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Hommages / 11.09.2021

Byther Smith (1932-2021)

La création artistique, quelle qu’elle soit, ne se résume jamais à une explication par la biographie. Difficile néanmoins de ne pas inscrire le blues de Byther Smith, avec son intensité et sa violence à peine contenue, dans son parcours de vie.

Né à Monticello, dans le Mississippi, il perd immédiatement sa mère, qui décède au cours de l’accouchement, et quelques mois plus tard son père, et est élevé par son oncle et sa tante. Installé en Arizona à l’adolescence, il travaille dans un ranch puis dans la construction, et tâte un peu de la boxe avant de se mettre à la musique, jouant de la basse dans des groupes country locaux. Installé à Chicago avec sa femme au milieu des années 1950, son cousin J.B. Lenoir l’introduit dans le milieu blues de la ville. Passé à la guitare, influencé par le West Side sound de Buddy Guy et Magic Sam, il commence à se produire dans les clubs locaux, notamment avec Otis Rush, mais ses rares enregistrements pour des labels locaux (Thanks you Mr. Kennedy, la faute d’orthographe est d’époque !) au début des années 1960 sous le nom de Byther Smith And The Lover Boys, puis trois singles dans la décennie suivante pour C.J. Records (le semi-classique Give me my white robe, qu’il réenregistre pour Delmark dans les années 1990) et Be Be Records) ne lui permettent pas de se faire remarquer en dehors de Chicago. Dans les années 1970, il rejoint l’orchestre de Junior Wells, avec qui il se produit régulièrement au Theresa’s. Un disque live crédité à Wells documente cette étape de sa carrière (“Live At Theresa’s 1975”, paru en 2008 sur Delmark). Il enregistre également quelques titres avec Sunnyland Slim pour le label de celui-ci et tourne avec George Smith et Big Mama Thornton.

Il faut attendre le début des années 1980 et la parution d’un premier album sous son nom sur Grits, “Tell Me How You Like It”, et surtout sa reprise en Europe quelques mois plus tard par Red Lightnin’, pour que le nom de Byther Smith parvienne largement aux amateurs de blues, et Smith tourne au Japon – où deux albums paraissent sous l’étiquette Mina – et en Europe, où il participe à la tournée 1985 du Chicago Blues Festival et enregistre quelques faces pour un disque Blue Phoenix partagé avec Larry Davis. C’est encore un label européen, JSP, qui publie son album suivant, “Addressing The Nation With The Blues”. Largement considéré comme un des meilleurs disques de Chicago blues des années 1980-1990, le disque fait entendre le blues sans concession de Smith, marqué par l’intensité de son jeu de guitare et une écriture qui refuse les clichés du genre. Sans aucun doute une des meilleures productions à être publiées sur le label de John Steadman, couronné du Pied dans Soul Bag, il sera réédité à plusieurs reprises, la dernière en 2004.

1985 © Brigitte Charvolin
1985 © Brigitte Charvolin

Alors que le blues boom de la fin des années 1980 bat son plein, cette réussite attire enfin l’attention des labels américains sur la musique de Smith, et Bullseye publie deux albums sous son nom au début des années 1990, “House Fire”, tiré des sessions Grits, et “I’m A Mad Man”, enregistré à Memphis avec Ron Levy, tandis que Evidence se décide à publier pour la première fois aux États-Unis l’album gravé pour Blue Phoenix presque dix ans plus tôt et que les titres de l’album Grits comme I don’t like to travel et Hold that train apparaissent sur d’innombrables compilations bon marché. Cette visibilité renforcée permet enfin à Smith de quitter son “day” job à la Economy Folding Box Company… Son disque suivant sort en 1997 sur Delmark – premier label chicagoan à s’intéresser à lui depuis trente ans ! – sous le titre “All Night Long”. Loin de s’être assagi avec les années, Smith n’hésite pas à aborder dans ses textes des thèmes comme le racisme ou les problèmes liés au rôle des pères dans la communauté afro-américaine avec des morceaux percutants comme Mother you say you don’t like the black colors ou Something’s wrong with this picture. Il tourne à nouveau en France cette même année avec le Chicago Blues Festival, éblouissant notamment de sa classe le public de la regrettée Bagneux Blues Night.

Pris en charge par l’agence de tournée néerlandaise Crossroads booking, il devient un habitué des scènes européennes, se produisant régulièrement dans les clubs et les festivals français à la partir de la fin des années 1990. Ses deux albums suivants, “Smitty’s Blues” (2001) et “Thrown Away The Book” (2003), enregistrés avec les musiciens néerlandais qui l’accompagnent lors de ses tournées sur le continent et publiés sur Black & Tan, le label associé à l’agence, confirment qu’il n’a rien perdu de son mordant et de sa puissance d’évocation. Il retrouve Delmark en 2008 pour un album live très réussi, “Blues On The Moon – Live At Natural Rhythm Social Club”, qui sort également en DVD. Paru quelques mois plus tard sur Fedora, “Got No Place To Go” est plutôt moins réussi et reste son dernier album studio, même si Smith continue à se produire régulièrement aux États-Unis et en Europe (par exemple au festival de Lucerne en 2013) jusqu’à sa retraite au milieu des années 2010. Dans une interview des années 1990, il déclarait : « Si les gens parlent de moi quand je serai parti, j’espère qu’ils diront : “C’était un travailleur”. » Au vu de son parcours sans compromis ni compromission au service d’une certaine idée du blues, l’épitaphe, modeste, est plus que méritée.

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © Brigitte Charvolin

1985 © Brigitte Charvolin
Byther SmithFrédéric Adrian