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Live reports / 20.07.2012

Porretta Soul Festival


James Alexander (b), Syl Johnson

Soulsville, Italie, nous voilà. Cette année, je n'aurai qu'un regret : avoir trop tardé pour acheter le t-shirt collector de cette édition anniversaire. Quand je me présente au stand merchandising, il n'y en a plus. Peu importe : je me souviendrai encore longtemps de cette fête à Rufus.

 

vendredi 20

Peut-on faire comme si le phénomène Amy Winehouse n'avait pas existé ? Non, répond le premier festival de musique soul en Europe. Un an presque jour pour jour après la disparition de la sombre chanteuse britannique, son étonnant sosie italien ouvre la soirée du vendredi en compagnie d'un groupe complet. Pourquoi pas. Simplement, ce n'est pas ce qu'on est venu entendre.

 

Avec Robin McKelle & The Flytones, ça se discute. Cet été, la New-Yorkaise tourne beaucoup en Europe. En Italie, on a la chance de l'entendre accompagnée de deux cuivres. Et aussi de la voir en pleine forme. Sa tenue flashy, trop près du corps ? J'entends les critiques : elle en fait trop, sa performance est plus sportive que musicale. La trouverait-on vulgaire ? Ce n'est pas mon cas et jamais je ne m'ennuie en redécouvrant sur scène les bonnes chansons de son album, “Soul Flower”, l'une des bonnes surprises de ces derniers mois. Sa chronique a paru dans notre numéro consacré à Etta James. Ça tombait bien : Tell mama et I'd rather go blind sont ce soir au programme. Mention spéciale pour le deuxième titre, entamé aux claviers par Robin dans une belle émotion crescendo. Je ne vois pas quoi lui reprocher. Si, peut-être d'avoir joué beaucoup plus longtemps que ceux qui allaient lui succéder et qui sont ô combien plus rares dans nos contrées. Mais cette critique ne saurait être que rétrospective.


Robin McKelle


Mike Tucker, Scott Aruda


Robin McKelle, Derek Nievergelt

À la pause, un vent venu du Tennessee se lève sur l’Émilie-Romagne. Les Bo-Keys sont dans la place, une première en Europe (cf. Soul Bag 204). Parmi les anciens de Stax et de Hi Records, Ben Cauley, Howard Grimes et Archie “Hubbie” Turner ont fait le déplacement. Malheureusement, Skip Pitts, le co-fondateur des Bo-Keys, est retenu depuis mai dernier au soul heaven, ce paradis qui hélas n'a jamais été aussi soulful qu'aujourd'hui. À Porretta donc, Pitts n'est pas à la guitare et, curieusement, jamais son nom ne sera prononcé sur scène, y compris sur l'intro de Shaft qui lui doit tant. Un silence en forme de respect ? De toute façon, le show must go on. Ce soir, le spectacle commence comme il se doit, par une paire d'instrumentaux à la Booker T. & The MG's. Puis, Ben Cauley quitte le rang des souffleurs et s'approche du micro. Une main dans la poche, la décontraction incarnée. Lui, il “s'en fout la mort” : il a survécu à l'accident d'avion qui fût fatal à Otis Redding et aux Bar-Kays. Un souffleur de son calibre ne peut pas être un mauvais chanteur. I never found a girl et These arms of mine comme les deux faces d'un 45-tours qui restera gravé dans nos mémoires.


Ben Cauley


Archie Turner


Howard Grimes

John Gary Williams n'a qu'un album personnel à son actif. C'était il y a près de quarante ans, c'était après la séparation des Mad-Lads. Je comble mes lacunes en direct : alors comme ça, By the time I get to Phoenix n'a pas été un tube que pour Isaac Hayes ! Et comment ai-je pu passer à côté de Come closer to me, de Don't have to shop around ? Le Memphis sound est bel et bien intemporel ; The whole damn world is going crazy n'a pas pris une ride non plus. John Gary Williams a fière allure et, en 2012, il ne saurait être mieux accompagné. Chapeau, Scott Bomar, bassiste et leader des Bo-Keys. Respect, Howard Grimes : votre simplicité devrait être montrée en exemple à tous les apprentis batteurs.


John Gary Williams


Scott Bomar, Graziano Uliani

Qui a récemment vu Al Green sur scène sera certainement resté sur sa faim. Non pas que le révérend ait perdu de son charisme, mais jamais il ne va au-delà d'une simple esquisse de ses magnifiques chansons. Frustrant, agaçant. David Hudson, lui, chante les morceaux de son modèle dans leur intégralité. C'est quand même bien d'entendre en entier Let's stay together, God bless our love et Love and happiness. D'accord, il faut se méfier des imitations, mais là, n'ayons aucune crainte. Que du bonheur. D'autant que Hudson a le bon goût de se rappeler que lui aussi a eu son petit succès. C'était en 1980, sur Alston, une filiale de TK Records du fameux Henry Stone. Honey, honey. Trente ans après, c'est toujours aussi bien. Et de conclure la soirée par Try a little tenderness. Parce que Porretta est aussi organisé en hommage à Otis Redding.

 
David Hudson

samedi 21

Chicago-Memphis-Porretta : Otis Clay connaît bien l'international soul Highway. De retour en Italie, il célèbre ses cinquante ans de carrière en annonçant la sortie d'un nouveau CD. « Qui d'entre vous compte l'acheter ? », demande-t-il au public avant de prendre en photo les mains levées. Quelques mois après sa participation à l'album des Bo-Keys, “Got To Get Back!”, ce projet est encore dans les cartons, mais il s'annonce bien : Truth is et I know I'm over you sont superbes sur scène. Âmes sensibles s'abstenir, mais les fans de Clay savent qu'il ne chante jamais à l'économie. D'ailleurs, sa voix aurait-t-elle perdu un peu de son extraordinaire vélocité ? Et cela expliquerait-il la durée trop courte de son passage (cinq morceaux seulement) ? Au final, peu importe l'usure du temps, il reste un champion de la tension-détente. Et lui sait mettre à profit le savoir-faire de Shontelle et Sharisse Norman, sœurs et choristes de choix.

 
Otis Clay

Passons sur le retour de Robin McKelle, brisons le suspens en révélant dès à présent qu'Otis Clay et Syl Johnson ne chanteront pas ensemble ce soir, et découvrons ce que devient cette autre légende de Chicago que l'on dit capricieuse. Il y a deux ans, le label Numero Group restaurait le statut de Syl en publiant une immense “Complete Mythology”. Pour l'intéressé, cela n'a pas l'air d'avoir changé grand-chose. Il est d'un autre pays que le nôtre. Sur scène, il nage un peu dans son costume rouge vif mais dès qu'il saisit sa guitare, c'est lui le patron, “méchant” (wicked) comme pouvait l'être Wilson Pickett. Déroutant aussi puisque malgré l'étendue de son répertoire, c'est par une reprise (That's why (I love you so) de Jackie Wilson) que Johnson ouvre le bal. Puis, des succès : Different strokes, Anyway the wind blows, Come on sock it to me, Is it because I'm black?, Take me to the river, présentée comme la chanson de sa vie. Le groupe est top. La voix ? Toujours reconnaissable entre mille, à quelques éraillements près. En rappel, The blues is alright n'était pas indispensable, mais ne boudons pas notre plaisir : tout le monde est visiblement heureux d'être là.

 
Syl Johnson

Avec les Bar-Kays, l'univers sonore change radicalement. Gentiment rondouillards et le sourire jusqu'aux oreilles, le chanteur Larry Dodson et le bassiste James Alexander semblent avoir mangé du lion. Est-ce l'effet de leurs retrouvailles avec Ben Cauley – trente ans qu'ils n'avaient pas joué avec ce partenaire des tout débuts ? Est-ce le bon air italien ? Dodson se dit prêt à faire la fête toute la nuit. Sa recette est sans doute la bonne pour un public dont une partie ne demande qu'à se déhancher sur ce que Stax a fait de plus connu ici. Soul man, Knock on wood et autre Hold on, I'm coming : les titres dynamités s'enchaînent presque sans pause. Try a little tenderness, I can't turn you loose, Dock of the bay : le revival est historiquement et géographiquement légitime. Des images d'époque défilent sur un écran en fond de scène : Albert King, Wattstax, Shaft, etc. On avance dans le temps et, enfin, mon voisin qui connaît le funk des années 70 tend l'oreille : la basse énorme d'Alexander prend le dessus, mais c'est un peu court. On a eu un peu de tout plutôt que beaucoup d'un style. Le principe de la revue sera aussi celui de la dernière soirée.


Larry Dodson


Anthony Gentry, Ben Cauley, Larry Dodson


Anthony Gentry


James Alexander, Sharisse Norman

dimanche 22

Se dire longuement au revoir : c'est le programme du dimanche à Porretta. Venues d'Australie pour un voyage de découverte en Europe, les jeunes et nombreuses Sweethearts sont étonnantes. Concentrées, enthousiastes et collectives. Leur spectacle de fin de séjour était top. À ne pas rater lors d'une prochaine fête de la musique aux antipodes.


The Sweethearts

La suite, vous la connaissez. Les mêmes que les jours précédents, en plus court mais en aussi bien. Menaçante depuis la mi-journée, la pluie attend le tomber de rideau pour se manifester gentiment. Graziano Uliani, l'organisateur du festival, accueille ces quelques gouttes comme un signe du ciel. Après quelques semaines de réflexion, il nous annoncera que la prochaine édition aura lieu du 18 au 21 juillet 2013. À l'année prochaine.

Julien Crué
Photos © Brigitte Charvolin

 
Anthony Gentry, Carlos Sargent, Shontelle Norman, Larry Dodson, Sharisse Norman, James Alexander


Otis Clay, Carlos Sargent, David Hudson, John Garry Williams


David Hudson, Otis Clay, Larry Dodson, Syl Johnson, The Sweathearts

Retrouvez l'intégralité de cette 25e édition sur YouTube :

vendredi : http://www.youtube.com/watch?v=V-TvuvFFoD8&feature=fvwrel

samedi : http://www.youtube.com/watch?v=Iy98JXAxug0

dimanche : http://www.youtube.com/watch?v=YFc3MxbU-8Q&feature=relmfu


Syl Johnson


James Alexander, Larry Dodson


© Marjorie Janetaud