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Hommages / 03.12.2019

Jacques Morgantini, 1924-2019

Avec quelques autres, au premier rang desquels nos amis Jacques Demêtre et Kurt Mohr, Jacques Morgantini fait partie des premiers “passeurs” qui ont présenté le blues au public français. 

Comme nombre d’amateurs de cette époque, c’est par le jazz, découvert adolescent par les disques de démonstration de son père vendeur d’électrophones, qu’il est arrivé au blues. Il rejoint vite le Hot Club de France et restera fidèle du fil des années, malgré tout, à Hugues Panassié. C’est dans le cadre du HCF – dont il fonde la déclinaison paloise en 1945 – qu’il organise en 1951 une tournée française de Big Bill Broonzy, qu’il accueille huit jours chez ses parents, à Pau. Avec la complicité de Jean-Marie Monestier, un disquaire bordelais, il se lance dans l’organisation de tournées françaises pour des musiciens de blues et de jazz, parmi lesquels figure la venue annuelle du Chicago Blues Festival, qui fête ses 50 ans. Ces visites sont l’occasion pour Jacques Morgantini et son épouse Marcelle – rencontrée lors d’une conférence sur le blues, bien entendu – d’accueillir les musiciens dans leur maison afin d’échanger avec eux mais aussi de les enregistrer, soit en session informelle soit à l’occasion de concerts donnés dans la région – une habitude qu’il continuait à mettre en œuvre encore très récemment.

C’est dans ce cadre que John Lee Hooker grave, en 1970, l’album “Get Back Home In The U.S.A.”, pour le label Black & Blue fondé quelques années plus tôt. Jacques Morgantini assume ensuite la supervision d’une partie des autres enregistrements blues du label, comme le “Southside Lady” de Koko Taylor ou le “Screamin’ And Cryin’” d’Otis Rush. Parfois mal accueillis par la critique internationale, ces disques, qui n’ont certes pas tous bien vieilli, ont joué un rôle majeur dans la culture musicale des amateurs français et constituent, au-delà de leur qualité artistique, des documents précieux sur des artistes négligés à l’époque dans leur propre pays – une large partie de ces albums sera d’ailleurs publiée aux États-Unis lors du “blues boom” des années 1990… Quelques années plus tard, c’est son épouse qui s’engage, avec son appui et son soutien, dans la production discographique, avec une série de disques réalisés “sur le vif” à Chicago pour son label, MCM, dont l’impact a été important sur le public français. 

Il mène en parallèle une œuvre de pédagogue et de critique, à base d’articles, en particulier pour le Bulletin du Hot Club de France – il est encore au sommaire du numéro de novembre, avec un article sur Sonny Boy Williamson –, de conférences, mais aussi plus récemment de stages. C’est dans cette même logique de diffusion de la musique qu’il contribue, en tant que producteur et auteur de notes de pochettes, à de nombreuses rééditions, en particulier pour RCA, Frémeaux et EPM, et qu’il élabore, toujours pour Frémeaux, un CD intitulé “Savoir Écouter le Blues” dont Soul Bag souligne l’intérêt pédagogique à la sortie. 

Réticent à l’idée d’écrire ses mémoires, c’est à la caméra qu’il confie ses souvenirs pour un film, Mémoire de Blues, sorti en DVD en 2016, qui reprend de nombreuses images inédites issues de ses archives. L’année suivante, il est récipiendaire d’un des Keeping the Blues Alive Awards, prix qui couronne logiquement un homme qui a consacré sa vie à la défense et à la diffusion du blues et du jazz.

Texte : Frédéric Adrian
Photos : avec John Lee Hooker. © DR

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