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Live reports / 27.10.2012

MARCUS MILLER

Dans les notes de livret de son “Live & More” de 1997, Marcus Miller compare à des enfants les morceaux que lui et son groupe interprètent. Petit à petit, sans que leurs géniteurs s'en rendent forcément compte, ils grandissent. Des kilomètres de gigs dans les pattes, le répertoire de Miller profite de sa deuxième vie loin du studio. C'est toujours le cas quinze ans plus tard.

Devant un Olympia comble, c'est cette fois la quasi-intégralité de son nouvel album “Renaissance” qui fut revisitée. Deux heures intenses d'un groove dense, inspiré, versatile. Qui d'autre que Miller pour atteindre un tel niveau d'exécution et de recréation ? Enfin Miller et son groupe, car si le maître tient la baraque devant sa panoplie de Jazz basses (deux quatre-cordes, deux cinq-cordes, une fretless), c'est avant tout d'un effort collectif qu'il s'agit. Avec les jeunes surdoués qui l'accompagnent depuis quelques années, l'entente impressionne, les étincelles résonnent. Kris Bowers au piano et Lee Hogans à la trompette auront l'occasion d'en produire. Tout comme le fougueux Louis Cato dont les fûts dialoguent à merveille avec le patron. Quant aux deux autres… C'était une bonne chose d'être assis pour tenir le choc de leurs sorties de rang. À la guitare, Adam Agati apparaît d'abord en retrait, un peu éteint. Le réveil a lieu au troisième morceau : d'une main gauche arachnéenne il tisse un majestueux solo lunaire (son et phrasé d'une autre planète). Il y en aura d'autres, dans diverses couleurs, toujours saisissantes. Le sixième homme, lui, est devenu une sensation à part entière du groupe de Miller. Les clés du paradis sont sur le sax alto d'Alex Han. Un tel dépassement de la technique en tout point assimilée pour féconder les portées donne lieu à de pures merveilles de lyrisme. Une leçon de Miller ? Car c'est bien ce qu'il fait aussi. S'il ne manque pas de solliciter ses troupes à chaque morceau, il ne se prive évidemment pas de faire parler sa basse. Avec une virtuosité intouchable (la fluidité avec laquelle il navigue entre slap, jeu au pouce et pizzicato défie l'entendement, pour ne parler que de sa main droite) et surtout un génie pour traduire quantité d'idées qui font fleurir ensemble rythme et mélodie. Bluffant et grisant.

 

 

Des séquences qui restent imprimées longtemps après la tombée de rideau ? Cette entrée en matière sur Mr. Clean et son ample glissando qui plante à lui seul les fondations du festival de groove à venir ; ce Redemption rampant qui ensorcelle ; ce bipolaire Jekyll & Hyde qui joue de la tension-détente pour un effet montagnes russes ; cette descente d'une octave avant de faire muer discrètement la ligne de basse en celle de Flashlight (Parliament) ; ces doigts qui chantent I'll be there lors d'un rappel entamé seul assis sur un retour ; ces solos dynamite sur le Blast de clôture… Aussi, sur le recueilli et lumineux Gorée, ce Marcus Miller qui pose sa clarinette basse pour se laisser porter par le son, dansant doucement au gré des mesures avant de saisir sa fretless pour en dire davantage. Et dans le groove s'invite la grâce.

Nicolas Teurnier
Photos © Éric Garault