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Interviews / 23.04.2024

JMSN, Danse avec les normes

Le 8 mars 2024, JMSN (prononcez Jameson) était de retour à Paris pour sa tournée “Soft Spot”, sept ans après son dernier passage. Ovni du R&B et de la soul, le chanteur multi-instrumentiste né à Détroit et basé à Los Angeles se caractérise par son indépendance dans l’industrie musicale et sa discrétion malgré ses douze ans de carrière. Il revient ici sur son nouvel album “Soft Spot”, sa conception de la soul et plus largement de l’existence.

En octobre 2023 tu as publié “Soft Spot”. Ça a beau être ton douzième projet, la thématique centrale reste l’amour. Peux-tu nous en dire plus sur l’omniprésence de l’amour dans ta musique ?

Pour moi l’amour est la fondation de notre existence. C’est même notre but, de chercher ce qu’on aime et de poursuivre ça, que ce soit une relation, la musique, un animal… Ce sont les choses que j’aime qui me déterminent et intrinsèquement impactent ma musique.

C’est une manière assez intense de concevoir la vie. D’où vient cet esprit dramatique ? Le tout ou rien. Comment est-ce que tu retranscris ça en musique ?

Oui, c’est vrai. J’ai toujours été attiré par les musiques dramatiques. Elles me permettent d’accorder une plus grande importance aux choses de la vie qui paraîtraient banales autrement. L’intensité en musique donne du sens à ce que je crée. Musicalement et textuellement tout doit rejoindre ce point pour moi, car ça me donne l’impression de créer quelque chose de grand, d’important, qui dépasse l’individualité de nos vies.

Est-ce que cette dimension dramatique, comme l’amour à la Whitney Houston, est un personnage que tu joues ?

Non, c’est vraiment ma personne. Je construis ma musique à travers ce qui m’importe réellement. C’est la seule manière dont les auditeurs peuvent s’identifier à ce que je produis. On est tous connectés entre nous à travers nos expériences de vie. Malgré nos différences, on a des expériences. Je raconte mes histoires pour que d’autres puissent s’y retrouver d’une manière ou d’une autre. En tout cas, c’est mon approche lorsque j’écoute de la musique. Parfois, j’écoute un artiste et je me dis : oh, mais il traverse la même chose que moi, il me comprend ! Et c’est ça que je trouve fort. 

Y a-t-il une chanson dans laquelle tu te retrouves particulièrement ?

Oui, il y a un titre auquel je pense souvent, Nothing gets crossed out par Bright Eyes. Je l’ai découvert jeune, à l’adolescence, et même quand je l’écoute aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il raconte mon histoire, ma vie.

Le besoin d’explorer

Qu’as-tu voulu nous dire à travers ton dernier projet “Soft Spot” ?

Laisse-moi regarder la tracklist, je dois me replonger dans mon état d’esprit. Musicalement, j’ai vraiment essayé d’expérimenter avec de nouvelles sonorités, et d’aller vers des horizons peu explorés. Mais globalement, je pense que le titre Love me résume tout, c’est-à-dire mon besoin d’être aimé et d’être accepté. Ce titre est la genèse de l’album et même si les autres titres n’évoquent pas explicitement ce besoin, ils le font subtilement. 

Love me est un morceau très influencé par le gospel, donc des sonorités nouvelles pour toi. Mais en soi il rejoint ton univers qui est défini par les musiques noires américaines : la soul, le R&B, la neo soul… Tout ce que tu produis rentre finalement dans l’univers que certains appellent “Great Black Music”.

En effet, mais chez moi tout se rejoint précisément dans la soul. Tu as beau être pointilleux sur quel genre musical précis il s’agit, quels instruments caractérisent ce que tu joues, finalement tout vient de la soul. La country est une forme de soul, qui venait du R&B d’une différente époque. Toutes ces musiques sont des musiques de l’âme, qui viennent de l’âme. Et évidemment les musiques noires sont une des fondations de ces musiques, voire même la seule. Et c’est étrange, car j’ai l’impression que la soul est cette catégorie perçue comme étant très restreinte. Beaucoup on un imaginaire de la soul qu’ils pensent être unique, mais pour moi c’est très divers. Tout le monde en a une vision différente en réalité.

“Beaucoup on un imaginaire de la soul qu’ils pensent être unique, mais pour moi c’est très divers.”

JMSN

Quelle serait ta définition de la soul ?

Simplement, de la musique qui vient de l’âme. Une musique qui te fait sentir tout le plaisir et la douleur que l’on a en nous, dans notre âme.

C’est drôle, car tu évoques naturellement deux sentiments pouvant s’opposer : le plaisir et la douleur.

Oui, car même s’il y a toujours une zone grise, la musique est mon but dans cette vie, donc j’y mets tout ce que j’ai. Il n’y a pas d’entre-deux chez moi. Je prends de grands risques parce que je ne peux pas me limiter. Et pour ça j’ai besoin de creuser toutes les manières possibles me permettant de créer.

Le doute en point d’appui

Tu évoques une zone grise et l’impossibilité de te limiter à un élément unique, ce que l’on entend régulièrement dans tes morceaux. Pourquoi sembles-tu autant douter ?

Parce que je suis un être humain, et que comme tout le monde, je manque de confiance en moi et en ce que je crée. Mais je m’oblige à utiliser mes doutes et mes questionnements dans ma musique, car c’est le seul moyen que je connais pour les traverser et les comprendre. Et à nouveau, quand d’autres se retrouvent en mes doutes, c’est d’autant plus fort. Puis il y a quelque chose que j’ai compris en étant dans ma vingtaine, c’est que notre monde est en changement constant. La seule chose qui ne change pas est le changement, et tu peux uniquement évoluer si tu l’acceptes. 

Il y a quelque chose dans ta musique qui attise la curiosité, que ce soit un choix conscient ou non, avec des morceaux comme Feel like a woman ou tes clips, c’est ton rapport aux normes de genre et à la masculinité. 

Feel like a woman était en effet un moyen pour moi de m’opposer à certaines normes, mais je pense être comme ça dans tous les aspects de ma vie et ma musique. Pas uniquement lorsqu’il s’agit de genre. Je veux être capable de constamment remettre en question les normes que l’on nous impose, et ce depuis l’enfance. Je n’ai jamais été très bon avec les règles, les limites et les cases. Je refuse qu’on me mette, moi ou ma musique, dans une case. L’existence même des normes de genre me dépasse, on doit s’en détacher. Toujours s’éloigner ce qu’on attend de nous et d’un artiste. 

“Je veux être capable de constamment remettre en question les normes que l’on nous impose, et ce depuis l’enfance.”

JSMN

Et qu’as-tu voulu montrer avec Feel like a woman ?

J’avais besoin d’exprimer une curiosité que je ressentais. Je voulais montrer et dire que c’est humain d’être curieux, même dans notre rapport à la notion de genre. Je pense qu’on est tous un peu tout à la fois : homme, femme, entre les deux. Je veux transmettre cette curiosité et laisser place à un doute général. Par exemple, lorsque je compose, j’aime laisser la place aux auditeurs d’interpréter ma musique, je ne veux pas leur imposer un sens unique. Pour le clip c’est pareil, c’est parti d’une idée que j’ai eu de me transformer en embryon et puis le reste s’est construit naturellement. J’adore ce clip, il m’excite, il me transporte, et c’est ça que je cherche.

Qu’attends-tu de cette tournée et de cet album ?

Je n’ai pas d’attentes. Je vis pour le moment où je crée et construis mes projets et mon identité artistique. Qu’importe ce qu’il se passe après, ça dépendra des choix de ceux qui écouteront ma musique ou non. La partie la plus gratifiante de mon travail est la production et la création de nouvelles choses. C’est aussi ce que j’attends des artistes que j’aime, qu’ils soient capables de créer des œuvres uniques et novatrices. Et j’ai hâte de continuer à moi-même le faire au long de ma vie. 

Texte : Emilie Maksaymous
Photos © Cameron McCool