;
Live reports / 05.03.2018

Sons d’Hiver

Malgré une programmation, comme chaque année, riche en propositions stimulantes, les contraintes de la vie réelle n’ont permis à Soul Bag de couvrir qu’une seule soirée de la programmation de Sons d’Hiver cette fois-ci, la première du week-end final, qui se tient chaque année dans le cadre confortable de la Maison des Arts de Créteil. Devant une salle moyennement remplie se sont succédées deux propositions artistiques originales explorant les frontières du jazz et ses liens avec les univers musicaux environnants. C’est à l’artiste multi-carte – poète, acteur, chanteur, romancier, entre autres – Carl Hancock Rux, un habitué du festival, qu’il appartenait d’ouvrir la soirée avec ses deux accompagnateurs, le batteur Chris Eddleton (entendu notamment avec Saul Williams) et le machiniste Fitz Kirby. Par son parlé-chanté sous influence soul et sa façon de mêler l’intime et le social dans son écriture, Rux évoque immanquablement Gil Scott-Heron, même si ses choix musicaux, qui reposent sur des samples d’origine très diverses – y compris du blues –, le situent dans un univers différent, plus contemporain. Hélas, malgré de belles projections à partir de cartes anciennes et quelques textes frappants, l’ensemble génère un certain ennui poli, pour cause de fond musical peu stimulant et de la distance que Rux maintient avec le public – il se contente d’arpenter la scène sans tenter de communiquer.

 


 Émile Parisien © Grosse Geldermann

 

Changement de registre pour le plateau suivant. D’un côté, Émile Parisien, star montant du jazz français, armé de son saxophone soprano et de différents micros auxquels sont associés des effets. De l’autre Jeff Mills, légendes des musiques électroniques et figure majeure de la scène techno de Detroit, équipé de ses différentes machines et… d’un tambourin, dont il jouera à plusieurs reprises ! Entre les deux, le répertoire de John Coltrane, avec ses incontournables – Giant steps en ouverture, Naïma un peu plus tard – mais aussi des titres plus obscurs. Commande à l’origine d’une émission de télévision, le partenariat un peu incongru entre le jazzman issu du collège de Marciac et le Wizzard immortalisé en chanson par Eminem s’est désormais développé en une exploration partagée et sans cliché de l’univers de Coltrane qui, si elle fait frémir quelques puristes – un comble pour un artiste aussi ouvert aux explorations que le saxophoniste natif de Caroline du Nord ! –, emporte avec elle un public dans lequel se mêlent amateurs de jazz, fans de techno et curieux. Aux samples de Coltrane manipulés avec une inventivité toujours renouvelée par Mills s’ajoutent les improvisations et le jeu très physique (ah, ces coups de talons assénés au plus fort de l’inspiration !) de Parisien. Il ne s’agit pas pour Mills de tailler un tapis musical vaguement jazzy derrière Parisien, mais d’un vrai travail de duo, dans lesquels aucun des deux ne renonce à ses fondamentaux, les rythmiques métronomiques de la techno s’intégrant avec une logique parfaite dans les envolées du saxophone. Le résultat est proprement stupéfiant et ouvre de nouvelles fenêtres sur un répertoire pourtant déjà largement visité. Une belle façon pour le festival de marquer sa place particulière, entre encrage patrimonial et volonté exploratoire.

Frédéric Adrian

 


Jeff Mills © DR