;
Live reports / 26.11.2022

Neal Francis, La Boule Noire, Paris

13 novembre 2022.

Il y a des soirs où rien ne se passe comme prévu… Déboulant sur scène à la suite des sémillants Laura Llorens & The Shadows of Love, Neal Francis s’installe à ses claviers et démarre en trombe Alameda apartments, la splendide première chanson de son second LP. Un grésillement surgit des enceintes puis son piano électrique… s’éteint. La chanson s’arrête, le trio guitare-basse-batterie meuble en faisant tourner un riff pendant que Francis et roadies s’affairent à tester et pédales, jacks et alimentations… Au bout de cinq longues minutes, le verdict tombe : le clavier est mort, paix à son âme, « We’re gonna have to stop for 5 minutes. » Consternation générale, flottement, inquiétude.

Le show reprend grâce à l’intervention salvatrice de Ludovic Bors (patron du label Q-Sounds et membre des Shadows of Love) qui prête son instrument et s’improvise technicien. Réinstallation, branchements, tests… Le concert redémarre sous les vivats d’un public complice et venu nombreux (salle aux 3/4 pleine). Les problèmes techniques continueront à pleuvoir tout au long du show : pied de micro qui n’arrête pas de tomber, grosse caisse qui glisse car mal fixée, contraignant le guitariste puis le bassiste à poser le pied devant pour la bloquer… « We already know it’s gonna be a memorable night », glisse Francis…

Mais c’est dans l’adversité que les grands artistes se révèlent. On confirme : malgré les contraintes liées à l’utilisation sans filet d’un matériel de fortune, le Chicagoan, totalement habité, a livré une prestation à couper le souffle. Fiévreuse. Poussant à son paroxysme le concept de funk torve développé dans ses deux albums et ses deux EP. Quelle urgence…

Le groupe, le même que sur les disques, est extraordinaire. Aux drums, Collin O’Brien, sourire extatique vissé aux lèvres, est monstrueux de groove. Il finira le concert les mains en sang… Sous sa longue chevelure bouclée, Mike Starr démontre à quel point la basse, sans rien céder sur son rôle rythmique, est aussi un instrument mélodique. Sa contribution est essentielle. Derrière sa guitare demi-caisse toute cabossée (l’emplacement du micro central est vide – ce dont il se sert pour la prise de feedback), Kellen Boersma parachève l’ensemble, phénoménal guitariste (son, placement, toucher) dont le jeu brûlant complète parfaitement celui du patron.

Car c’est bien Neal Francis qui constitue le cœur battant de cette centrale nucléaire. Son calme apparent, son flegme décalé, son élégance surannée (posture un peu gauche de dandy londonien, chemise à jabot), sa fragilité apparente, sa timidité (visage dissimulé derrière de longs cheveux blonds, peu d’échanges directs avec les spectateurs) contrastent avec la puissance organique, viscérale, de son jeu. C’est une avalanche de funk qui s’abat sur la petite salle du boulevard Rochechouart : le mid-tempo moite Say your prayers, les deux parties de Changes, puis She’s a winner complètement revisitée (tempo accéléré, nouveaux breaks…). C’est bon et terriblement excitant ; bourré de prises de risques (les chorus de Rhodes, les expérimentations sonores au clavinet).

Promotheus, la bien nommée Problems, plus lente que l’original (la façon dont O’Brien plante si profondément son groove, bon sang…), avant le single à succès Can’t stop the rain, lui aussi réinventé. Même la samba BNYLV, gros plantage du deuxième LP, passe la rampe sans problème, fondue dans une jam hallucinante d’intensité. Deux emprunts au dernier EP (Very fine, Don’t want you to know) suivis de l’expiatoire Sentimental garbage, déluge de clavinet et de Rhodes joué debout par un Neal Francis en apesanteur (à ce moment-là, est-il encore vraiment avec nous ?), soutenu par un trio qui jette toutes ses forces dans la bataille. Difficile de décrire l’onde de choc qui traverse le public… C’est donc ça, la transe ? 

22h30, déjà l’heure du couvre-feu, les musiciens tombent dans les bras l’un de l’autre, pas de rappel, mais la conviction d’avoir assisté à une prestation exceptionnelle. 

Texte et photos : Ulrick Parfum

La Boule NoireNeal FrancisUlrick Parfum