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Live reports / 15.11.2009

TREMPLIN BLUES SUR SEINE

Lors du festival Blues sur Seine, le traditionnel tremplin propose toujours de nombreux prix convoités par des formations n’ayant jamais enregistré ou été distribuées pour un label. C’est une joie, et déjà une fin en soi, que de faire partie des 6 groupes ou artistes retenus, parmi 65 candidatures cette année. 6 seulement contre 8 les années précédentes : le temps aura passé plus vite à les admirer, alors pourquoi n’avoir pas accordé 25 ou 30 minutes à chaque formation, au lieu des 20 traditionnelles ?…

Il est 14 h en ce beau dimanche de novembre. Les membres du jury se sont retrouvés, les musiciens ont pris possession des loges et attendent leur tour dans la fébrilité… Le tirage au sort pour l’ordre de passage est établi. L’après-midi peut débuter par quelques mots de bienvenue de la part du vice-président de Blues sur Seine Jean Guillermo, qui nous présente Arnaud Bel, le nouveau directeur du festival. A leurs côtés, le président Alain Langlais et l’infatigable Fred Delforge du webzine Zicazic, qui évoquera les différentes revues blues ayant établi un partenariat avec le festival, dont votre magazine favori ! C’est au pittoresque Mike Lécuyer que revient, depuis 2000 et la première édition du tremplin, l’insigne honneur de nous présenter les artistes retenus. Emaillées de trouvailles cocasses, ses interventions mettront en joie l’assistance, garnissant abondamment la petite salle baptisée "Espace Luther Allison", au sein du CAC Georges Brassens de Mantes la Jolie. Saluons le bon accueil que réserve toujours son directeur, Joël Le Crosnier, à cette manifestation d’importance. L’entrée est libre et gratuite : les Mantois ne se priveront pas de venir en nombre admirer les vedettes du blues de demain.


TF Jass © Yann Charles

Il faut bien commencer, et c’est aux Parisiens TF Jass que revient la lourde tâche d’essuyer les plâtres. On peut toujours craindre des soucis de balance en début de concert, mais ce ne fut pas le cas. L’équipe technique avait vu juste dans les volumes attribués à chaque intervenant, et le son s’avéra aussitôt parfaitement modulé et maîtrisé. Le trio reprend des titres d’Albert King et de Jimi Hendrix, tout comme il compose dans un style tout à fait original ; ils se disent influencés par le jazz de Joe Pass ou par Bobby McFerrin et on les croit volontiers. Le traitement acoustique s’avère une bonne et rafraîchissante entrée en matière. Zay aux percussions, en position centrale, appuie sans s’imposer les harmonies des frères Prezat : Stéphane au chant, Fabien à la guitare. Leur expérience de la scène (ils accumulent de façon impressionnante les dates autour de chez eux) leur permet d’être tout à leur aise et de proposer une prestation irréprochable. Le côté un peu "borderline" de leur musique leur aura peut-être fait perdre quelques points auprès d’un jury toujours prompt à se demander « si c’en est ou pas », du blues…


Grégory Desbordes (Swingin' Carpets) © Yann Charles

Ce sont les Swingin’ Carpets, originaires de la région toulousaines, qui vont suivre. Un jump-blues très fortement influencé par T-Bone Walker et toute l’école californo-texane, aux relents de pré-rock’n’roll, s’empare de la scène. S’il faut reconnaître au saxophoniste Cyril Laurent et au guitariste-chanteur Grégory Desbordes de réel talents d’instrumentistes, bien dans l’esprit, on doit constater que la section rythmique est un ton au-dessous. Le contrebassiste Mathieu Jardat et surtout le batteur Xavier Guionie passent un peu à côté du sujet, ce dernier n’assurant pas vraiment le jeu de baguettes propre au style voulu. Du swing, de l’énergie, de la volonté, mais – quel dommage – ça n’aura jamais vraiment décollé.


Pantruche Poulette & the Pickle Pickers © Yann Charles

Ensuite, une formation originaire du 93 au nom improbable inspiré par le jazz old-time et le swing d’avant-guerre se propose à nos suffrages : Pantruche Poulette & the Pickle Pickers. Le  chant haut perché, entêtant et gouailleur de la chanteuse Dédé, qui s’accompagne au ukulélé, dominera le set. Je sens la salle pétrifiée par sa voix entêtante. Complété par Michael au chant et à la guitare et Lawrence au piano, le trio acoustique attire davantage l’attention par l’originalité de son répertoire tourné vers les années 20 que par sa ferveur et son dynamisme. Un recueil de chansons d’un autre âge, au tempo majoritairement medium ou lent, interprété avec nonchalance mais application, partagera le jury entre fans conquis et allergiques aux trop vieux sons.


Nina Attal © Yann Charles

Après la pause, c’est à celle qui remportera les faveurs du jury de proposer son set soul et envoûtant, plein de bon goût et de bonnes idées : la Parisienne Nina Attal. Son petit ami Philippe Devin, candidat valeureux mais malheureux en 2008, tient la guitare à ses côtés. Jo Champ’ est à la basse, Damien Cornélis aux claviers, Bruno Pimienta à la batterie : l’équipe est solide et expérimentée. Du haut de ses 17 ans, Nina distille des notes détachées, fluides et subtiles depuis sa Gibson. Son chant n’a pas besoin d’être forcé pour qu’on en apprécie toutes les saveurs, mais elle sait brièvement hausser le ton pour répondre ponctuellement aux besoins du répertoire. L’ensemble est d’une cohésion qui fleure bon l’osmose : l’expérience et la jeunesse font bon ménage, et on dirait la pression comme occultée par la magie de la scène, au profit d’une décontraction permettant toutes les audaces. L’effet est immédiat sur le public ! Tient-on la Joanne Shaw Taylor ou l’Ana Popovic de demain ?….


Hubert #06 © Yann Charles

On replonge dans un calme relatif avec le seul "one-man" de la sélection : Hubert #06. Originaire de Nice comme son sobriquet le laisse supposer, il a posé ses valises à Paris il y a déjà longtemps. La quarantaine assurée, le sourire aux lèvres et le bon mot prêt à fuser, Hubert se produit habituellement en duo avec Steve Verbeke, mais – on ne badine pas avec le règlement ! – il est seul aujourd’hui puisqu’il s’était présenté seul aux présélections sur CD. C’est donc avec gourmandise qu’on goûtera à ses titres joués de ses mains agiles sur la Gibson et de ses pieds martelant le sol, revisitant les classiques comme Jack O’diamonds. Il me rappelle Magic Buck, vu en 2008 dans le même contexte : un candidat simple et généreux, dont on ressent immédiatement l’authenticité et la sincérité de la démarche.


Yannick Dorel (Yellow Dogs) © Yann Charles

Les jeunes Grenoblois de Yellow Dogs n’auront vraiment pas été chanceux. Passer en dernière position n’est déjà pas confortable. Mais déconcentré par un sonorisateur qui trouvait son son de guitare « trop agressif », le leader Yannick Dorel, castré dare-dare, n’a plus été capable de jouer comme il s’était sûrement promis de le faire. Avec Christophe Lupatelli à la basse et François Poitevin à la batterie, ils auront fiévreusement déroulé leurs deux influences : le pub-rock à la Dr. Feelgood et le blues de Chicago des écoles de Magic Sam et de Magic Slim. On a ponctuellement senti la flamme s’aviver lors de leur set. Mais la magie n’a pas opéré, la pression sans doute… Le jury n’aura pas daigné accorder le moindre prix à ce trio pourtant talentueux, mais qui aura vu ses chances anéanties en moins de 20 minutes, victimes de la tornade Nina Attal…

C’est l’heure des délibérations. Pendant ce temps, Bernard Adamus, lauréat québécois de "la relève" 2009 au Festiblues de Montréal, fait "patienter" le public. Après la remise des récompenses – dont la pluie de prix à Nina Attal – c’est le moment magique du bœuf animé par Cotton Belly’s et Shake Your Hips (finalistes en 2007), augmentés de tous les musiciens du tremplin, de la salle et du jury. Partage et musique jusqu’à plus d’heure : c’est l’effet magique de Blues sur Seine !

Les spécialistes du blues auront pour une fois eu à départager des artistes sinon inconnus, du moins soit confidentiels soit débutants, et pas seulement à consacrer des talents français reconnus depuis quelques années comme ça a souvent été le cas lors des précédentes éditions. Au final donc, question qualité artistique, un arrière-goût de tremplin légèrement en-dessous des précédents, mais tout de même de belles découvertes et le constat d’un hold-up quasi-unanime pour Nina Attal, qui se produira en 2010 au Mans, à Cahors, à Montréal et à Mantes la Jolie… Vive la jeunesse !
Marc Loison

Les résultats :
Prix BSS catégorie électro-acoustique : HUBERT #06
Prix BSS catégorie électrique : NINA ATTAL
Prix spécial "Club Mississippi" : TF JASS
Prix spécial OFQJ FestiBlues de Montréal : NINA ATTAL
Prix spécial Cahors Blues Festival : NINA ATTAL
Prix spécial Cognac Blues Passions : PANTRUCHE POULETTE & THE PIKLE PIKERS
Prix spécial Europa Jazz Festival du Mans : NINA ATTAL
Prix Coup de Cœur du Collectif des Radios Blues : NINA ATTAL
Prix spécial Blues Magazine : SWINGIN' CARPETS

Les sites des finalistes :
Catégorie électrique
NINA ATTAL (75) www.myspace.com/ninaattal
SWINGIN' CARPETS (31) www.myspace.com/theswingincarpets
YELLOW DOGS (38) www.myspace.com/yellowdogsblues
Catégorie électro-acoustique
HUBERT #06 (75) www.myspace.com/hubert06music
PANTRUCHE POULETTE & THE PIKLE PIKERS (93) www.myspace.com/pantruchepoulette
TF JASS (75) www.myspace.com/tfjass