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Interviews / 03.10.2022

Laurence Le Baccon & Julie Dumoulin, Atout chœur

Entendues sur disque et vues sur scène aux côtés de Malted Milk, Lowland Brothers, Toni Green ou encore Alexis Evans, Laurence Le Baccon et Julie Dumoulin reviennent pour Soul Bag sur dix ans d’un parcours commun au cours duquel elles se sont imposées comme des choristes de référence dans le champ de la soul. Un entretien teinté de passion, d’estime réciproque et d’humilité.

Revenons sur les circonstances de votre rencontre. 

Laurence : Nous nous sommes rencontrées pour la première fois en 2011 pour préparer les chœurs de l’album de Malted Milk, “Get Some”, paru l’année suivante. Nous ne nous connaissions absolument pas. Finalement, tout cela a été possible grâce à Arnaud Fradin [chanteur-guitariste et leader de Malted Milk]

Julie : Igor Pichon (basse) et Nicolas Mary (claviers) faisaient déjà les chœurs mais le groupe avait envie d’une patte féminine sur l’album. Laurence et moi avions très peu d’expérience comme choristes, mais nous étions déjà chanteuses lead depuis plusieurs années. Laurence était à l’aise dans un registre blues. En ce qui me concerne, je venais plutôt du jazz et des musiques latines. En plus de se trouver vocalement toutes les deux, il a fallu comprendre les clés et découvrir les couleurs du registre qui définit la musique de Malted Milk. C’est, bien entendu, un travail qui ne finit jamais vraiment, tant on ne finit jamais d’apprendre.

Depuis, vous avez été ponctuellement amenées à travailler avec d’autres choristes, en binôme ou en trinôme, mais on semble toujours revenir au duo que vous formez. Comment expliquez-vous cette belle longévité ?

Laurence : Premier élément d’explication et non des moindres : nous nous entendons très bien ! Les choses sont faciles entre nous et avec l’expérience, ce constat se vérifie de plus en plus. On travaille vite, de manière efficace, et avec le sourire ! Nous ne chantons pas du tout de la même manière, nous avons des timbres différents, mais, malgré tout, sur certains enregistrements, nous ne savons pas toujours naturellement distinguer nos deux voix ! Le secret de cette longévité s’explique aussi par le plaisir que nous avons à travailler ensemble, à nous retrouver. C’est limpide ! 

Julie : Ce qui n’est pas non plus anodin, ce sont également les histoires de pupitres. La plupart des femmes sont sopranes ou mezzo-sopranes. Laurence, elle, est capable de descendre un peu plus ce qui fait que nous ne sommes jamais dans le même registre. Nos timbres sont très distincts, également. L’argument qui revient aussi souvent en notre faveur, c’est que nous sommes un binôme déjà constitué, ce qui est rassurant pour les formations qui nous sollicitent. Nous nous adaptons, nous n’avons pas d’exigences démesurées, nous sommes complémentaires, et nous savons rester à notre place. Et, pour rejoindre Laurence, je suis toujours enchantée d’apprendre que nous sommes sollicitées toutes les deux pour un nouvel album, un nouveau set pour un groupe. Le plaisir ne faiblit pas avec les années !

“Nous avons la chance avec Julie d’être très complémentaires, ce qui nous donne une confiance supplémentaire, c’est certain.”

Laurence Le Baccon

Justement, comment travaillez-vous ensemble (la répartition des voix, la coordination…) ?

Laurence : Pendant pas mal d’années, il a été naturel que je chante des parties un peu plus graves et Julie des parties plus aiguës. Mais depuis quelque temps, du moins en studio, il nous arrive d’échanger nos pupitres ou encore de faire des re-recordings en posant toutes les voix, pour gagner en masse et mélanger les timbres.

Julie : Et puis, nos compétences se mêlent bien. J’aime bien intervenir sur le côté harmonisation, mais, Laurence étant elle-même auteure-compositrice, elle est plus à l’aise que moi sur la partie création de chœurs.

Comment abordez-vous ce rôle de choristes ? Quelles sont à vos yeux les compétences nécessaires pour être choriste ?

Julie : Il faut être précise, solide collectivement, respirer au même rythme que le leader et le reste du groupe pour sentir où sont les nuances, où il convient de rester dans les rails et où il est possible de faire preuve d’un peu plus d’audace. Être chanteuse lead et choriste, ce sont deux approches complètement distinctes. Nous avons la chance avec Laurence de nous épanouir dans les deux ! En ce qui me concerne, j’ai toujours trouvé très agréable de ne pas toujours être “frontwoman”. La pression est du coup un peu plus légère et cette qualité de choriste nous a permis l’accès à des scènes incroyables, de vivre sans doute les expériences les plus fortes de nos parcours musicaux.

Laurence : Pour moi, il est dix fois plus dur d’être choriste que chanteuse lead ! Cela demande une grande qualité d’écoute, d’être capable de se laisser guider, d’accepter de rester en retrait. Il faut savoir intervenir au bon moment, être constamment sur le qui-vive. Les chœurs ne s’imposent pas nécessairement d’emblée comme un ingrédient indispensable, mais, quand cet ingrédient est là, qu’il est de qualité, cela apporte un vrai plus. Nous avons la chance avec Julie d’être très complémentaires, ce qui nous donne une confiance supplémentaire, c’est certain. Le fait de savoir que nous allons le faire ensemble nous rassure, c’est une évidence. 

Barbara Belmonté, Laurence Le Baccon, Damien Cornélis, Julie Dumoulin, Lowland Brothers, Jazz à Vienne 2021 © Brigitte Charvolin

“Cette qualité de choriste nous a permis l’accès à des scènes incroyables, de vivre sans doute les expériences les plus fortes de nos parcours musicaux.”

Julie Dumoulin

Qu’en est-il de vos inspirations ?

Julie : Évidemment, nous avons des goûts communs avec les groupes que nous sommes amenées à accompagner. Aretha Franklin, Ann Peebles, les faces Hi Records d’une manière générale sont de vraies influences. 

Laurence : Mais, notre amour initial des chœurs vient finalement sans doute plus de la folk que de la soul. Nous aimons avant tout les harmonies. Pas nécessairement des chœurs, d’ailleurs. Cela peut juste être des duos comme Simon and Garfunkel. Depuis l’adolescence, je passe mon temps à harmoniser naturellement, incapable de me focaliser uniquement sur la voix principale !

L’aventure avec Toni Green, elle-même choriste d’Al Green, d’Isaac Hayes ou d’Ann Peebles, et avec laquelle vous avez enregistré “Milk & Green” (2014) et tourné par la suite est assurément une des expériences qui a compté dans votre parcours.

Julie : Cela a été une expérience hors du commun ! C’est la première et à ce jour seule femme que nous ayons accompagnée. Malgré son CV impressionnant, curieusement, elle n’a pas vraiment cherché à nous coacher, nous faisant totalement confiance. Son feeling, son style, sa maîtrise de la scène, son sens de l’improvisation, sa liberté ont été des inspirations fortes.

Laurence : Nous avons eu l’opportunité de faire des scènes incroyables avec Toni : Jazz à Vienne, le North Sea Jazz Festival, Jazz à Sète, Jazz In Marciac, les Nuits de Fourvière… Une autre expérience marquante a été d’accompagner Curtis Salgado aux Rendez-Vous de l’Erdre en 2017. Tout cela s’est fait dans un délai très court. À l’exception de Fabrice Bessouat, nous n’avions jamais joué avec aucun des musiciens. Tout devait avoir été travaillé en amont avec une seule répétition, la veille du concert. La satisfaction d’avoir vécu collectivement ce moment était à la hauteur de la montée d’adrénaline ! En sortant de scène, nous avions tous le sourire. C’était un moment intense empli de plaisir et de bonheur.

Comment définiriez-vous votre place dans le processus créatif avec les groupes et artistes avec lesquels vous êtes ou avez été amenés à travailler ?

Laurence : La plupart du temps, les chœurs ont déjà été pensés par le leader ou le groupe. Avec Malted Milk ce sont Arnaud et Igor qui font ce travail sauf sur le dernier opus où Marco Cinelli qui, en plus d’en être l’auteur, a écrit des chœurs complètement incroyables ! Et le reste du temps, si nous avons plus de liberté, on propose et les musiciens disposent ! 

Julie : Il arrive aussi que nous ne participions pas à l’enregistrement d’un album, mais qu’on nous contacte pour des concerts, il reste donc à relever et adapter les chœurs pour la scène, quelles voix nous sélectionnons pour que cela sonne à deux, bref, un petit travail d’arrangement. Et d’autres fois, nous avons quelques consignes pour l’élaboration des chœurs, les moments auxquels ils doivent intervenir, les ambiances recherchées. Finalement c’est exactement le même travail que pour un pupitre de cuivres.

Laurence Le Baccon, Julie Dumoulin, Cahors Blues Festival 2019 © Christophe Mourot

“Le fait de faire des chœurs permet de gagner en précision dans le chant, de développer l’oreille, et d’être ainsi toujours plus à l’écoute.”

Laurence Le Baccon

Vous êtes également chanteuses lead au sein de vos propres projets [The String Breakers, LLB et Nuca Swing Gangpour Laurence, Julie Dumoulin Quartet pour Julie]. En quoi votre expérience en tant que choristes permet de nourrir votre rôle de lead et vice-versa ? 

Laurence : Les meilleures chanteuses lead ne font pas nécessairement les meilleurs choristes. Le fait de faire des chœurs permet de gagner en précision dans le chant, de développer l’oreille, et d’être ainsi toujours plus à l’écoute. Mon chant est devenu plus épuré et efficace précisément parce qu’être choriste t’oblige à intervenir au moment le plus opportun. J’ai la chance d’avoir à mes côtés Julie qui est une excellente percussionniste, ce qui m’apporte beaucoup rythmiquement, également. Dans le Tribute To Aretha que nous avons développé depuis 2019 avec Fabrice Bessouat, Cédric Le Goff, Yann Cuyeu et Igor Pichon, pour la première fois de ma vie, je me retrouve dans la position de la chanteuse lead accompagnée par trois choristes : Julie, bien sûr, Louise V.O. et Fabiola Roy. C’est un sacré boost !

Julie : Apprendre à chanter dans un chœur, permet de se sensibiliser à la notion d’équilibre. Je passe mon temps à chercher ce que j’appelle “la bulle” : je suis à l’aise et je prends plaisir uniquement si j’entends un mix où toutes les voix sont toutes au même volume et avec la même intensité. Bref, une histoire de dosage où il est impératif de savoir si nous sommes assez présentes. Je pense que tout cela vient subtilement alimenter mon expérience de leader de groupe. Et ce que je peux tirer de mon expérience de chanteuse lead pour les chœurs, c’est de l’assurance, une gestion du trac, mon attitude scénique, de l’adaptabilité aux situations moins confortables, et une certaine interaction avec le public.

Un dernier mot sur la manière dont vous envisagez les choses pour la suite.

Julie : Nous nous sommes habituées au fait qu’il peut se passer trois semaines ou six mois avant de pouvoir être amenées à rejouer ensemble avec telle ou telle formation. Au bout de dix ans, on arrive à prendre le bonheur là où il est, dans le plaisir et le partage. Il n’y a plus de frustration, ce n’est pas grave si ce n’est pas pérenne. Cela demande sans doute un peu d’expérience pour en arriver là. 

Laurence : Nous n’avons jamais eu de plan de carrière ! En dix ans, de jeunes chanteuses ont émergé à Nantes, à Rennes, etc. On comprend tout à fait que des groupes pour lesquels nous chantons ou avons chanté fassent appel à d’autres choristes pour obtenir d’autres couleurs, d’autres esthétiques, d’autres grains de folie. Mais les projets continuent de se présenter de manière régulière et on veut juste que cela se poursuive ainsi. Continuer avec Malted Milk, s’impliquer dans des aventures plus ou moins ponctuelles comme nous avons pu le faire avec Alexis Evans, Lowland Brothers ou Denis Agenet & Nolapsters, faire des concerts, aller en studio, c’est ce qui nous fait vibrer ! 

Propos recueillis par Nicolas Deshayes en juin-juillet 2022.
Photo d’ouverture : Julie Dumoulin et Laurence Le Baccon © Louise VO

Julie DumoulinLaurence Le BacconNicolas Deshayes