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Live reports / 16.07.2014

Vache de Blues

Soumis à la concurrence de la coupe du monde de football et aux intempéries, le festival Vache de Blues 2014 a remporté la compétition haut la main grâce à une programmation de haut niveau, mettant l’accent sur le lien entre le monde de la mine et de la sidérurgie et l’immigration italienne, et une organisation maîtrisée. La petite scène a été laissée de côté et tous les concerts se sont déroulés sur la grande scène à l’abri de la tente conçue pour résister aux grands vents, ce qui a permis de passer le dimanche sans encombre. Dix-huit concerts couvrant une large palette de styles, les spectateurs qui ont bravé les deux aléas précités ont eu le choix !

Le vendredi 4 juillet, nous arrivons sur place déboussolés par le quart de finale indigent entre l’Allemagne et la France. Sneaky Pete, groupe multinational de blues moderne est en train de terminer son set, avec Claude “Sneaky Pete” Daleiden (g, vo), Bojan Perko (kbd), Alfredo P. Delgado (dm), Claude “Yatz” Pleimelding (b) et Ron “Rockin’ Ronny” Tuffel (hca). Leur blues électrique est solide et passe bien, avec le mérite de se donner face à un public pourtant clairsemé. Leur succède le Red Wagons Blues Band, formation de R&B composée de vétérans de la scène italienne. Marco Meucci (vo, p) et ses compagnons, Mauro Massei (bs), Stefano Barillà (ts), Riccardo Boni (as), Dino Gubinelli (b), Carlo Del Carlo (dm), Alessandro Angelucci (g), sont là pour la danse et égrènent des reprises de Guitar Slim, Ray Charles, Louis Jordan, Chris Powell, Mitch Woods, la section rythmique assurant le spectacle.

 


Claude “Sneaky” Pete Daleiden, Claude “Yatz” Pleimelding, Ron “Rockin' Ronny” Tuffel

 


Red Wagons Blues Band

 

C’est une scène bien chaude qui est laissée au Umberto Porcaro Band et son invité prestigieux Jerry Portnoy. Umberto (vo, g), Luca “Loppo” Tonani (b) et Riccardo Focacci (dm) ouvrent le set avec une série de titres plus Texas que Chicago sur lesquels Umberto montre son vrai talent à la guitare et au chant. Le son est ample et superbe, en particulier sur un excellent blues lent. Il va encore grossir et entrer dans une autre dimension, avec Jerry Portnoy qui, visiblement ralenti physiquement, a encore un souffle puissant qui fait instantanément appréhender la rupture entre les harmonicistes d’aujourd’hui et ceux qui ont côtoyé les bluesmen authentiques. Avec Jerry, le son et le feeling priment sur la vélocité. Malgré ce choc sensoriel, on ressortira frustré de cette séquence tant Jerry donne l’impression de se cantonner au service minimum, tout juste souriant, parcimonieux au chant, ne puisant qu’un seul titre dans son répertoire personnel, un Charge it qui n’a pas perdu son actualité, pour rester majoritairement dans celui de Little Walter. Une sortie de scène étrange confirmera cette impression.

 


Umberto Porcaro

 


Jerry Portnoy

 

C’est vers deux heures que Mike Sponza and The European Blues Convention monteront sur scène. Mike (g, vo) et ses musiciens, Matyas Pribojszki (hca, vo), Martin Gasselsberger (kbd), Matej Kuzel (s), Mauro Tolot (b) et Moreno Buttinar (dm), livrent un set de blues moderne tout en élégance musicale, et vestimentaire (ah la classe si particulière de Mauro Tolot ! ), parcourant le répertoire original de Mike, orné d’une reprise de Bo Diddley. Matyas Pribojszki est très fort à l’harmonica parcourant l’instrument d’un côté à l’autre à une vitesse vertigineuse, sans lasser puisque le format en sextet autorise une richesse et des couleurs instrumentales variées qui nous mèneront au bout de la nuit, ravis par la générosité du groupe, à fond du début à la fin, malgré une assistance de plus en plus réduite.

 


Mike Sponza, Moreno Buttinar, Matyas Pribojszki, Mauro Tolot

 


Mike Sponza

 

Le samedi commence avec l’heureuse surprise de Alegra & the Özdemirs. Une chanteuse de 16 ans, Alegra Weng, un organiste, Simon Oslender, un guitariste et un batteur, les frères Levent et Kenan Özdemir, entre 16 et 18 ans, deux choristes, Alexandra Baronsky et Anna Nienerowski, et le patron Erkan Özdemir à la basse, connu pour accompagner Memo Gonzales en Europe, pour un set de soul blues de qualité. La jeune Alegra a de la voix et du physique et tient bien la route sur des reprises d'Etta James, Aretha Franklin, Ann Peebles, manquant encore un peu de coffre sur les titres lents. Simon Oslender est bien le jeune prodige à l’orgue que les spécialistes promettent et Kenan Özdemir sait tirer le meilleur de sa Stratocaster. Un tel orchestre aurait mérité des cuivres et des tenues de scène coordonnées. Ce point est fort bien traité par Little Victor et les Juke Joints, Victor Puertas (p, hca), Steven Troch (hca, maracas), Pascal Delmas (dm), Fred Jouglas (b), tous porteurs d’une coiffure ou d’un accessoire léopard, du désormais légendaire fume-cigarette ou de lunettes noires, le leader apportant même des pots de fleurs sur scène. Au-delà de la mise en scène, le groupe tourne fort avec un rockabilly blues rempli de boogie, des solos qui s’enchaînent, des harmonicas qui se croisent, un chant scandé, pour un beau succès public. Les photos d’après concert montrent que les convertis au fez léopard et au fume-cigarette ont été nombreux.

 


Alegra Weng

 


Victor Puertas, Little Victor

 

Philippe Grancher et ses G-Men, Mr. Harderly (g), Clément Duventru (dm), Paolo Coccina (b), Simon Oslender (kbd, embauché à sa sortie de scène avec les Özdemirs ! ) vont ensuite apporter la touche de blues électrique classique nécessaire à un festival de cet ordre. Les soupirs d’aise du public qui reconnaît les riffs des reprises montrent que c’est bienvenu. Philippe est en grande forme, jouant de la guitare debout, derrière la tête, avec les dents, on a même cru à une duckwalk en fin de set ! Ce sont les mânes d'Albert King, Otis Rush et consorts que Philippe et les G-Men évoquent. Pas de pyrotechnie mais des solos bien pesés, des cordes bien tordues et des tensions/détentes. La rythmique Duventru/Coccina est impeccable et Mr. Harderly touche peu aux multiples pédales installées à ses pieds. Victor Puertas fait une apparition à l’harmonica. En clôture, Johnny Be Goode part en vrille avant d’être rattrapé à l’énergie. Changement d’ambiance avec le blues acoustique en duo Dave Goodman (vo, g) et Steve Baker (hca). Si Dave use bien d’une guitare acoustique, l’harmonica de Steve est amplifié, ce qui confère une belle puissance à leur musique, faite de blues, country et folk, que nous écoutons en dégustant le fameux bœuf à la Guiness cuisiné localement et servi avec la grande gentillesse qui caractérise tous les bénévoles du festival.

 


Philippe Grancher

 


Steve Baker et Dave Goodman

 

Autre changement d’univers avec Tia and the Patient Wolves dont on devine, en voyant l’installation des instruments de percussion que la musique ne va pas être convenue. Ce sera le cas avec des rythmes travaillés, très enrichis par les percussions, des pédales à effet pour les guitares, des bruitages sur la reprise de Down in Mississippi, des reprises revisitées comme celle d’Elmore James jouée façon Magic Sam, un répertoire mixant le blues de Chicago à celui du Mississippi et de La Nouvelle-Orléans (Ride your pony de Lee Dorsey), avant de finir sur un titre de Bo Diddley. Tia chante bien, a une jolie présence scénique, ses musiciens, Marc Glomeau (perc), Gilles Haenggi (dm), Jean-Marc Despeignes (b) et Manu Borghi (kbd) suivent de près, c’est une des agréables surprises du festival. Le niveau sonore et la puissance vont atteindre des sommets avec le Tribute to Lester Butler, composé de ses trois musiciens originaux Alex Schultz (g), Mike Hightower (bs) et Johnny Morgan (dm) et de l’harmoniciste chanteur néerlandais Big Pete, pour un set qui va laisser le public groggy sous les coups de boutoir des musiciens. Rythmique solide, vocaux assurés, incroyables solos d’harmonica et de guitare, son énorme, classe des musiciens, instrumental en trio (Look ka py py des Meters), émotion palpable, c’est un show fulgurant auquel nous assistons, qui montre à quel point Lester Butler, mort à 36 ans a pu marquer le monde du blues.

 


Tia Gouttebel

 


Alex Schultz, Johnny Morgan, Big Pete, Mike Hightower

 


Alex Schultz, Big Pete

 

Quoi de mieux pour conclure qu’une bonne partie de blues classique ? C’est ce que The French Blues Explosion et Sandra Hall vont nous offrir. Mr. Tchang (vo, g), Pascal Delmas (dm) et Fred Jouglas (b), vêtus de leurs costumes bleu, blanc, rouge, avec Victor Puertas en invité (kbd, hca), ouvrent vigoureusement le set, une gageure après le champ de bataille laissé par Big Pete et ses compères, avant que Sandra Hall prenne possession des lieux et du public. Elle enchaînera les grosses ficelles, coups de gorge, postures salaces, dialogue coquin avec le public, reprises de classiques, mais on rugit de plaisir tout de même, tant il est agréable d’écouter une chanteuse de son niveau, de voir, enfin, une personne afro-américaine sur scène, et de danser au son d’une musique en grande partie faite pour ça.

 


Mr Tchang, Victor Puertas, Pascal Delmas, Fred Jouglas

 


Sandra Hall

 

Nous manquons les deux premiers groupes du dimanche, The Wellies et les Hips Quakers, formations locales dont la plupart des membres sont aussi bénévoles de l’association Vache de Blues pour le festival. C’est donc avec Loretta and the Bad Kings que débute cette dernière journée. Le talent, l’engagement et le répertoire du groupe auraient mérité un horaire plus tardif pour profiter d’un public plus nombreux. Loretta est une excellente chanteuse, puissante sans avoir besoin de forcer, accent anglais impeccable, capable de se frotter au blues, au rock and roll, à la country et au difficile exercice de la ballade R&B, très belle reprise de Shake a hand, toute en sourire et élégance. Les Bad Kings ne sont que trois, Anthony Stelmaszack (g), Mig Toquereau (b, vo) et Andy Martin (dm), mais on dirait un orchestre plus complet. Anthony sait tout faire à la guitare, on aimerait qu’il se lâche encore plus, Mig tient sa basse quasi verticalement et produit une seconde voix de stentor, Andy est un batteur qui sait sortir des schémas basiques. Face à eux tout le monde se met à danser et le rappel ne suffira pas à combler notre appétit. À revoir très vite ! Ils laissent la place à Mauro Ferrarese (vo, g), Alessandra Cecala (ctb, vo), The Reverend and the Lady, avec Giusi Pesenti (perc). Deux jeunes femmes, ça explique tout de suite l’afflux de spectateurs mâles au pied de la scène et c’est bien là qu’il faut être pour écouter leur blues acoustique au répertoire ancien repris entre autres à Skip James, Ida Cox, ou Buster Brown, joué avec entrain, chanté alternativement par Mauro et Alessandra. Rejoints par Harmo Nico Vallone et Alain Michel aux harmonicas pour deux titres, le trio s’envole ensuite dans un final revigorant où les deux belles achèvent de conquérir le public.

 


Anthony Stelmaszack, Loretta

 


Alessandra Cecala

 


Mauro Ferrarese

 


Giusi Pesenti

 

Le temps de déguster l’autre spécialité culinaire du festival, le combiné saucisse italienne-frites, Francesco Piu va remettre le potentiomètre sonore à fond, en duo avec le batteur Pablo Leoni pour un set de blues plus inspiré à nos oreilles par les Black Keys ou Ben Harper que par les bluesmen authentiques du pre war ou du Mississippi. Guitare électrique en bandoulière ou acoustique, fortement amplifiée, à plat sur les genoux, Francesco a une belle énergie, un jeu très véloce, un chant correct, mais pourrait ménager plus de silences dans un set qui frôle la saturation. C’est alors que les éléments se déchaînent avec orage et pluie diluvienne. L’organisation est ultra-réactive avec des bénévoles qui se précipitent pour canaliser l’eau qui déferle sur le toit de la tente et l’empêcher de noyer l’intérieur. Andy J. Forest remet tout ça sur les rails avec un show débridé de « zydebo crazy legs » selon ses propres termes, accompagné par Leo Ghiringhelli (g), Pablo Leoni (dm) et Luca Loppo Tonani (b). Blues, R&B, zydeco, Andy passe les styles de La Nouvelle-Orléans en revue et les joue à l’harmonica, au frottoir (avec des chausse-pieds ! ), à la guitare (une apparence de Telecaster mais taillée dans une porte de sa maison !), sautant, courant, silhouette désarticulée, chantant et racontant des histoires au micro, pour un résultat que ne renieraient pas les Monty Python. Il invite Jerry Portnoy et Umberto Porcaro pour un titre (Jerry Portnoy refusera le deuxième…) puis Alex Schultz et Big Pete, avant de conclure avec son groupe, petit passage “bodiddleyien” bienvenu, laissant le public pantelant et se demandant encore si ce qui vient de se passer était bien réel.

 


Francesco Piu, Pablo Leoni

 


Andy J. Forest et Jerry Portnoy

 


Andy J. Forest

 

Le festival s’achève avec un concert unique en Europe cet été des Jewel Tones, emmenés par leurs leaders Doug Deming (vo, g) et Denis Gruenling (hca). Andrew Gohman (b), Danny Banks (dm) sont à leur unisson dans un répertoire rock and roll, R&B, parfois blues. Originaux, reprises de Wynonie Harris, Little Walter, Cleveland Crochet (un Sugar bee en boogie poisseux) ou Eddie Boyd, le groupe passe tout à la moulinette jump à guitare et harmonica, entamant son set à toute vitesse avant de se stabiliser et gagner en chaleur et partage. Denis Gruenling est un des rares harmonicistes contemporains à nous faire fondre au chromatique, technique mais pas trop, ce qui lui permet de sortir le grand jeu dans un titre qui revisite moult standards du R&B. Le show bascule dans l’incroyable quand Doug Deming invite Alex Schultz et Big Pete, vite rejoints par Andy J Forest. Ce sera alors une succession de morceaux plus fous les uns que les autres, une orgie de solos de haut niveau, des musiciens manifestement heureux d’être ensemble et de recevoir les ovations ininterrompues du public.

 


Jewel Tones

 

Le retour à Metz, avec les silhouettes fantomatiques des usines le long de la route, si bien rendues par Baru, encore auteur de l’affiche cette année, dans ses bandes dessinées, se fait la tête remplie de souvenirs. Merci à Nico Vallone pour la programmation, à l’association Vache de Blues pour l’organisation, et à l’année prochaine !

Texte et photos : Christophe Mourot