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Live reports / 08.06.2016

Lucky Peterson (solo)

Fin mai, le Texan a donné à Paris une série de concerts en solo dans le cadre intimiste du Sunset. Soul Bag a vu deux shows.

Samedi 28 mai, premier concert

Un Lucky Peterson débarrassé de son orchestre de marteaux-pilons, sans solos à rallonge ni plongée interminable dans la salle, vous en rêviez ? Le Sunset l’a fait, en proposant trois soirs de suite et pour deux concerts par soir d’écouter le bluesman de Dallas seul sur la petite scène du club, où ne l’attendent que deux guitares (dont une restera intouchée tout le concert), un piano et un Rhodes. Pas question pour Lucky cependant de jouer au bluesman “à l’ancienne” : les guitares sont électriques et le clavier électrique est au moins autant utilisé que son homologue acoustique. Visiblement, l’exercice n’est pas usuel pour Lucky, qui annonce d’emblée son intention de « faire ce que qu’il ne fait pas d’habitude » mais semble hésiter, pour ce premier concert de la série, sur la direction à prendre, d’autant qu’il n’a pas prévu de set-list. Fatigué et peu en voix, en particulier au début du show, il se déride et s’échauffe progressivement, même si la faible réponse du public – même pas capable de reprendre à pleine voix Mojo working ! – semble le décevoir et ne contribue pas à sa motivation.

Passant au fil de l’inspiration du piano au Rhodes et à la guitare, il consacre hélas beaucoup de temps à des standards auxquels il ne peut pas apporter grand-chose (Kansas City, au piano, Bright light big city, Hideaway et Mojo working, à la guitare…). C’est sans surprise sur les titres plus personnels qu’il convainc le plus : I’m still here – qui est sans doute en train de devenir son morceau fétiche – et I’m back again, deux compositions issues de disques récents au message similaire. Mais c’est avec une chanson (non identifiée) empruntée au répertoire paternel, qui évoque la jeunesse de celui-ci, qu’il atteint le meilleur de sa prestation. Le son du Rhodes – et la présence de ses lunettes de soleil ! – semble lui faire penser à Ray Charles, et il embraye avec un medley de chansons qui lui sont associées, enchaînant I got a woman, Let’s go get stoned, What’d I say et terminant, au piano, avec Night time is the right time, sur lequel il imite également les réponses de Margie Hendricks ! Au piano, il poursuit avec deux reprises issues de l’album de la consécration, “I’m Ready” – qui fêtera déjà ses 25 ans l’année prochaine – : la chanson titre et Who’s been talking, dans une jolie version douce et intimiste. Le final le voit revenir, toujours au piano, vers le gospel, pour un beau Truly a friend suivi d’un dispensable Oh happy day. Un boogie sans surprise servira de rappel, avant que Lucky ne se prépare – après une séance de dédicace – à accueillir le public du second show.

Sans constituer une révélation – faute sans doute de préparation suffisante –, ce format permet à Lucky Peterson de rappeler à ceux de ses admirateurs qu’il a perdus en route pourquoi il constituait, à l’orée des années 1990, un tel espoir pour l’avenir du blues. Espérons que l’expérience soit une réussite et lui donne l’envie de faire évoluer de façon durable son show dans une direction moins tapageuse qu’à l’habitude.

Frédéric Adrian

 

 

 

Lundi 30 mai, premier concert

C'est sous des trombes d'eau, celles-là mêmes qui allaient déclencher les dramatiques crues du début du mois de juin, que les amateurs durent se rendre au Sunset pour la dernière des trois soirées de Lucky Peterson en solo. Leur abnégation fut largement récompensée : une fois bien au sec dans la petite salle du club parisien, ils eurent la chance d'assister à un concert haut en couleurs, dynamique et chaleureux.

La disposition scénique frappait par son ascétisme : un piano droit, un Rhodes, deux guitares asiatiques au standing bien éloigné des lustres gibsoniens passés, un Twin Reverb. Cumulée à l'étroitesse des lieux et au caractère improvisé du set (Lucky déroula les morceaux au gré de ses envies), ce récital ressemblait plus à une soirée entre amis qu'à un concert en bonne et due forme. Un cadre inhabituel pour le bluesman donc, d'habitude abonné aux grandes scènes débordantes d'électricité.

Vêtu d'un pantalon rouge vif, d'une chemise blanche et d'une cravate noire à moitié dénouée, un galurin solidement vissé sur sa tête, Lucky débute son set au piano acoustique par un blues lent à consonances jazzy. Un choix gagnant : déstructurées façon Monk avec dissonances harmoniques et ruptures rythmiques inattendues, ces douze mesures bourrées de feeling rassurent d'emblée sur le niveau d'engagement du bluesman ; à ce niveau de proximité, impossible de faire semblant ! Il enchaîne ensuite avec un boogie à basses roulantes, puis avec un Kansas city qui, s'il ne déborde pas d'originalité, lui permet de se mettre l'audience dans la poche à coups d'œillades, d'interjections et de blagues potaches. Ravi de jouer pour un auditoire qui comprend ce qu'il raconte, il passe au Rhodes et se lance dans un long monologue mi-parlé, mi-chanté durant lequel il s'épanche sur son père, ses rapports avec le blues, ses débuts à Buffalo, ses idoles. C'est un des points culminants du set, et cela laisse entrevoir ce que pourrait être la suite de sa carrière. Le petit prince prodigue laisse la place au vieux sage, au raconteur d'histoires, au passeur. C'est réussi, parce que non feint. Du coup, même une scie usée comme Stormy Monday procure des frissons. Et quand il enchaîne avec It ain't safe, tiré de “Double Dealin” (2001), réinventée, simplifiée à l'extrême (les basses et de longs accords suspendus), c'est carrément Le Pied, ovationné comme il se doit par le public. Toujours tirée du même album, la ballade Don't you try to explain lui permet d'enfoncer le clou à coup de vocaux étourdissants de classe et de feeling.

Lucky emmanche ensuite sa guitare pour un medley de standards plus (You don't have to go) ou moins (Build myself a cave) connus. Là aussi, le résultat est crédible et si Lucky s'autorise quelques traits flashy dans les aigus, il se cantonne la plupart du temps à des riffs sobres et efficaces. Get my mojo working et Hoochie coochie man laissent sur leur faim les amateurs exigeants, qui auraient préféré un répertoire plus personnel, mais le public ne fait pas la fine bouche, ravi de reprendre à tue-tête les call and responses demandés par le chanteur.

Lucky cède encore à la facilité avec un Stand by me superflu mais se reprend avec un beau You send me, délicatement interprété au Rhodes, puis avec un Papa was a rollin' stone joué au piano dans une veine gospelo-funk irrésistible. Quelle main gauche ! C'est déjà l'heure du dernier morceau, avec le magnifique Truly your friend, tiré du diamant noir “Black Midnight Sun” (2003). En rappel : Happy day, moins soporifique qu'attendu, et Boogie woogie blues joint party, bien bouillant, seul extrait de “Son Of A Bluesman” (dommage). En revanche, aucun extrait du petit dernier JSP, pourtant en vente au comptoir.   

En résumé, malgré un manque évident de préparation et un répertoire trop convenu, cet excellent concert prouve que Lucky Peterson reste encore en pleine possession de ses moyens. Qu'un producteur le prenne en main, l'aiguille et lui fournisse l'écrin orchestral qu'il mérite, et il sera alors en mesure d'effectuer une fin de carrière à la hauteur de son talent.

Ulrick Parfum

Photos © Stella-K