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Hommages / 03.10.2021

Ils nous quittent : Clarence McDonald, Willie Winfield, David Johnson, Bruce Conte, Charles Connor…

Hommages aux artistes et personnalités disparus ces derniers mois.

Clarence McDonald (1945-2021)

Bien qu’il n’ait jamais enregistré sous son nom, Clarence McDonald a été pendant cinq décennies un acteur majeur de la scène musicale de sa ville natale, Los Angeles, et son nom est associé à des classiques majeurs pop et soul des années 1970 et 1980. Passionné de musique dès son plus jeune âge, il commence au saxophone avant de choisir le piano. À peine adolescent, il se produit déjà dans les clubs de la ville avec la chanteuse Lorez Alexandria et au sein du quintet du batteur Chico Hamilton, avant de devenir au début des années 1960 le directeur musical des Hi-Fis, un groupe vocal local qui après différents changements de nom deviendra les Fifth Dimension. Avec eux (qui s’appellent alors les Vocals), il tourne notamment en première partie de Ray Charles.

Sa mobilisation et un séjour au Vietnam viennent interrompre sa carrière, qu’il relance à son retour à la fin des années 1960. Il s’impose alors dans les studios de Los Angeles à la fois comme musicien, arrangeur et compositeur, puis à partir des années 1970 comme producteur. Sollicité par des artistes pop (James Taylor, Barbra Streisand, les Mamas & the Papas, Boz Scaggs…) et jazz (Blue Mitchell, Ernie Watts, Nancy Wilson, Ella Fitzgerald…), c’est dans la soul qu’il rencontre le plus de succès, avec des artistes aussi divers que Deniece Williams (dont il co-écrit une bonne partie du premier album), les Emotions (dont il co-produit avec Maurice White le tube Best of my love) ou Bill Withers (dont il arrange l’éternel Lovely day). Au fil des années, il apporte sa touche, dans ses différents rôles, à des disques majeurs de Merry Clayton, Mike James Kirkland, Willie Hutch, Z.Z. Hill, Tina Turner, Sam & Dave, Aretha Franklin, The Mighty Clouds of Joy, The Temptations, Bobby Womack, Ray Charles, DJ Rogers, Billy Preston, Natalie Cole et bien d’autres.

Photo © DR

Willie Winfield (1929-2021)

Retiré de la scène depuis deux ans à peine – à l’âge de 90 ans ! –, Willie Winfield a incarné pendant près de 70 ans le doo-wop. Chanteur principal des Harptones, il remporte avec ses camarades de groupe l’Amateur Night de l’Apollo en novembre 1953, et le groupe fait ses débuts discographiques dans la foulée sur le label new-yorkais Bruce records, avec leur version du standard A Sunday kind of love. Le succès est immédiat, et le groupe se taille une solide réputation scénique apparaissant aussi bien à l’Apollo que dans les légendaires shows montés par le DJ Alan Freed (dont le tout premier Rock’n’Roll Jubilee Ball en janvier 1955), tout en enregistrant régulièrement avec les meilleurs musiciens de la ville – Mickey Baker, Sam “The Man” Taylor… – pour différents labels. La popularité du doo-wop s’éteignant progressivement, le groupe se sépare en 1964 mais se reforme dès 1969, toujours avec Winfield pour se produire sur le circuit naissant de la nostalgie tout en reprenant leur carrière discographique, avec différents singles et “Love Needs”, publié en 1982. Si les Harptones, qui se produisent ponctuellement dans des festivals rétros en Europe, changent régulièrement de personnel à partir des années 1980, Winfield – qui n’a jamais tenté de carrière sous son nom – en reste la constante jusqu’à sa récente retraite, et sa voix peut être considérée comme un des archétypes du genre.

Dusty Hill (1949-2021)

Inamovible (et probablement irremplaçable) bassiste de ZZ Top depuis les premiers jours du groupe, Joseph Michael “Dusty” Hill avait fait ses débuts sur la scène blues rock de sa ville natale, Dallas, dès le milieu des années 1960 au sein de différents groupes, dont American Blues, bien souvent aux côtés de son frère, le guitariste Rocky Hill. 

Jacob Desvarieux (1955-2021)

Figure majeure des musiques caraïbes, dont l’influence a été saluée entre autres par Miles Davis et Stevie Wonder, le chanteur et guitariste s’était fait remarquer sur la scène parisienne funk et disco de la fin des années 1970, avant le lancement de Kassav’, participant à différentes productions dans ces registres, au sein du Zulu Gang et, souvent en lien avec le producteur Pierre Jaubert, avec des artistes comme Brenda Mitchell, Chantal Curtis, Beckie Bell, Robert Helms…

Bruce Conte (19??-2021)

Originaire de Californie, le guitariste Bruce Conte fait ses débuts localement avec son cousin, le bassiste Vincent Conte. En 1970, il s’installe dans la région de San Francisco et rejoint le groupe Loading Zone, avec lequel il assure régulièrement la première partie des concerts locaux de Tower of Power. Il participe également à des séances locales, notamment avec Papa John Creach et Freddie Roulette. En 1972, le leader de TOP l’invite à rejoindre le groupe, au sein duquel il reste jusqu’en 1979, contribuant à sept albums studio et un live. Il continue ensuite à se produire localement avec différents ensembles, puis s’installe à la fin des années 1980 à Los Angeles, où il rejoint les vétérans locaux de la scène latin rock El Chicano. Il publie quelques disques personnels à partir de la fin des années 1990 puis rejoint au début des années 2000 le Allstars de l’ancien guitariste d’Earth Wind & Fire Al McKay avec lequel il tourne dans le monde entier, avant de retrouver au milieu de la décennie les rangs de Tower of Power pour quelques mois. Des problèmes de santé l’obligent ensuite à prendre du recul, mais il avait fait une apparition avec le groupe à l’occasion de son concert anniversaire de juin 2018. 

Charles Connor (1935-2021)

Né à La Nouvelle-Orléans, Charles Connor est encore adolescent quand il fait ses débuts de batteur derrière les vedettes locales, de Professor Longhair à  Smiley Lewis et passant par Guitar Slim, Jack Dupree (avec qui il enregistre dès 1953) et Shirley and Lee. En 1953, il rejoint les Upsetters de Little Richard, qu’il accompagne sur la route et sur les écrans de cinéma (Don’t Knock the Rock, The Girl Can’t Help It…) mais aussi, plus ponctuellement, en studio, quand celui-ci n’enregistre pas à La Nouvelle-Orléans. Il apparaît néanmoins sur certains classiques comme She’s got it, Ooh! my soul, Keep a knockin’ et Whole lotta shakin’ goin’ on. Son introduction spectaculaire sur Keep a knockin’ sera décalquée par John Bonham sur le Rock and roll de Led Zeppelin. Il enregistre également avec Don Covay et Christine Kitrell. Quand Richard se retire des affaires, il poursuit sa carrière avec les Upsetters et accompagne sur scène James Brown, Sam Cooke, Jackie Wilson et quelques autres, avant de monter ses propres Upsetters – dont il est le seul membre historique – pour se produire sur le circuit de la nostalgie. Il a publié quelques disques sous son nom ainsi que deux livres. Un documentaire consacré à son parcours, Charles Connor: Rock’n Rhythm, est en préparation.

Walter Yetnikoff (1933-2021)

Figure majeure et controversée de l’industrie musicale, Walter Yetnikoff a mené la plus grande partie de sa carrière au sein de CBS Records, qu’il rejoint en tant que juriste au début des années 1960 et dont il est le président de 1975 à 1990. Il est particulièrement associé à la carrière solo de Michael Jackson : c’est lui qui impose à MTV, alors réticent à l’égard des artistes afro-américains, de diffuser ses vidéos. 

J.D. Hill (1955-2021)

Peu enregistré (un album personnel en 2000 et quelques séances occasionnelles), le chanteur et harmoniciste J.D. Hill a été une figure de la scène blues de La Nouvelle-Orléans à partir de son installation au début des années 1980. Habitué des clubs locaux avec son groupe J.D. & the Jammers, il était connu pour son habitude à partager la scène avec d’autres musiciens, du débutant de passage à Dr. John, un habitué des jam sessions que Hill a longtemps animé à la  St. Roch Tavern. 

Maryland Pierce (1933-2021)

Dernier survivant du line-up classique des Five Keys, Maryland Pierce avait rejoint le groupe en 1950 et participé, bien souvent en temps que chanteur principal, à l’ensemble de leurs disques des années 1950 et 1960 pour les labels Aladdin, Groove, Capitol et King, parmi lesquels les classiques The glory of love, Ling, ting, tong et Close your eyes, et à de nombreuses tournées, notamment sous l’égide d’Alan Freed. Le groupe original se sépare au début des années 1960, mais différentes versions, avec ou sans les membres historiques, apparaissent dès le milieu de la décennie sur le circuit de la nostalgie, et Pierce conduit sa propre version du groupe au moins jusqu’à la fin des années 2000.

Frank Troutt (19??-2021)

Frank Troutt est encore lycéen à Philadelphie quand il forme, avec quelques amis, un groupe vocal baptisé les Premiers, qui se rebaptise les Versatiles pour son premier single qui sort en 1960 sur un petit label local mais passe inaperçu. Après quelques mois de pause pour cause d’armée, le groupe se reforme sous le nom des Majors. Découvert par Jerry Ragovoy, il signe avec Imperial et publie une série de singles ainsi qu’un album produits par celui-ci, connaissant un certain succès avec leur premier 45-tours, A wonderful dream. Le groupe tente de se réinventer au milieu des années 1960, avec un single pour ABC sous le nom des Performers (rien à voir avec le groupe du même nom qui enregistre pour Mirwood), mais sans grands résultats, et le groupe se sépare alors. Il se reforme au grand complet en 1986 à l’occasion d’une émission de télévision de Dick Clark, puis commence à se produire sur le circuit de la nostalgie, même si Troutt ne participe pas systématiquement à ces réunions.

Tom T. Hall (1936-2021)

Chanteur country très populaire, avec de nombreux titres classés dans les charts spécialisés, Tom T. Hall était surnommé The Storyteller pour ses talents d’écriture. Son plus grand classique était Harper Valley P.T.A., popularisé par la chanteuse country Jeannie C. Riley et repris côté soul par King Curtis, les Unifics, Ace Cannon, Clarence Carter, Mary Jane Hooper, Denise LaSalle… D’autres de ses compositions ont été reprises par Buddy Miles, Solomon Burke, Dave Specter et Tad Robinson, John Jackson, le trio Neal Black-Nico Wayne Toussaint-Fred Chapellier …

Bubba Sullivan, 1940-2021

Berbon Silas “Bubba” Sullivan nous a quittés le 18 août 2021 à l’âge de 81 ans. Méconnu en Europe, Sullivan fut pourtant un activiste du blues dans la région d’Helena, Arkansas, où il côtoya les grands bluesmen qui animaient la fameuse émission de radio King Biscuit Time sur KFFA. Tout naturellement, il décide de fonder en 1986 avec Jerry Pillow le King Biscuit Festival, avec à l’affiche de la première édition Lonnie Shields, Robert Lockwood Jr., Pinetop Perkins, James Cotton, Frank Frost, Jack Johnson, Sam Carr, Willie Foster, T-Model Ford et CeDell Davis ! L’année suivante, Sullivan ouvre le Bubba’s Blues Corner, un magasin de disques qui fera le bonheur de visiteurs venus de tous les coins du monde… Enfin, il s’investira comme historien pour la Sonny Boy Blues Society, la société qui produit le King Biscuit Festival. (Daniel Léon)

Don Everly (1937-2021)

Si les Everly Brothers sont aujourd’hui rattachés au rock ‘n’ roll ou à la country, le duo formé par Don et son frère Phil ont connu à la fin des années 1950 une grande popularité auprès du public afro-américain : cinq de leurs singles se sont classés dans les charts R&B, et une de leur chanson, Cathy’s clown, a même été numéro 1, devant le Wonderful world de Sam Cooke et le Doggin’ around de Jackie Wilson ! 

Scott M. Bock (1956-2021)

Bien qu’il n’en ait jamais fait son métier – il dirigeait depuis des années une institution dédiée à la santé mentale à côté de Boston –, Scott M. Bock n’a jamais cessé d’écrire sur la musique, et en particulier sur le blues et la soul. Il est l’auteur de très nombreux articles parus entre autres dans Living Blues et Blues & Rhythm, et de notes de pochettes, telles que celles de l’album de Crystal Thomas récemment paru. Soul Bag a régulièrement accueilli ses articles dans les années 2000, avec notamment à son crédit des interviews de Guitar Shorty, Kenny Brown, Mac Arnold, Johnnie Bassett, Beverly Watkins, Robert Randolph, Nappy Brown…

Lloyd Harris Jr (19??-2021)

Enseignant de musique et chef d’orchestre, Lloyd Harris a été pendant cinq décennies une figure du système éducatif de La Nouvelle-Orléans. Il s’est occasionnellement approché de l’industrie musicale de la ville, assurant en particulier le management de Chocolate Milk au moment de leur premier album, “Action Speaks Louder Than Words”, dont il cosigne le répertoire.

Elmer Brown (19??-2021)

Figure omniprésente de la scène de Chicago tout au long des années 1970 et 1980, le trompettiste Elmer Brown, qui a brièvement fait partie d’Earth, Wind & Fire à la fin des années 1970, a notamment enregistré avec Fenton Robinson, Walter Jackson, Tyrone Davis, Jerry Butler, les Emotions, LeRoy Hutson, les Dells, les Manhattans, Koko Taylor, Arie White, Johnny Dollar, Big Jack Johnson… Au début des années 1980, il tourne et enregistre avec le big band du bassiste jazz Jaco Pastorius. Plus discret à partir des années 2000, il tourne notamment avec Lucky Peterson au début de la décennie. 

Harry Coombs (1935-2021)

Vétéran de l’industrie musicale, Harry Coombs fait ses débuts chez CBS puis Capitol avant de rejoindre Philadelphia International Records dès le début des années 1970. Responsable de la promotion puis vice-président en charge des opérations internes et de la promotion, il est associé au succès du label de Gamble & Huff, participant à la réussite commerciale des disques d’artistes comme Teddy Pendergrass, Harold Melvin & the Blue Notes, Billy Paul ou les O’Jays. S’il reste salarié de PIR jusqu’en 2002, il monte également son propre label dans les années 1980, Tempre Records, qui publie en particulier le premier album de LeVert, dont il continue à assurer le management alors que le groupe a signé avec Atlantic.

Jacques Chesnel (1928-2021)

Activiste de la scène jazz caennaise, collaborateur de Jazz magazine et Jazz Hot, auteur de plusieurs ouvrages sur le jazz, Jacques Chesnel était également peintre : il a notamment illustré et rédigé les notes d’une partie des pochettes de la série France’s Concert parue à la fin des années 1980 qui reprenait notamment des enregistrements live de Muddy Waters, Freddy King ou Memphis Slim. 

Leonard “Doc” Gibbs (1948-2021)

Originaire de Philadelphie, le percussionniste Leonard Gibbs – qui tient son titre médical de Grover Washington Jr – abandonne au début des années 1970 ses études à la Pennsylvania School of Fine Arts pour se lancer dans une carrière de sideman de luxe qui le conduit notamment dans les orchestres de Grover Washington Jr et de Bob James, avec qui il enregistre plusieurs albums. Il fonde avec ses collègues de l’ensemble de Washington un groupe baptisé Locksmith qui grave un disque produit par Harvey Mason au début des années 1980. À partir du milieu des années 1970, il participe à de nombreuses séances, en particulier pour Donny Hathaway, Keni Burke, les O’Jays, Lou Rawls, Jean Carne, Al Jarreau, George Benson et Harold Melvin & the Blue Notes, une activité qu’il poursuit jusqu’aux années 200, apparaissant notamment sur deux albums d’Erykah Badu. Il avait publié un album personnel en 1981, “Tingle!”, et un second en 2002, “Servin’ It Up Hot!!!”, avec la participation notamment de Jon Lucien et Gerald Veasley. 

David Johnson (1950-2021)

Johnson est à peine adolescent quand il commence à travailler pour Tune Town, le magasin de disque monté à Sheffield, dans l’Alabama, par Quin Ivy, le DJ de radio et producteur responsable, en particulier, de When a man loves a woman. Au fil du temps, sa collaboration avec Ivy se développe à la radio d’abord – il lui arrive, à seize ans à peine, d’assurer toute l’émission nocturne de WLAY – puis au studio Quinvy, où il commence à participer en tant qu’assistant à des séances tout en jouant un rôle d’homme à tout faire. Il prend progressivement des responsabilités, notamment dans la promotion des disques publiés sur Quinvy et South Camp. Quand le studio déménage en 1968, il en devient le directeur et l’ingénieur du son en chef, avant de le racheter en 1973 et de le rebaptiser Broadway Sound. Pendant cette période, il collabore régulièrement avec Swamp Dogg, assurant l’enregistrement de plusieurs de ses albums (“Rat On!” et “Cuffed, Collared & Tagged” en particulier) et de ses productions pour des artistes tels que Z.Z. Hill, Freddie North, Doris Duke, Charlie Whitehead et même Lightnin’ Slim.

Il est également aux manettes pour des séances de Percy Sledge et J.J. Cale ainsi que pour certaines des premières séances de Lynyrd Skynyrd. Il développe parallèlement une activité de producteur, pour Percy Sledge en particulier, mais ses deux plus grandes réussites, pour James Govan (“I’m In Need”) et Sandra Wright (“Wounded Woman”) restent dans les tiroirs des labels jusqu’aux années 1980 et des sorties sur des labels européens. Ces deux disques ont été réédité en 2007 sur un CD sous le titre “The Broadway Sound Sessions”. Le studio, où Clarence Carter enregistre quelques albums dans les années 1980, ferme ses portes dans le courant de la décennie, et Johnson se consacre ensuite, jusqu’à sa retraite en 2010, à la direction du Alabama Music Hall of Fame, où il assure notamment la promotion du son de Muscle Shoals dont il a été un important protagoniste.

Textes : Frédéric Adrian

Bruce ConteCharles ConnorClarence McDonaldDavid JohnsonWillie Winfield