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Live reports / 28.07.2023

Saint-Paul Soul Funk Festival 2023

7 au 9 juillet 2023. 

Saint-Paul-Trois-Châteaux, cité historique de la Drôme provençale, est devenu depuis 2006 une terre de funk grâce à deux frères, Fabrice et Stéphane Garcia, passionnés de soul jazz et de Hammond funk. Une fois surmontée l’épreuve des années Covid, le festival, atypique et singulier, a confirmé sa vitalité avec cette 16e édition n’accueillant que des groupes peu ou pas vus en France qui ont conquis le public présent, très nombreux particulièrement le samedi et le dimanche. Un public très divers et pas forcément spécialiste de la chose “funk”, mais emporté par le groove et l’émotion des différentes prestations musicales.

Le vendredi, Raphael Wressnig ouvre le festival : l’organiste autrichien est venu avec son Soul Gift Band, c’est à dire ce soir-là le guitariste Enrico Crivellaro et le batteur Éric Cisbani, augmenté de la chanteuse new-yorkaise (d’origine québécoise) Rachelle Jeanty. Celle-ci intervient sur quelques titres avec sa voix puissante, dont le classique It’s your thing des Isley Brothers particulièrement réussi et dansant. 

Mais c’est bien le trio instrumental qui reste le contexte le plus favorable pour que Raphael Wressnig emporte le public dans cette passion qu’il a pour l’orgue Hammond, et c’est le funk sous toutes ses formes qui lui permet de devenir ce musicien virtuose et extraverti qu’on adore. Alors New Orleans d’abord avec les Meters ou le thème de la série Treme, mais aussi Kissing my love de Bill Withers ou l’hommage à Lonnie Smith, Pilgrimage, tout cela complété par les compos du patron piochées dans ses albums parfois anciens, et Saint-Paul est déjà en trance ! 

Raphael Wressnig
Enrico Crivellaro, Rachelle Jeanty, Raphael Wressnig
Raphael Wressnig

Une petite averse vient alors rafraîchir les esprits, mais aussi retarder la montée sur scène de Myles Sanko qui ne va pouvoir assurer du coup qu’une quarantaine de minutes de concert avant de devoir reprendre la route pour Marseille et le concert suivant. Myles est le représentant d’une certaine soul britannique classique encore marquée par des aînés comme Gil Scott-Heron ou Bill Withers (encore !), mais aussi infusée par l’acid jazz des années 1990 et particulièrement les groupes des débuts du label Talkin’ Loud de Gilles Peterson, tels que Galliano ou The Young Disciples. Un groove toujours légèrement jazzy, une vibration “feel good”, une soul sans tapage, bref c’est classieux, mais bien trop court au grand désespoir des organisateurs et aussi du public encore nombreux à minuit ce premier jour.

Myles Sanko

Ce sont les New Mastersounds, le groupe du guitariste Eddie Roberts, qui ouvrent la soirée du samedi et ils sont attendus avec impatience par un public qui a bien rempli cette place de la Mairie sur laquelle est à nouveau installée la scène cette année. Le groupe était de la première édition en 2006 et Eddie Roberts est ensuite devenu une sorte de parrain officieux du festival, présent quasiment chaque année. Les locaux le connaissent donc bien et en sont venus à adorer ce funk instrumental très rythmique et teinté de soul jazz que le groupe a d’ailleurs été, après le James Taylor Quartet, un des tout premiers à pratiquer en Europe il y a plus de 20 ans.

The New Mastersounds
Eddie Roberts
The New Mastersounds

Eddie, résidant maintenant aux États-Unis, n’avait pas joué avec ses trois acolytes depuis plusieurs mois, mais dès les premières notes la cohésion du groupe est limpide. Et c’est bien le guitariste qui mène la danse, obsédé comme il le confesse en interview par le rythme et possédant un jeu redoutable de la main droite. Les morceaux joués proviennent de toute la discographie du groupe (une quinzaine d’albums au compteur) et le mélange de groove New Orleans et de rythmique deep funk est porté vers les sommets par les interventions en solistes de Joe Tatton au clavier, et d’Eddie Roberts surtout, à la guitare, sous influence clairement Grant Green de la grande époque Blue Note.

Raphael Wressnig vient prendre un solo d’Hammond sur un des derniers morceaux et c’est déjà presque fini, avec un public qui manifeste bruyamment son approbation !

Pas évident pour Izo FitzRoy de prendre le relais. Sa soul mid tempo, ses compositions traitant de thèmes difficiles et son positionnement un peu figé derrière son piano très en avant de la scène ne vont pas l’aider à confirmer la bonne impression qu’on peut avoir à l’écoute de ses albums. Izo FitzRoy est incontestablement une grande chanteuse et ses trois choristes, issus du chœur gospel avec lequel elle travaille à Londres, sont remarquables, et ce sont peut-être ses musiciens du coup qui souffrent de la comparaison avec le groupe précédent. À revoir sûrement en club, dans un contexte plus favorable, mais là, d’après les commentaires entendus, l’ennui gagne clairement une partie du public…

Izo FitzRoy
Izo FitzRoy
Izo FitzRoy

Très attendus le dimanche soir : True Loves et surtout son guitariste et leader Jimmy James. Après son départ cet hiver du Delvon Lamar Organ Trio, nombreux étaient ceux qui se demandaient quel type de projet avait pu motiver le guitariste à faire ce choix. Le groupe se présente sur scène dans une formation originale avec clavier, bassiste et batteur (David McGraw, le premier batteur de DLOA) et surtout une section de cuivres constituée de deux trombones et un saxophone qui vont au fil du concert nous amener à nous poser sérieusement une question : True Loves serait-il en fait une fanfare ? 

Jimmy James joue en effet un rôle de chef d’orchestre qui dirige, mais aussi joue avec ou contre la section de cuivres, restant pendant tout le concert tourné vers la droite, les yeux dans ceux des trois souffleurs, et se nourrissant de cette interaction. Musicalement, cela donne une sorte de funk cinématographique (ou, comme l’a dit un de mes éminents collègues, quelque chose comme « les Dap-Kings sans Sharon Jones ») dans lequel il faut faire l’effort de se plonger.

Jimmy James
True Loves

True Loves

Jimmy James se concentre à la guitare sur sa rythmique, boostant ainsi le travail basse-batterie, pas de solos, un ou deux numéros hendrixiens quand même, peut-être parce que c’est ce qu’on attend de lui. Mais surtout cette obsession du riff, cette recherche acharnée de la phrase musicale qui surgira de l’interaction avec les cuivres, qui eux du coup prennent la majorité des solos, absorbant le guitariste qui en oublie d’ailleurs de parler au public ! Public qui en fait se prend au jeu et valide la démarche originale de cette formation atypique, et cette première apparition en France du groupe, après deux albums, devrait donc être suivie d’autres.

La soirée et le festival se concluent avec l’organiste australien Lachy Doley, surnommé le Hendrix de l’orgue Hammond, réputation qu’il va bien sûr s’efforcer de justifier pendant l’heure suivante. Effectivement très influencé par les groupes rock avec orgue des années 1970, mais aussi par le funk de Parliament-Funkadelic, l’organiste présente en trio un show énergique et démonstratif, que le public bon enfant du festival reçoit avec enthousiasme, sûrement impressionné par tout ce que l’on peut faire avec un Hammond (et un whammy clavinet) !

Lachy Doley

Lachy Doley

Succès populaire, ambiance conviviale, rencontres imprévues : le Saint-Paul Soul Funk demeure un rendez-vous unique à ne pas manquer. Félicitations encore aux audacieux organisateurs !

Texte : Éric Heintz
Photos © Yannick Mazellier (sauf Myles Sanko © Éric Heintz)
Photo d’ouverture : Pete Shand (The New Mastersounds) © Yannick Mazellier

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