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Hommages / 23.07.2019

Art Neville, 1937-2019

Avec le décès d’Art Neville, quelques semaines à peine après ceux de Dr. John et Dave Bartholomew, c’est un nouvel architecte majeur du son de La Nouvelle-Orléans qui disparaît, et un lien avec son histoire remontant aux années 1950.

Surnommé Poppa Funk, Arthur Lanon Neville est né le 17 décembre 1937 à La Nouvelle-Orléans où il passe toute son enfance. Scolarisé à la St. Monica School, il a pour camarade de classe James Booker et Allen Toussaint et s’intéresse très vite à la musique, comme ses frères. À peine adolescent, il rejoint les Hawketts, un groupe populaire mené par le tromboniste Carol Joseph, et c’est avec eux qu’il fait ses débuts en studio. À l’initiative du DJ local Jack the Cat, l’ensemble enregistre une version réarrangée avec des accents calypso d’un titre country popularisé localement par un certain Jody Levens, Mardi gras mambo. Enregistré en vitesse dans les studios de la radio WWEZ sur Canal Street et publiée en single par Chess, la chanson, sur laquelle Art est le chanteur principal, devient un succès surprise – sans que les principaux intéressés en bénéficient particulièrement en termes économiques.

La carrière du groupe est lancée : il accompagne sur disque et sur scène différents artistes Specialty comme Larry Williams et Little Richard, tandis que Art publie sous son nom quelques 45-tours avant de rejoindre pour quelques années la Navy. C’est son frère Aaron qui le remplace au sein des Hawketts. Dès son retour à la vie civile, il retrouve le monde de la musique et publie une série de singles pour le label Instant écrits, sous le pseudonyme Naomi Neville, par son ancien camarade Allen Toussaint. Quand son frère Aaron décroche un tube avec Tell it like it is, il l’accompagne, aux claviers mais aussi en tant que road manager, sur les routes de tout le pays puis, le succès s’étant essoufflé, il monte son propre ensemble, Art Neville and the Neville Sounds avec ses frères Cyril et Aaron, le guitariste Leo Nocentelli, le bassiste George Porter, le batteur Joseph Modeliste et le saxophoniste Gary Brown, qui joue dans un club situé à l’angle de Carondolet Street et Louisiana Avenue, le Nite Cap. 

© DR

Quelques années plus tard, le groupe est embauché pour jouer six soirs par semaine par un club de Bourbon Street, l’Ivanhoe. Celui-ci ne souhaite cependant accueillir que quatre musiciens, et seuls Nocentelli, Porter et Modeliste sont désormais de la partie, tandis que Aaron et Cyril forment The Soul Machine avec l’organiste Sam Henry. En plus de ses concerts, le groupe devient l’orchestre régulier des studios Jazz City. Sous la houlette d’Allen Toussaint, il enregistre, souvent en l’absence des artistes, les pistes d’accompagnements pour différents artistes comme Betty Harris et Lee Dorsey puis, plus tard, les Pointer Sisters, Dr. John, LaBelle et Robert Palmer. Rebaptisé The Meters, l’ensemble grave une série de singles et d’albums essentiellement instrumentaux pour le label Josie puis, avec l’addition en cours de route de Cyril Neville, pour Reprise et Warner Records. Certains de leurs enregistrements deviennent des succès commerciaux, et leur style particulier, avec un accent marqué sur la rythmique plus que sur la mélodie, a une forte influence sur la scène funk.

Le quartet se produit en Europe à l’été 1973 au sein d’une tournée qui comprend également Professor Longhair, Allen Toussaint et Dr. John, avec notamment des étapes à Montreux et à Paris, salle Pleyel, où il est hué par un public visiblement peu au fait des richesses du funk de La Nouvelle-Orléans. Même les musiciens rock et pop n’échappent pas aux Meters : le groupe fait la première partie de la tournée 1975-1976 des Rolling Stones et est embauché cette même année par Paul McCartney pour une fête de sortie d’album devenue légendaire (et publiée plus tard sur disque sous le titre “Uptown Rulers: The Meters live on the Queen Mary”). Hélas, des conflits avec leur management aboutissent à la fin du groupe en 1979, qui se contentera ensuite de reformations évènementielles jusqu’à une dernière apparition commune en 2013 sur un album de Trombone Shorty… La fin de l’aventure n’est cependant pas la fin de la popularité des Meters, dont la musique ne cesse d’être redécouverte, particulièrement par les artistes de hip-hop qui piochent avec enthousiasme dans les richesses de leur répertoire.

La disparition des Meters marque l’ouverture d’une nouvelle phase dans l’histoire artistique d’Art Neville. Quelques années plus tôt, en 1976, son oncle George Landry l’a invité à participer à l’album enregistré par son groupe d’Indiens, les Wild Tchoupitoulas, dont il est le leader sous le nom de Big Chief Jolly. Produit par Allen Toussaint, le disque fait appel sur un titre aux Meters, mais surtout invite l’ensemble de la fratrie Neville – Art, Aaron, Cyril et Charles, alors basé à New York – à ajouter ses voix à celles du groupe. De façon improbable, alors que tous travaillent dans le milieu de la musique depuis de nombreuses années, c’est la première fois qu’ils se retrouvent sur le même disque. L’idée fait son chemin et, en 1977, avec le retour à La Nouvelle-Orléans de Charles, les Neville Brothers sont nés.

The Meters : Art Neville, Zigaboo Modeliste, Leo Nocentelli, George Porter Jr. © DR
The Neville Brothers : Art, Aaron, Cyril, Charles. © DR
Allen Toussaint, Art Neville, New Orleans, 1991. © Stéphane Colin
New Orleans, 1991. © Stéphane Colin
New Orleans, 1991. © Stéphane Colin
New Orleans, 1992. © Jacques Périn

Un album éponyme paru en 1978 lance l’aventure qui se poursuivra jusqu’au début des années 2010, avec un dernier concert d’adieu en 2015 à La Nouvelle-Orléans. Pendant presque 40 ans, le groupe est l’incarnation dans le monde entier de la musique de sa ville d’origine. Il obtient, entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, quelques succès commerciaux (Sister Rosa, Yellow moon…) et tourne très régulièrement dans le monde entier, et notamment en France. Signe de son statut, c’est lui qui pendant de nombreuses années assure le concert final sur la plus grande scène du Jazz Fest. Alors qu’il avait été le premier à embrasser une carrière musicale, Art est le seul des frangins à ne pas se lancer dans une carrière solo, se partageant entre le groupe fraternel et différents groupes dérivés des Meters. Une prestation sous son nom au Jazz Fest de 2008 est une rare exception dans une démarche souvent dédiée au collectif – Aaron, invité attendu, avait d’ailleurs à cette occasion occupé l’avant de la scène une bonne partie du concert !

Des problèmes de santé récurrents l’avaient amené à annoncer fin 2018 sa retraite, mais son influence musicale n’est pas près de disparaître, incarnée notamment chez son fils Ian, guitariste du groupe Dumpstaphunk emmené par Ivan, le fils d’Aaron… 

Réunion des Meters en 2005 au New Orleans Jazz & Heritage Festival. © Stéphane Colin
Porretta, 2006. © Alain Jacquet
Vienne, 2006. © Brigitte Charvolin

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture : Montreux, 1973 © Monique Périn / Soul Bag Archives

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