Jazz Celebration 2024, Théâtre du Châtelet, Paris
09.10.2024
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9 mars 2024
L’Odéon à Tremblay-en-France, à 35 km au nord de Paris, semble être devenu au fil des années le dernier refuge, en tout cas pour l’instant, de ceux qui veulent, dans la capitale, voir et écouter les meilleurs représentants de la scène blues américaine contemporaine. Le tant attendu chanteur-guitariste Sean McDonald était donc sur la scène de L’Odéon ce samedi 9 mars dans le cadre de sa première (mini-)tournée française et le résultat fut à la hauteur des attentes, même celles des plus blasés !
Mais c’est tout d’abord le duo Two Roots, fraîchement rentré des États-Unis après sa prestation au 35e International Blues Challenge, qui ouvre la soirée. Sophia Tahi a été rejointe en 2023 pour l’enregistrement d’un premier EP par Ronan Le Quintrec (aka Ronan One Man Band) et c’est ce nouveau duo, très convaincant, qui chauffe la salle avec un blues roots, résultat d’un croisement entre rythmique Hill Country/boogie blues et vocaux de Sophia sous influence Bessie Smith/Ma Rainey.
Le duo pratique une musique pleine de joie et d’espoir qui veut parler directement à l’âme des spectateurs et ça démarre avec le You got to move de Fred McDowell suivi d’une version gospelisante du classique Proud Mary. Les compos enregistrées récemment sont présentes avec Money et Sister sister, et au fil du set, on voit bien se dessiner l’itinéraire de Sophia, du delta du Mississippi à la métropole de Saint-Louis, Missouri, avec en bonus une reprise du Workin’ woman blues de la Texane Valerie June. Ronan, derrière sa batterie et entouré de cinq guitares, se confirme être l’accompagnateur parfait dans le duo nouvelle formule qui d’ailleurs emballe le public qui obtient un rappel pas forcément prévu !
C’est un Sean “Mack” McDonald toujours aussi décontracté qui se présente sur scène avec ses trois accompagnateurs français, et pas des moindres puisqu’on retrouve Julien Dubois à la basse, Cédric Le Goff aux claviers et l’irremplaçable Fabrice Bessouat à la batterie. Sean, 23 ans cette année, est un étudiant insatiable de la musique afro-américaine, sa musique, et au fil des mois et des concerts il semble avoir choisi la période de cette saga américaine qui parle le plus à son cœur et ce sont les riches années 1950. Petites formations de jazz, groupes de rhythm and blues, pionniers du rock ’n’ roll et inventeurs du blues électrique, voilà ce qui parle à notre homme, et tout au long de ce concert de deux heures, il va dérouler un répertoire ancré dans cette époque (les titres eux changent chaque soir, comme le confiait Fabrice Bessouat).
Plusieurs instrumentaux sont au programme, mentionnons-en deux, le Night train de Jimmy Forrest en second titre et plus tard une formidable version du Big boy de Bill Jennings, inspiration majeure de Sean McDonald qui ne se prive pas d’incorporer dans son jeu, en rythmique ou en solo, de multiples plans très jazzy qui enrichisse encore son vocabulaire blues déjà impressionnant de maîtrise et de maturité. Sean est un gars cool, il est du Sud, cette partie des États-Unis dans laquelle les gens ont un certain sens du temps, et que ce soit son jeu de guitare fluide ou ses vocaux légèrement traînants, sans forcer, tous deux donnent une version sudiste contemporaine fascinante de titres piochés dans une époque qui paraissait bien lointaine. On pense à un jeune Freddie King, on entend un peu du James Brown (d’Augusta, Géorgie, comme Sean) période King, un peu de Bobby “Blue” Bland, autre influence majeure dont il joue deux titres vers la fin du set dont une renversante version très étirée de son Jelly jelly blues qui faisait souhaiter que le concert ne s’arrête jamais.
Les pionniers du rock ’n’ roll sont eux évoqués via une reprise ralentie du Lucille de Little Richard (la Géorgie, encore !) et un Reelin’ and rockin’ de Chuck Berry encore plus en retenue que l’original. Et quel talent ce Soul Shot Band, que Sean a appris à connaître et apprécier au fil des quatre dates précédentes de la tournée : la symbiose est parfaite, les fréquents passages de tension-détente pour mettre en valeur le jeu de Sean sont parfaitement maîtrisés et les solos de Cédric Le Goff au piano ou à l’orgue sont fréquemment encouragés par le même Sean qui semble ravi de bénéficier d’accompagnateurs d’un tel niveau. On peut supposer sa surprise en découvrant ces musiciens blancs et français qui ont tout compris, lui qui il y a encore quelques mois avait du mal à entendre que le blues puisse concerner des musiciens autres qu’afro-américains.
Une soirée totalement réussie donc et très rassurante quant à l’avenir des musiques que l’on aime à Soul Bag. Sean McDonald n’a pas encore sorti de disque, n’a pas de groupe permanent, mais rien ne presse, comme il le dit lui-même, et en tout cas il a déjà le pouvoir de ravir musicalement pendant deux heures un public de connaisseurs qui ne cachaient pas ce samedi avoir passé un grand moment !
Texte : Éric Heintz
Photos © J-M Rock’n’Blues (plus de photos ici)