 1990, il parvient à débloquer le projet d’intégrale consacrée à l’homme d’Hazlehurst, bloquée depuis plus de quinze ans dans les méandres administratifs du label. L’improbable succès du double CD, au cœur du blues boom débutant, lui donne les mains libres pour piloter la série Roots N’ Blues, dont la centaine de références, parues pour l’essentiel dans la première moitié des années 1990, constitue une étape majeure de l’accessibilité du blues – mais aussi des musiques voisines, du gospel à la country en passant par le cajun – à un large public. Si les ventes ne se rapprochent jamais du coffret Johnson, l’expérience permet notamment la publication d’intégrales consacrées à Bessie Smith et à Blind Willie Johnson, mais aussi l’exhumation de faces obscures, voire inédites, sur des anthologies thématiques comme l’incroyable quadruple CD “Roots N’ Blues – The Retrospective (1925-1950)” sur laquelle se côtoient, entre autres, Barbecue Bob et Washington Phillips. Il est également au pilotage de l’ouvrage collectif de référence Nothing But The Blues: The Music and the Musicians paru en 1993 et auquel contribuent les plus grands spécialistes du genre.
La fin de l’aventure Roots N’ Blues ne signifie pas la retraite pour Cohn, qui continue à travailler régulièrement à de nouveaux projets comme la réédition de l’ “Anthology of American Folk Music” d’Harry Smith ou le coffret de raretés “It’s The Best Stuff Yet!”, sorti en 2019. Les amateurs de blues savent ce que leurs connaissances de cette musique doivent à son action incessante, et Soul Bag en particulier salue la mémoire de ce compagnon de route bienveillant.
Texte : Frédéric Adrian
Photo © Alex Tovar