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Live reports / 18.11.2013

Otis Taylor et Little G Weevil

 

Auteur d’un album superbe en 2012 (« The Teaser », « Le pied » dans notre numéro 207), d’un autre un peu moins réussi mais encore consistant cette année (« Moving »), lauréat dans la catégorie solo/duo du dernier International Blues Challenge de Memphis, Little G Weevil fait partie des révélations du blues du début des années 2010. Il nous tardait donc de voir sur scène cet « expatrié » né en Hongrie mais résident américain depuis une dizaine d’années, et aujourd’hui installé à Atlanta en Géorgie. Seul dans la salle seulement remplie aux deux tiers malgré la qualité de l’affiche (il est vrai que la concurrence est rude en ce long week-end du 11 novembre, avec notamment le festival Blues sur Seine), l’artiste annonce la couleur : « Je suis là pour un set de quarante-cinq minutes de blues sudiste. »

 

 

Et le southern blues, il en a assimilé toutes les composantes et tous les codes. Voix pleine, diction parfaite sans une trace d’accent, jeu de guitare précis et habile, pied gauche qui tourmente le sol comme le mécanisme d’une horloge suisse, tout est en place pour un voyage qui nous conduit d’abord sur les hauteurs du North Mississippi Hill Country Blues (Skinny woman). Mais Little G démontre vite qu’il peut être un compositeur original avec Fastest man, une chanson qui revient sur les frasques de Lance Armstrong avec le dopage. Et d’ailleurs, sait-il qu’Otis Taylor, qui lui succédera sur scène, est lui-même un ancien cycliste qui dirigea une équipe de coureurs d’excellent niveau dans les années 1970 ?

 

 

Avec entrain, sincérité et implication, il prend le temps de revisiter ses deux CD, avec de belles créations qui caractérisaient la fraîcheur de « The Teaser (le blues lent She used to call me sugar et Place a dollar in my hand), ou sur des tempos plus enlevés propres à « Moving » : sur le lancinant On my way to Memphis et surtout l’amusant No man in my bed (interprété à la slide), il parvient même à faire participer un public qui semblait jusque-là un peu apathique… Sans surprendre ni révolutionner le genre, Little G Weevil répond aux attentes initiées par ses disques. Confirmer sur scène n’est pas toujours simple : l’examen est réussi avec brio.

 

 

Cela fait quelque temps (une douzaine d’années et autant de disques, en gros…) qu’Otis Taylor n’a plus besoin de confirmer pour imposer sa musique hautement personnelle, qu’il est plus que jamais vain d’essayer de définir dans le cadre « strict » du blues. Quand on a la chance de l’avoir vu à plusieurs reprises depuis qu’il est populaire, on se rend compte qu’il ne cesse jamais de faire évoluer sa musique, souvent, il est vrai, en changeant de musiciens. On n’y coupe pas cette fois encore et c’est très récent au point que nous n’avons pu obtenir les noms de sa violoniste et de son guitariste (qui remplacent donc Anne Harris et Shawn Starski), la rythmique nous étant plus familière (Todd Edmunds à la basse et Larry Thompson aux fûts)…

 

 

Mais franchement, cela ne fait pas une grande différence quand Otis assène comme il fait souvent en début de concert (au moins, au niveau du rituel, ça ne change pas !) une version de Ten million slaves qui prend d’emblée à la gorge. Et il faudra attendre la toute fin du show pour que l’étau se desserre un peu… À ce titre qui l’a véritablement fait connaître en 2002 sur l’album « Respect The Dead », succède un extrait de son tout dernier opus (« My World Is Gone »), Blue rain in Africa : la musique d’Otis a mué dans le sens où elle conserve sa poésie dans les textes (et aussi grâce au violon, désormais indissociable de son œuvre) tout en s’étant sensiblement durcie dans l’interprétation. Sur ce dernier aspect, le guitariste très spectaculaire et la rythmique presque éreintante n’y sont pas pour rien.

 

 

En outre, les arrangements et la progression des morceaux contribuent au climat singulier ambiant, on ne sait jamais à quoi s’attendre ! Ainsi, le tour de force Hey Joe commence sagement pour mieux tourner au déluge quasi psychédélique… Mais Otis aime aussi s’amuser et toujours autant partager avec le public. Ainsi l’inévitable Hambone et son habituel bain de foule : certes, c’est prévisible, mais qui songerait à s’en plaindre ? Le final est dans le même esprit, la tension a laissé la place à la détente, le public est invité à participer (Rain so hard). Et le rappel (Live your life) prolonge cet esprit un peu festif, avec un Otis Taylor soucieux de nous laisser un ultime message : « Live you life before you die, just might be for a little while. »
Nous tenons à remercier l’espace musical Le Sax d’Achères, et en particulier Charlotte Lefeuvre pour sa sympathique et efficace collaboration.

Daniel Léon
Photos : Corinne Préteur