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Interviews / 27.03.2023

Le Musée Européen du Blues fait peau neuve

À Châtres-sur-Cher, le Musée Européen du Blues, partie intégrante de la Maison du Blues, connaît actuellement d’importants réaménagements : agrandissement pour notamment accueillir le Blues Hall of Fame français, création d’un centre de documentation, de vitrines consacrées à Chicago et à l’Alabama, exposition sur la Louisiane, entre autres. L’inauguration de ce “nouveau” musée du blues aura lieu le 1er avril 2023. En attendant, Jacques Garcia, qui nous a bien demandé de ne pas oublier d’associer son épouse Anne-Marie à toutes les étapes de cette belle aventure, a bien voulu répondre à nos questions.

Pourquoi procéder à des agrandissements ?

Jacques Garcia : Deux conjonctures nous ont décidés, tout en nous faisant avancer. Tout d’abord, nous commencions à être bien complets avec l’existant. Ensuite, la mise en place en 2019 par France Blues d’un Blues Hall of Fame français. Or, au musée, nous n’avions rien sur le blues français. Cela m’ennuyait un peu, car si le blues vient des États-Unis, nous sommes quand même en France, et on a programmé des artistes hexagonaux qui ont fait de beaux bouts de chemin. En outre, le Blues Hall of Fame français ne porte pas seulement sur des bluesmen mais aussi sur des gens qui ont contribué à la reconnaissance du blues, comme Gérard Herzhaft, Soul Bag, et qui ont ainsi apporté à la culture afro-américaine en Europe. J’ai contacté Fred Delforge de France Blues et on a trouvé un accord sur la base d’une adhésion, à la condition que nous apparaissions sur leur site. Nous avons discuté du Blues Hall of Fame pour lequel il n’avait pas de locaux. Je lui ai donc demandé s’il serait intéressé de l’installer au musée du Blues, qui est le seul du pays, pour mettre en valeur le blues français.

On a donc avancé là-dessus, j’ai monté un projet, et je souhaitais aussi créer un centre de documentation sur le blues, car j’avais des collections de revues, des vinyles, des CD, des DVD, des photos de presque toutes les plaques didactiques (markers) de la Mississippi Blues Trail, d’autant que nous allons avec Anne-Marie aux États-Unis tous les ans depuis 2004. J’ai donc pensé que ce serait bien d’avoir un lieu dédié, avec une bibliothèque que les visiteurs pourraient consulter. En outre, depuis deux ans, on a débuté une action avec les scolaires, Pédago Blues, on fait des visites du musée pendant que les enseignants interviennent dans les collèges et les écoles avec les enfants. On a récemment fait un concert avec CadiJo au collège de Chabris près d’ici, les élèves ont visité le musée, préparé des petites expositions sur le blues, des interviews, c’était vraiment bien… D’où l’utilité de ce centre de documentation. C’est en place même si tout ne sera pas terminé pour l’inauguration, mais on a déjà l’architecture informatique. Par exemple, nous aurons une carte des États-Unis, on pourra cliquer sur chaque État et trouver des photos de sites sur le blues, préparer des voyages…

“Le musée est très aimé dans sa version actuelle, même pour les visiteurs qui ne connaissent rien au blues.”

Jacques Garcia

Vous avez rencontré des difficultés au niveau du financement ?

J’ai monté mon dossier pour des subventions, car ici on a la chance d’en avoir, nous sommes en milieu rural et l’Europe participe beaucoup, ce qui nous permet d’être financés à 80 % du budget total. Mais certains travaux de second œuvre ne sont pas pris en charge. On a donc mis 20 000 euros pour compléter les subventions, et entre 10 000 et 15 000 euros pour le second œuvre. Outre les subventions, on a aussi la chance d’avoir beaucoup de dons de particuliers, l’année dernière a été très bonne avec 20 000 euros de dons. Nous sommes très suivis, les gens apprécient beaucoup la Maison du Blues, d’abord parce que nous avons de très bons concerts, ils viennent et reviennent avec des amis. Le musée est également très aimé dans sa version actuelle, même pour les visiteurs qui ne connaissent rien au blues. Il m’arrive de faire des visites commentées pendant une heure, puis les gens peuvent voir des vidéos ou écouter des morceaux, c’est interactif, l’ensemble peut durer deux heures. Pour revenir à France Blues, ils ont édité des diplômes et nous nous sommes occupés de la scénographie. On a des instruments comme des guitares, des harmonicas, des costumes de scène, on pense que ce sera très chouette !

Vous ne manquez pas de place ?

Non, et nous avons fait un espace évolutif, car des entrants sont nommés chaque année. On s’est pour l’instant arrêtés sur 2022 et nous avons fait une exposition sur la Louisiane avec des instruments typiques, accordéons, frottoirs, violons, des peintures, des documents… J’ai aussi récupéré à Lafayette une table de mixage avec un enregistreur à bobine. Au fur et à mesure, on remplacera des pièces de la Louisiane par d’autres consacrées aux nommés. Là, nous sommes dans le domaine des nouveautés, je suis allé chercher une guitare chez Bill Deraime à Paris, une douze-cordes Guild. On a aussi des guitares d’Awek, de Lenny Lafargue, des harmonicas de Jean-Jacques Milteau, de Stéphane Bertolino, de Chris Lancry…

Outre l’agrandissement, vous avez également réaménagé l’existant…

On a refait l’espace Bobby Rush avec une nouvelle vitrine et des pièces qu’il nous a offertes l’année dernière, on a mis des costumes sur cintres et sur mannequins, ce qui donne un peu plus de prestance. Nous avons aussi fait une vitrine sur l’Alabama, car j’ai fréquenté pas mal de gens de cet État comme Willie King, Shar Baby, deux artistes dont nous avons les guitares, Debbie Bond, Johnny Shines… Avant son décès, Shar Baby nous a légué un chapeau, une ceinture, puis son mari nous a vendu un costume de scène. Enfin, nous avons créé une vitrine sur Chicago. Nous avons récupéré en 2019 la fameuse guitare à pois de Buddy Guy, qu’il nous a signée quand nous l’avons vu au Legends. Et là, grâce à Didier Tricard, on a ajouté un blouson de Buddy et un autre de Junior Wells.

“On a refait l’espace Bobby Rush avec une nouvelle vitrine et des pièces qu’il nous a offertes l’année dernière.”

Jacques Garcia
Jacques Garcia, Sandrine Plante, Anne-Marie Garcia

Vous n’oubliez pas les droits civiques.

C’est vrai, on a une pièce sur les droits civiques, et là nous rentrons un buste en terre cuite qui représente un esclave, une magnifique sculpture réalisée par Sandrine Plante, une artiste de Clermont-Ferrand qui nous a offert cette œuvre qui vaut quand même dans les 6 000 euros. Dès lors, nous avons modifié des choses et la partie bibliothèque de la salle des droits civiques a été transférée dans le centre de documentation. Voilà les plus grosses modifications.

Tu nous donnes quelques infos sur l’inauguration proprement dite ?

Elle aura donc lieu samedi 1er avril à partir de 15 heures, avec deux concerts des Yokatta Brothers le vendredi et le samedi, avec en invité l’harmoniciste finlandais Willie Mehto. On avait d’abord eu l’idée de mettre sur pied un gros concert à la Pyramide à Romorantin, mais après la défection de deux artistes importants, Nico Wayne Toussaint et Arnaud Fradin, on a laissé tomber. On était un peu déçus, car on fait aussi ça pour eux… Mais je suppose que ça fait un peu partie de l’univers blues en France. D’ailleurs, les acteurs du blues en France, les organisateurs de festivals, les animateurs radio ne viennent pas chez nous, ou alors très rarement. Je trouve ça assez incroyable… D’autant que nous avons beaucoup investi, nous avons acheté le bâtiment… Beaucoup restent dans leur pré carré. C’est d’autant plus regrettable que ça pourrait être une structure intéressante, car la scène du blues français est extraordinaire.

“Nous ne travaillons qu’avec des bénévoles. Ce qui ne nous empêche pas de proposer des concerts toutes les semaines.”

Jacques Garcia

Qu’aimerais-tu ajouter ?

Il importe de mentionner que nous sommes totalement associatifs et ne travaillons qu’avec des bénévoles. Ce qui ne nous empêche pas de proposer des concerts toutes les semaines. En outre, la restauration a vraiment pris un réel essor, entre 80 et 90 % des gens qui viennent aux concerts mangent sur place. Nous avons également créé une fondation, le Blues Preservation Project. Cela nous permet certes de lever des fonds, mais surtout toutes les pièces du musée sont préservées. Si le musée disparaît demain, personne ne viendra le piller, car tout est protégé. Ça ne nous appartient pas ni à nos héritiers, ça appartient au patrimoine.

Sur le site Internet de la Maison du Blues, lui aussi récemment restauré, vous trouverez les informations sur l’inauguration, sur les concerts à venir, sur le programme Pédago Blues, sur le Blues Preservation Project…

Propos recueillis le 10 mars 2023 par Daniel Léon.
Photos © Maison du Blues

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