;
Live reports / 11.09.2018

Porretta Soul Festival (Part. 1)

On l’écrit chaque année, on le répétera encore cette fois-ci : le festival de Porretta est un rêve éveillé pour tout amateur de soul normalement constitué. Un cadre géographique et architectural magnifique (la ville, renommée pour ses qualités thermales, se niche au creux d’une vallée verdoyante dans la région de l’Emilia Romagna, près de Bologne) ; un public nombreux, cosmopolite et familial ; un marché dans lequel on trouve disques anciens et atelier de lutherie (où Joe Restivo, le guitariste des Bo-Keys, vint essayer quelques modèles, pour leplus grand plaisir des spectateurs qui passaient par là) ; des food-trucks proposant nourriture sudiste et italienne ; et, surtout, de la musique à chaque coin de rue (et même à chaque coin de pont, tel celui qui donne accès à la vieille ville, le Solomon Burke Bridge !), dans les cafés, sur de petites scènes jonchant la rue principale et bien sûr dans l’enceinte principale, le Rufus Thomas Park, là où les têtes d’affiche se produisent quatre soirs d’affilée de 8 h jusqu’à parfois 2 h 30 du matin. L’organisation est impeccable, les conditions d’écoute excellentes, les musiciens parfaitement reçus (leur joie d’être là fait plaisir à voir) et l’affiche de très haut niveau, ce qui pousse chacun à donner le meilleur de lui-même, fort du principe d’émulation propre aux festivals. Porretta, c’est un concentré de bonheur et l’on ne saurait trop remercier son fondateur, Graziano Uliani d’organiser tous les ans, depuis 1987, cette manifestation. (UP)

Jeudi 19

Le Porretta Soul Festival trahirait sa légendaire réputation s'il ne proposait que de la musique… soul. Cette année, le boogie-woogie de Mitch Woods a occupé une part non négligeable du temps d'écoute disponible des spectateurs. Le pianiste et chanteur californien n'a pas fait le déplacement pour rien : « Je suis ici pour quinze jours », lâche-t-il dans la foulée des quelques mots en italien qu'il a eus l'élégance d'apprendre. Très fier (à juste titre) de son disque paru l'an passé (“Friends Along The Way”), il ne manque pas une occasion d'assurer qu'il le dédicacera à qui voudra après ce qui n'est alors que sa première prestation du festival. Je semble me moquer, mais j'apprécie sans ennui ses relectures de classiques ou d'obscurités de La Nouvelle-Orléans d'après-guerre. Professor Longhair ne se retournera en aucun cas dans sa tombe, mais Mitch Woods ne vaut pas Dr. John. Et que penser de ces couples de jeunes danseurs sautillants et habillés vintage (années cinquante) qui multiplient les acrobaties à l'avant-scène ? Que ce n'est pas désagréable à voir. (JC)

 


Mitch Woods

 

La deuxième partie du concert, assurée par un groupe italien, les Jeebees, spécialisé dans les reprises de tubes disco (Chic, Bee-Gees, KC & The Sunshine Band…), suscita quelques controverses parmi les festivaliers. Peu d’originalité en effet, une thématique éloignée du cadre de la soul sudiste, mais des musiciens professionnels (excellent bassiste) qui assurent sans se prendre au sérieux (cf. la section de cuivre rigolarde avec sa chorégraphie façon Full Monty) et agrémentent leurs reprises d’une touche funk bienvenue. Gros succès public, même s’il n’était en effet pas indispensable d’étendre le répertoire au Born to be alive de Patrick Hernandez…. (UP)

Vendredi 20

Programme dense et alléchant pour cette première vraie soirée du festival ! Le Luca Giordano Band, bien connu des amateurs de blues italien, entama le set en douceur avec une reprise instrumentale de What’s goin’ on avant d’accueillir le chanteur-guitariste californien Chris Cain, dont la carrière connaît un regain d’intérêt inespéré depuis la publication de son superbe dernier album chez Little Village Foundation. En pleine forme, tant guitaristique que vocale, Chris délivra un set plein d’enthousiasme durant lequel il rendit hommage à ses idoles Albert (Let’s have a natural ball) et B.B. (Sweet sixteen) et piocha dans sa riche discographie personnelle. Implication sans faille, sonorité chaude et crémeuse, phrasé délié, gestion de la tension-détente : c’est un vrai maître, d’autant plus dans son élément qu’il était ici secondé par un orchestre à consonances texano-californiennes comprenant quatre cuivres (dont Sax Gordon, qui prit plusieurs juteux solos), un orgue Hammond (Jan Korinek) et la guitare rythmique experte de Luca Giordano. Qu’un tourneur le fasse venir plus régulièrement en France, et vite !

 


Luca Giordano

 


Chris Cain

 


 

 

Après un court entracte, c’est le Anthony Paule Soul Orchestra qui s’empare de la scène. On quitte le blues pour plonger avec délice dans la soul millésimée, interprétée par des musiciens de très haut niveau : l’incroyable batteur Derrick Martin, Endre Tarczy à la basse, une section de cuivres comprenant Charles McNeal au ténor, Bill Ortiz à la trompette, Derek James au trombone et Sax Gordon au ténor ou au baryton, Tony Lufrano à l’orgue, trois choristes (Larry Batiste, Sandy Griffith, Karen Richards) et le patron Anthony Paule, énorme de précision et de groove à la guitare. Un instrumental en hommage aux Bar-Kays, suivi d’un explosif extrait du dernier album de Sax Gordon (Somebody in the world for you), enchaîné à deux titres brûlants interprétés en solo par Larry Batiste (Don’t knock my love de Wilson Pickett et Let’s stay together d’Al Green) : le ton est donné, la soirée allait être exceptionnelle.

 


Sax Gordon

 


Larry Batiste

 


Derrick Martin

 

On continua dans l’excellence avec la prestation enflammée du vétéran de Memphis Booker Brown : grosse voix bourrue, charisme, échanges permanents avec les spectateurs, pas de danse à la James Brown-Rufus Thomas ; une révélation ! C’est toute la culture sudiste qui déboule sur la scène de Porretta, ce mélange addictif de blues graisseux, de soul et de funk ultra sexué. On pense à Bobby Bland (auquel il rend hommage, et pas seulement via sa gapette blanche), à Tyrone Davis aussi. Gros succès public, amplement mérité, sous le regard appréciateur de Swamp Dogg, venu assister au show avec sa fille. Pas facile dans ces conditions de prendre la suite. Missy Andersen s’acquittera pourtant fort bien de la tâche. Malgré une ampleur vocale limitée (“coffre”, tessiture), son énergie, sa joie d’être là, la fraîcheur de son répertoire lui permettront de relever le défi sans problème.

 


Booker Brown

 


Missy Andersen

 

On repasse tout de même au niveau supérieur avec le set impérial du vétéran Wee Willie Walker. Quelle classe, quel magnétisme vocal ! Il bouge peu mais dès qu’il s’empare du micro, c’est un souffle d’émotion qui parcourt l’audience. Son set est une succession de grands moments, en particulier la saisissante ballade After a while, sertie d’un splendide chorus de ténor de Charles McNeal, d’une aérienne beauté. Le set se conclut sur un jungle-swing de folie à la fin duquel le batteur Derrick Martin se lance dans un solo furieux, saute de son siège, plonge dans l’arène, tape sur tout ce qui bouge (gobelets, casque de moto…), se livre à quelques tours de magie avec le groupe (hilare), danse puis reprend le fil de la chanson ; une vraie star et un public bien évidemment conquis !

 


Wee Willie Walker

 


Derrick Martin

 

Nous en sommes à quatre heures de show et les festivités ne sont pas encore terminées puisque déboule sur scène la fascinante Terrie Odabi au son d’un exceptionnel Wade in the water interprété façon blues hypnotique (quelle chanteuse !), avec chœurs éblouissants (Sandy Griffith en particulier) et solo de trompette bouchée. La suite est du même acabit (« This is a grown up party, y’all! »), avec le shuffle cuivré Live my life (nouveau chorus époustouflant de Charles McNeal), emprunts funky à Denise LaSalle, R&B lacrymal (You’re gonna make me cry) et final enflammé sur Don’t play that song. Exemplatif de la scène soul-sudiste contemporaine, un show dont on se rappellera longtemps.

 


Terrie Odabi

 


Anthony Paule, Terrie Odabi

 

Remarque identique s’agissant de John Ellison, l’ancien frontman des Soul Brohers Six, dont nous n’avions pas entendu parler depuis trop de temps. En pleine forme (il a 76 ans mais en paraît 15 de moins), ultragénéreux, il enflammera l’assistance en reprenant son succès historique Some kind of wonderful, en pleurant What can you do when you ain’t nobody à genoux durant un incroyable ad lib puis en mettant tout le monde d’accord avec une nouveauté tirée de l’album qu’il est en train de concocter avec le producteur néerlandais Roger Heijster, présent sur scène à la guitare, l’irrésistible Love line. Le show se conclut avec le reggae soul If I had just one wish, parfait épilogue à une soirée riche en émotions fortes. (UP)

 


John Ellison

 

 


Derrick Martin

(À suivre…)

Texte : Ulrick Parfum et Julien Crué
Photos © Brigitte Charvolin