;
Hommages / 03.07.2018

Henry Butler, 1949-2018

Attendu sur les scènes françaises – au Duc des Lombards et à Nice – cet été, le piano d’Henry Butler, héritier naturel de la tradition pianistique de La Nouvelle-Orléans incarnée notamment par Jelly Roll Morton, Professor Longhair, Dr. John, James Booker et Allen Toussaint et maillon majeur de sa transmission, s’est tu définitivement ce 2 juillet, avec le décès du musicien, conséquence du cancer qu’il affrontait depuis plusieurs mois. 

 

Né le 21 septembre 1949 dans les HLM de Calliope, à La Nouvelle-Orléans, Butler perd la vue pendant sa petite enfance, mais développe très vite un talent musical hors du commun. S’il découvre seul le piano, il bénéficie d’un enseignement formel à la Louisiana State School for the Blind, où il apprend, entre autres, le trombone et la batterie ainsi que la lecture de partitions en braille, avant de rejoindre la Southern University basée à Baton Rouge. Il y poursuit ses études sous la direction du clarinettiste Alvin Batiste et fait ses débuts discographiques avec le Jazz Ensemble de l’université avec l’album “Live At The 1971 American College Jazz Festival”, dont il signe une bonne partie des arrangements. C’est à la Michigan State University qu’il obtient son diplôme final en musique en 1974. Très vite habitué des scènes de La Nouvelle-Orléans – un de ses morceaux apparaît sur l’album du dixième anniversaire du New Orleans Jazz & Heritage Festival, enregistré en 1976 –, il reste cependant quasi-absent des studios d’enregistrement jusqu’au milieu des années 1980. Signé sur Impulse!, alors un label appartenant à MCA, il y publie deux albums plutôt orientés jazz, “Fivin' Around” et “The Village”, en 1986 et 1987 respectivement sur lesquels il est accompagné par des pointures (une rythmique Jack DeJohnette-Ron Carter sur le second…). 

 


Périgueux, 2004 © Brigitte Charvolin

 

Enregistré en 1989 au Tipitina’s et publié l’année suivante sur Windham Hill Jazz, “Orleans Inspiration” marque un changement de direction : tant le répertoire, qui emprunte largement aux classiques locaux, que les accompagnateurs (parmi lesquels le guitariste des Meters Leo Nocentelli) s’inscrivent dans la tradition du rhythm and blues louisianais. C’est d’ailleurs le premier disque de Butler qui sera mentionné dans les colonnes de Soul Bag. L’expérience est cependant sans suite immédiate, le pianiste revenant à un jazz plus classique pour ses disques suivants. Il faut attendre “Blues After Sunset”, publié en 1998 sur Black Top pour que Butler retrouve un univers musical plus proche des centres d’intérêt de Soul Bag, sur un répertoire largement issu de sa plume et avec l’aide à la guitare de Snooks Eaglin. “Vü-Dü Menz”, paru sur Alligator deux ans plus tard et enregistré en duo avec Corey Harris, prolonge cette orientation blues – les deux hommes le présenteront d’ailleurs sur scène lors du festival de Cognac Blues Passions en 2003.

 

Paru en 2002, “The Game Has Just Begun ” ne fait pas l’unanimité avec son recours à l’électronique – Soul Bag ne lui attribue qu’une très maigre étoile – mais les deux disques suivants, “Homeland” et “PiaNOLA Live”, plus inscrits dans la tradition pianistique néo-orléanaise, rassurent ses admirateurs de longue date. Les suites de l’ouragan Katrina lui imposent de quitter sa ville natale – il finira par se fixer à New York –, mais c’est sur la route que Butler passe une bonne partie de son temps, se produisant régulièrement en France et en Europe. Il apparaît également dans la série Treme et mène en parallèle une carrière inattendue, celle de photographe, qui lui vaut de participer à différentes expositions et à un documentaire diffusé sur HBO. Discret au plan discographique, il se contente pour l’essentiel de participations à des projets collectifs comme le New Orleans Social Club et à jouer le sideman de luxe pour, entre autres, Taj Mahal et Elvin Bishop. C’est en partenariat avec le trompettiste Steven Bernstein qu’il signe en 2014 son dernier album, le très réussi “Viper's Drag”, en hommage aux débuts du jazz de La Nouvelle-Orléans, tout en continuant à se produire, malgré la maladie, dans le monde entier jusqu’à il y a quelques jours.

Frédéric Adrian