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Live reports / 22.04.2013

Salaise Blues Festival

Les médias présents en nombre à la conférence de presse organisée en fin d’après-midi à la médiathèque Elsa-Triolet attestent de l’intérêt suscité par ce festival important dont c’est la trentième édition. L'équipe en place, la municipalité et son premier magistrat Jackie Crouail, dont il faut souligner qu’il est le fondateur du festival, avaient bien fait les choses avec un apéritif-cocktail goûteux dont l’inévitable gâteau, le tout ponctué d’interventions musicales assurées par le banjoïste et chanteur Pierre-Claude Artus (dont l’exposition Banza Banjo est visible au premier étage de la médiathèque).

 


Florence Tissier

 

Le soir au foyer Laurent-Bouvier, devant une belle assemblée, l’entrée est moins succulente que la mise en bouche. Rythmique de type Compagnie républicaine de sécurité au pas de charge, guitare mugissante en outre pas toujours bien placée (Everyday I have the blues), le groupe de Florence Tissier est à peu aussi expressif que la porte d’entrée d’un manoir de Transylvanie en fin d’automne. Quant à la chanteuse, malgré de l’énergie et une envie sincère de convaincre, il lui faudra apprendre à canaliser sa voix maniérée à l’excès pour étoffer son crédit, d’autant qu’on la sait capable de mieux faire dans le cadre de petites formations. Car malgré quelques respirations salutaires (version électro-acoustique de Stranger in my hometown, Shake your hips avec l’harmoniciste Jean-Marc Hénaux), asséner ainsi bruyamment les reprises (Baby, what you want me to do, Master charge, Got my mojo workin’…) sans un zeste d’âme sera toujours vain.

 

 


Chaney Sims

 

Fort heureusement, alors que sonne l’heure du plat de résistance, l’âme du blues parée de ses plus beaux atours ressurgit grâce à l’Heritage Blues Orchestra. On savait que leur premier et unique CD sorti en 2012, « And Still I Rise », allait faire date. Et là, ils vont enfoncer le clou. Profondément et là où ça fait tant de bien, en plein cœur. On rêve de les entendre un jour reprendre le standard Deep down in my heart… Mais rappelons la formule. Autour des New-Yorkais Chaney Sims (chant), de son père Bill (chant, piano et guitare rythmique), de Junior Mack (chant et guitare solo), le subtil harmoniciste français Vincent Bucher, l’imparable batteur Kenny Smith, enfin quatre cuivres conduits par Bruno Wilhelm. Neuf musiciens au service d’une musique étonnante, originale et à géométrie variable, qui emprunte à la tradition et la rénove en lui redonnant vie, éclat, épaisseur et richesse. D’aucuns penseront que j’exagère, mais le HBO, c’est tout simplement du jamais-vu. Sachons le mesurer et en profiter.Et ce dès le préambule Go down Hannah, un work song inspiré du traditionnel Go down old Hannah, qui réveille l’ineptie de l’esclavage. Fort heureusement, en 2013, ce ne sont plus les outils des prisonniers des chain gangs qui frappent les pierres, mais les voix des chanteurs qui marquent les esprits. Suit Clarksdale moan, une invite à entrer dans le vif du sujet, à prendre la direction d’un Delta revivifié de cuivres dixie, où l’on passe par l’église le temps d’un Get right church fiévreux avant d’aller au centre-ville où l’ombre de John Lee Hooker, justement natif des lieux, semble plus que jamais rôder (Going uptown). En à peine vingt minutes, le combo s’empare de l’audience, tisse sa toile et resserre une étreinte à laquelle nul ne songe d’ailleurs à échapper. Faisant naître l’envoûtement de la fusion.

 


Bill Sims Jr.

 

Et les musiciens me direz-vous ? La guitare de Junior Mack tonne sur le churchy Don’t ever let nobody drag your spirit down avant de se faire slide langoureuse sur Feel so bad, Bill Sims Jr. apparaît à son aise au piano sur une lecture inattendue et personnelle de St. James infirmary (avec une intro empruntée à… Vivaldi !), sur lequel sa fille Chaney se révèle en tendresse (elle l’était également sur C-Line woman). Et quand ils s’y mettent à l'unisson, ils passent de la fièvre (Chilly Jordan) au recueillement (Hard times, céleste et nu comme une psalmodie) avec une aisance déconcertante. Quant à Vincent Bucher, on a beau connaître son talent, il évolue en confiance et son phrasé a sans doute encore gagné en nuances. Et puis, il reste Kenny Smith, batteur plus que jamais majuscule et dont le jeu personnel à l'imagination débridée assimile à la fois l'intuition de l'école de Chicago (legs paternel !) et la folie des représentants du North Mississippi Hill Country Blues. Un cocktail détonant, puissant et implacable (Hard times, In the morning), qui fait peut-être de Kenny le batteur le plus excitant de notre temps. Dans cette même rubrique le mois dernier après avoir vu le groupe au New Morning à Paris, Nicolas Teurnier qualifiait cette musique de blues multiple. On ne peut que le reprendre, en ajoutant simplement que les musiciens du HBO tirent le blues vers le haut. Et sans doute même vers le Très Haut. Divin, donc. And still they rise.

 

Daniel Léon
Photos © Marie Sztefek