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Live reports / 14.09.2021

MNOP Gran Circus 2021, Boulazac

17 juillet 2021.

Piloté depuis 2001 par notre collaborateur Stéphane Colin et sa bande, ce festival-ami qui, pandémie oblige, avait dû faire l’impasse sur l’édition précédente soufflait par conséquent ses 20 bougies cette année. Après des mois d’abstinence, autant dire qu’on n’allait pas rater la soirée phare du festival : le MNOP Gran Circus, une affiche dont l’esthétique graphique comme les noms imprimés dessus nous faisait déjà saliver comme un une assiette fumante de gombo, c’est dire ! 

Autre avantage de se rendre au MNOP cette année : on y était accompagné cette fois d’un apprenti en musique néo-orléanaise. On allait donc pouvoir assister “in situ” aux effets que produisent les musiques mises en lumière dans le cadre de ce festival unique en son genre sur un bizut plus habitué à la route du rock qu’aux marécages groovy de Louisiane. 

Zydequoi ?

Plusieurs centaines de festivaliers sont entrés dans l’enceinte du festival dans la chaude lumière du soir, quand les “bonsoirs” et les bons mots de circonstances des organisateurs résonnent dans le micro. 

C’est aux Flying Saucers et leurs vibrations nourrit de (rhythm and) blues & zydeco que revient la délicate mission d’ouvrir ce bal du samedi soir d’un genre particulier. Dans le cadre du MNOP tour (le festival est itinérant dans toute la région sur une durée de 2 mois), le groupe bien connu des lecteurs de Soul Bag a partagé l’affiche dix jours durant avec un invité de marque, Sunpie Barnes, accordéoniste, harmoniciste, chanteur, ambianceur et sûrement plus encore.

Ce soir, c’est leur dernier concert ensemble avant que Sunpie ne s’en retourne outre-Atlantique. Le “stagiaire” s’interroge sur le frottoir de Fabio Izquierdo et le fait qu’on joue de l’accordéon dans le sud des États-Unis, lui qui jusqu’à ce jour ne s’est rendu que dans les mégapoles du Nord. Hé oui, la race des chromatiques tailles XL comme celui qu’endosse Barnes n’est donc pas réservée au seul registre musette. 

Zydeco kézako, me souffle-t-il discrètement dans l’oreillette alors que je suis en grande conversation avec un éminent spécialiste du genre (et membre du Soul Bag crew lui aussi). L’occasion est trop belle, je lui remets donc Phil “Zydecoland” Sauret dans les pattes pour un petit cours express et personnalisé sur la richesse et la vivacité de cette scène musicale presque invisible de ce côté-ci de l’Atlantique. Verdict : un quart d’heure plus tard, alors que je lui ramène le rafraîchissement alcoolisé promis, mon stagiaire est aux premières loges et tape dans ses mains comme presque toute l’assemblée sur un boogie enflammé.

Les Saucers sont en forme et Sunpie drive le show avec charisme, humour et bonhomie. Entre reprises de classiques et compositions personnelles, la plaine du Lamoura tangue tranquillement. Ça commence à danser discrètement même, avec cette retenue toute française malgré les invitations répétées de l’accordéoniste qui engagent les spectateurs à lâcher prise, ou au moins leur siège.

Nuit tombante et quelques bières (locales) plus tard, il n’y a plus uniquement les premiers rangs qui swinguent. Le final de Flying Saucers Gumbo Special et leur génial invité illustre bien la montée en puissance du plateau prévu pour la grande soirée du MNOP. Et c’est dans le brouhaha des applaudissements que les musiciens se plient au rituel du salut final.

Sunpie Barnes
Sunpie Barnes & Flyin’ Saucers Gumbo Special

Ooh Poo Pah Doo

Petit entracte et nous voilà déjà en train d’accueillir la seconde phase de cette plongée néo-orléanaise en terre périgourdine. C’est au tour du trompettiste Leroy Jones, notamment membre du Preservation Hall Jazz Band, de grimper sur scène. Ce soir il est accompagné par High Blood Pressure, formation à géométrie variable fruit de l’alliance du tromboniste Sébastien Arruti et du saxophoniste Sylvain Tejerizo.

Nola jazz ou rhythm & blues cuivré, c’est un set qui tape sans retenue dans le répertoire de Crescent City auquel on assiste. D’Allen Toussaint à Harry Connick Jr, de Dr. John à Professor Longhair, et une inévitable parenthèse St James Infirmary, les cinq musiciens d’High Blood Pressure laissent l’espace nécessaire pour que Leroy Jones s’exprime pleinement au travers de son instrument. Un ou deux titres chantés par le trompettiste, les autres le seront par le brillant leader pianiste des Money Makers, Damien Daigneau.

On pense aux AFO Executives pour la rigueur du jeu et le soin donné aux harmonies. Mais quand des musiciens qui trépignent en backstage sont appelés en renfort pour un Ooh poo pah doo fédérateur et à rallonge que n’aurait pas renié Jessie Hill, bien obligé de sourire en voyant mon acolyte néophyte abandonner la longue file devant le food truck, et rejoindre la sarabande sur le devant de la scène.

Leroy Jones & High Blood Pressure
Damien Daigneau

Bouchées doubles

Si la nuit s’est maintenant complètement abattue sur la plaine du Lamoura, le public comme les musiciens sont en revanche loin de l’être. Retour à la case food truck (je ne suis pas non plus un maître de stage inconscient) où les échanges et discussions avec d’autres ventres vides (les verres en revanche sont pleins) sont fort sympathiques et camarades. Et même enrichissants quand on glisse de la tchatche purement musicale au terrain glissant de ce maudit virus et l’importance de la tenue de ce type de festivités en temps de pandémie.

Puis, notre dernière bouchée avalée, on se déplace à l’unisson vers ce qui s’apparente comme la dernière partie de soirée : Just About Fun(k) et leurs invités de luxe, Kirk Joseph (sousaphone) et Takeshi Shimura (guitare), conjointement exfiltrés de l’emblématique Dirty Dozen Brass Band pour ce séjour périgourdin. Des grooves crus et bouillonnants, un trompettiste inspiré, une complicité évidente entre les baguettes de Jérome Bossard et le cuivre gras de Kirk Joseph : la première partie de ce dernier show, par ses syncopes zébrées, le grondement du sousaphone et son funk fédérateur annoncerait-elle donc l’orage dans cette douce nuit étoilée ?

Juan Pardo

Thunder in Périgord !

Les éclairs et cette foudre que l’ont pressentait seront donc incarné par l’arrivée flamboyante de Juan Pardo, Big Chief des Golden Comanche, qui dans un costume paré de mille sequins et broderies, majestueusement coiffé et armé d’un fidèle tambourin semble bien décidé à finir de retourner la plaine du Lamoura et emporter le public dans un tourbillon incantatoire. Funk carnavalesque et Mardi Gras Indian’s groove obligent, à cette heure tardive plus grand monde n’est encore assis.

La chaleur d’une foule chantante massée au pied de la scène, des call and response bien connus (Injuns, Here they come, Ooh na nae, Sew sew sew… ) et d’autres brillamment improvisés par un Juan Pardo électrique ont l’écho spontané du public. Jeu de guitare étourdissant de Shimura, Sunpie Barnes en ambianceur en chef, épaulé par un Kirk Joseph en nage et dont le souffle ne se tarit donc jamais.

Dans la nuit maintenant bien avancée, ça danse, ça se déhanche, en un mot, ça balance pas mal par ici (hein Michel ?). Ravi d’en être, on réalise soudainement le travail accompli par l’équipe de MNOP à ce moment précis, un fil tendu à la force du poignet entre La Nouvelle-Orléans et… Boulazac. L’ intégralité des backstage est maintenant sur scène pour une jam finale en mode gros bordel, mais tellement nécessaire humainement parlant dans ce monde d’injonctions sanitaires et de gestes barrière (pour rappel, on est en plein air, peu de risque de cluster).

Derniers verres, du blabla et des sourires sur les mines fatiguées du staff. Je retrouve mon stagiaire tout ébouriffé sous sa casquette, bien heureux semble-t-il d’avoir goutté le temps d’un soir au moins aux vibrations de Cresent City à seulement trois heures de chez lui… Et je ne serais pas surpris qu’il y prenne pris goût. Comment faire autrement ?

Texte et photos : Julien D.

Un grand merci à Stéphane Colin et ses troupes pour l’accueil chaleureux ainsi qu’à mon “stagiaire” pour le confort de son T4.

festivalJulien DMNOP