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Live reports / 18.09.2023

Les Rendez-Vous de l’Erdre 2023

Nantes et alentours, 23 août-3 septembre 2023.

Les Rendez-vous de l’Erdre occupent une place singulière dans le paysage des festivals de l’Hexagone, tout d’abord parce qu’il associe jazz et belle plaisance, avec sa parade de voiliers, canots, barques et autres embarcations descendant l’Erdre le samedi en fin d’après-midi. Mais aussi parce qu’il est entièrement gratuit et offre aux Nantais-es une formidable occasion de se retrouver à la veille de la rentrée au pied de scènes à la programmation éclectique mais distinguée. Autre trait distinctif, les RDV de l’Erdre accordent une place de choix au blues, quand tant d’autres festivals aujourd’hui l’ostracisent. Grand bien lui fait d’ailleurs, car la scène blues s’avère tout aussi attractive que les autres et rassemble un public transgénérationnel. Voilà, c’est dit ! (JP)

Avant le grand week-end, le festival propose de nombreuses sorties avec des concerts, petits ou grands, dans des endroits moins conventionnels, que ce soit dans le “off” ou lors de la Tournée des Batignolles. Nous voici donc le 23 août à l’écluse de la Tindière, un lieu qui mérite déjà une visite tellement il est agréable, pour retrouver Tampa Road emmené par Solenne Schumann au chant, avec François Nicolleau à la guitare, Max Genouel à la basse, en lieu et place du titulaire organiste Bruno Denis, et David Avrit à la batterie. Solenne met un point d’honneur à reprendre de grandes chanteuses, qu’elles soient connues ou non, donnant ainsi à entendre des chansons de Nina Simone, Etta James, Sharon Jones, Amy Winehouse, Aretha Franklin, Sugar Pie DeSanto, Laura Lee, interprétées d’une voix qui s’affirme au cours du set. François Nicolleau joue plus de solos que d’habitude puisque l’orgue n’est pas là, mais il ne manque ni de talent ni d’imagination, et il nous laisse une fois de plus pantois. Laurence Le Baccon apparaît au micro pour un morceau partagé. Le concert se conclut avec Beware d’Ann Peebles.

Le vendredi 25, nous assistons à la deuxième soirée de la Tournée des Batignolles, animée cette année par les Checked Shirts, soit Nicolas Deshayes à la guitare, Arnaud Gobin à la contrebasse et Cyril Durand à la batterie. Le trio se positionne de fait comme des Aces nantais puisqu’il invite systématiquement d’autres bluesmen locaux à jouer et chanter avec eux. Ici, c’est Kévin Doublé à l’harmonica et au chant, et François Nicolleau à la guitare et au chant. Kévin sera présent à tous les concerts de la tournée, François non, aussi Kévin jouera aussi de la guitare en son absence. Nous les verrons également les 28 et 29. Les concerts de la tournée se font au milieu des habitations, dans des squares ou espaces verts, générant des moments de partage particuliers avec un public composé d’amateurs venus pour ça et de promeneurs et habitants vite charmés par l’événement. La musique en général, et le blues en particulier, ont un effet d’attraction fort, en particulier pour les petits enfants qui se précipitent tous devant de la scène.

Avec de tels musiciens, le blues est forcément de qualité, composé de reprises de John Littlejohn, le morceau Kiddy-o sera un fil conducteur de leurs concerts, Clarence Gatemouth Brown, Luther Johnson, Guitar Slim, T-Bone Walker, Jim Liban, Ruth Brown, Hank Snow, Little Walter, Sonny Boy Williamson II, Ray Charles, la palette est large. La voix de Kévin, douce et précise porte tout sans peine, son harmonica alterne aussi entre douceur acoustique et raucité amplifiée. François et Nicolas échange de beaux solos, et Arnaud et Cyril rythme l’ensemble avec souplesse et efficacité dans les relances. On peut les voir ainsi sans aucune lassitude plusieurs fois de suite.

Tampa Road © C. Mourot
The Checked Shirts © C. Mourot

Le concert final de la Tournée des Batignolles a lieu le mercredi 30 à la Locomotive, mais nous faisons l’impasse pour aller voir Max Genouel & his Texas Blues Review au Zygo Bar. Ce haut lieu du blues à Nantes est chaud pour écouter la formation composée de cadors : Max Genouel au chant et à l’harmonica, Nico Duportal et l’ubiquiste François Nicolleau (tout juste débarqué du concert des Checked Shirts ! ) aux guitares, Julien Bouyssou à l’orgue et Hugo Deviers à la batterie. Jacques Périn détaille plus loin leur repertoire, avec une bonne place donnée à Jimmie Vaughan et aux Fabulous Thunderbirds, mais pas seulement, aussi ne parlerons-nous ici que de la qualité du son, celui de Max à l’harmonica étant particulièrement goûteux, et de l’entrain d’une telle musique quand elle jouée avec autant de talent. Jakez Rolland est invité au chant et à la guitare sur un morceau.

Le lendemain matin à 8 heures, nous sommes à Port Jean à Carquefou pour le lever de soleil sur l’Erdre, avec la trompette de Yoann Loustalot. De soleil il n’y aura point, remplacé par une bruine vigoureuse, mais le trompettiste réussit à réchauffer nos corps et nos esprits avec une série de moments de grâce. Trompette encore avec celle d’Yves Brouillet au sein de Nuca Swing Gang, cette fois-ci en quartet avec aussi François Nicolleau – toujours lui ! – à la guitare, Fabrice Chaussé à la contrebasse et Jérémy Royer à la batterie. Ça commence par Take the A train en version chantée, et ça continue avec de jolies pièces swing, dont des reprises de Louis Jordan, Bob Wills, Amos Milburn et d’autres encore. Cela se passe sur la place du marché à Carquefou avec huîtres et Muscadet offert par le sponsor Crédit Mutuel, le soleil pointe son nez, tout va bien.

Ce jeudi 31 offre un choix important de concerts le soir, par exemple Lowland Brothers, Johnna Reyjasse et les Pinetops. Ce sont ces derniers que nous allons voir au bar Ti Lichous. Thibaut Chopin (chant, harmonica et guitare), Julien Broissand (guitare), Julien Dubois (basse) et Denis Agenet (batterie), c’est encore un groupe de pointures qui nous livre une séance de blues électrique bien sudiste mais pas seulement. Chant, guitares, harmonica, et rythmique sont impeccables, les compositions et les reprises cohabitent dans un beau son, les invités sont de haut vol – Miguel Hamoum à la basse et, bien sûr, François Nicolleau à la guitare –, on se sent chanceux de pouvoir assister à un tel événement, tranquillement, un verre à la main. (CM)

Max Genouel Texas Blues Review © C. Mourot

Le vendredi, juste avant le lancement officiel du festival par Johanna Rolland, la maire de Nantes, on retrouve la Max Genouel Texas Blues Revue sur la place Royale, au cœur de cité. Figure de la scène locale, Max, connu comme guitariste des Freaky Buds ou bassiste des Lowland Brothers, se concentre aujourd’hui sur l’harmonica (instrument de prédilection de son père Dominique, pilier des Lazy Buddies). Là encore, Max associe talent, goût et discernement dans le choix de reprises inspirantes, empruntant aussi bien à Freddie King qu’aux Fabulous Thunderbirds – Texas blues oblige. Les instrumentaux permettent à tous de s’exprimer : le guitariste Nico Duportal (himself), l’organiste Julien Bouyssou et le batteur Hugo Deviers, tous de vieilles connaissances ! Au chant aussi Max Genouel apportera sa marque, notamment sur la balade langoureuse Teardrops on your letter (Hank Ballard) ou l’excellente version du Gangster of love de Guitar Watson. En rappel, Real gone lover, un titre de Smiley Lewis.

La scène blues est inaugurée le soir même par Denis Agenet et ses Nolapsters au grand complet. C’est-à-dire une formation de dix musiciens qu’il est rarement possible de rassembler. Les RDV de l’Erdre lui offrent ce privilège. La batterie de Denis est placée au premier plan pour ne rien perdre de sa présence, ses apartés et surtout son talent à combiner chant et jeu rythmique. Il puise dans son nouvel album “Piece Of Land” dès le début avec My first Christmas alone (pas vraiment de saison mais bien déhanché), il y reviendra encore avec notamment l’entêtant Mail man on the Everest, agrémenté d’un solo de sousaphone de Benoit Gaudiche, sans négliger des titres plus anciens (Reefer man…) et même une reprise de Gary Primich, I’m the only one, sur laquelle François Nicolleau prendra un de ces solos de guitare qui mettent tout le monde d’accord ! Émotion, choix de la note juste, respiration, la classe ! Sideman de luxe, Nico Wayne Toussaint ne cache pas son plaisir de se trouver en si bonne compagnie, ses solos d’harmo et ses pas de danse en témoignent. Notons aussi l’implication de tous les Nolapsters, Igor Pichon à la contrebasse, Ben Bridgen aux claviers, Thomas Aubé à la guitare, Félicien David au saxophone allié à la trompette de Benoit Gaudiche. Sans oublier les chœurs très présents prodigués par Julie Dumoulin et Louise Voyer. (JP)

Le samedi 2 commence à 11h au Parc du Plessis-Tison avec Kévin Doublé 4tet. Kévin Doublé est au chant, à l’harmonica et à la guitare, Pierre Le Bot au piano, Anthony Muccio à la contrebasse et Gabor Turi à la batterie. Le blues de Kévin se fait ici plus jazz, bien servi par le swing de Gabor et les solos à tomber par terre de Pierre. Le répertoire fait des clins d’œil à celui joué avec les Checked Shirts et s’enrichit de reprises d’Oscar Brown Jr, Ray Charles, et de la chanson After you’ve gone dont il y a eu tant d’interprétations qu’il est difficile d’en citer une ici. La lumière du soleil est belle sous les arbres du parc, des enfants jouent dans la pataugeoire, d’autres, les plus petits, tentent encore une fois de s’approcher des musiciens, vite rattrapés par leurs parents, le moment est beau.

Kévin Doublé 4tet © C. Mourot

Il est ensuite temps de retourner à la scène blues de l’Ile Versailles pour la première partie du tremplin. Trois groupes sont prévus ce samedi, et deux le dimanche. C’est le Winter Blues Band qui ouvre le concours. Quentin Winter, chant et guitare, Cyril Babin à la Basse et Sébastien Jonckheere à la batterie, interprètent un blues rock carré, solide, soudé, tout démarre au quart de poil, même si on peut trouver qu’ils s’égarent de temps à autre. Le Windy City Blues Band avec Philippe Faissolle au chant, Mathieu Cassagnes à la contrebasse, Alex Rabilloud à la guitare et Bruno Richard à l’harmo et aux percussions, produit un blues électrique de Chicago composé uniquement de reprises mais le fait dans une formule originale dû au double rôle de Bruno Richard. Chant et instruments sont bons, ça fait du bien d’écouter du blues juste et respectueux. Retour au gros son avec les Blue-Footed Boobies emmenés par Ronan OneManBand au chant et à la guitare, Marko Balland à l’harmonica, avec Pascal Blanc à la basse et Guillaume Dupré à la batterie. Après avoir joué en solo, en duo avec Marko, en trio avec Marko et Pascal, voici Ronan en quartet, où il trouve une pleine liberté de mouvement, à la guitare et au chant. Ses compères et lui en profitent et sont impressionnants de puissance, avec la voix de rogomme de Ronan, sa guitare éraillée, l’harmo virtuose de Marko et la rythmique costaude. (CM)

Le tremplin restreint les possibilités du jury d’aller écouter ce qui se passe ailleurs, mais les changements de plateau permettent toutefois des échappés de l’autre côté de l’Erdre où est amarrée la péniche La Casa à la programmation du plus joli bleu. J’ai ainsi pu entendre une partie du set de Jakez & The Jacks, adeptes d’un Chicago blues épuré et expressionniste qui touche au cœur. Avec Julien Dubois (b) et David Avrit (dm), Jakez Rolland (vo, g) m’a comblé avec sa version du Sweet sixteen ! À noter qu’Arnaud Fradin assurait la “mise en son” de la péniche qui a aussi accueilli Bo Weevil, Max Genouel et Tampa Road.

La scène blues qui avait drainé un large public tout l’après-midi battait des records d’affluence le soir pour Mike Sanchez accompagné par le Soul Shot All Stars, avec l’ubiquiste Fabrice Bessouat à la batterie, un groupe que connaît bien le pianiste pour y faire souvent appel sur le continent. Mike Sanchez perpétue la longue tradition de pianistes-entertainers, des adeptes du boogie-woogie aux pyromanes du rock ‘n’ roll (Little Richard, Fats Domino, Jerry Lee Lewis), et toujours entretenue par Mitch Woods ou Kenny “Blues Boss” Wayne. Chez Sanchez, l’influence de La Nouvelle-Orléans est très présente à travers ses reprises de Fats Domino (I’m ready, Let the four winds blow, Hello Josephine). La présence active de Jean-Marc Labbé au sax baryton et de Drew Davies au ténor légitime ce côté, mais Sanchez diversifie aussi son inspiration en allant puiser chez Amos Milburn (Down the road apiece, avec un solo de contrebasse slappée par l’irremplaçable Thibaut Chopin !), Little Milton (Ain’t no big deal, là c’est Anthony Stelmaszack qui fait un malheur !) ou Howlin’ Wolf (inattendu How many more years). Et comme toujours, les parties de piano boogie galvanisent le public qui a le cœur à la fête. Il en redemande et y gagnera Be my guest et Heeby-jeebies !

Mike Sanchez © J-M Rock’n’Blues

Le lendemain dimanche, à peine remis de nos émotions, le blues brunch nous attend sur l’île de Versailles, toute proche de la scène blues. On y retrouve le groupe qui a œuvré durant toute la semaine précédente dans les quartiers : les Checked Shirts (encore une valeureuse formation nantaise au titre insolite : Les Chemises à carreaux !) avec, en invité, le chanteur-harmoniciste Kévin Doublé dont le style jazzy convient bien à Cyril Durand aux drums, Arnaud Gobin à la contrebasse et Nicolas Deshayes à la guitare. On passe un vrai bon moment, un gobelet de café ou de muscadet en main, à apprécier ce blues élégant, swingant et érudit (She walks right in de Clarence Gatemouth Brown). De quoi bien commencer une journée chargée avec la suite et fin du tremplin et le concert final des gagnants de l’an dernier, An Diaz et les Yokatta Brothers. (JP)

La deuxième partie du tremplin commence avec Little Big 6ster. Virginie Pinon (voix, cigar box, guitare), Nicolas Bach (voix, guitare), Cyril Bach (percussion, didgeridoo, chœurs), Gilles Theolier (basse) et Vincent Lechevallier (batterie), sont connus désormais, pour avoir tourné sur de nombreuses scènes, mais restent attractifs par le dynamisme de leur blues rock, la qualité de leurs voix et leur approche bigarrée, atténuée ici car la chaleur n’est pas compatible avec leurs tenues de scène habituelles, coiffes et autre poncho ou chapeau. Mais l’entrain demeure, et la voix de Virginie captive, puissante ou agréablement plus nuancée par séquence, comme sur ce bienvenu Trouble in mind en ouverture. C’est le Zacharie Defaut Band qui conclut le concours avec un rock faisant la part belle à la guitare du leader, accompagné de Edward Rogers (claviers), Flavien You (basse) et Kevin Lika (batterie). Ces jeunes musiciens sont doués et soudés, jouent des compositions originales, avec une base blues certaine, et tiennent bien la scène.

Après délibération, le jury rend les résultats suivants :

  • 1er prix des Rendez-Vous de l’Erdre : Little Big 6ster
  • 2e prix : Zacharie Defaut
  • 3e prix (Crédit Mutuel) : The Windy City Blues Band
    Prix spéciaux :
  • Little Big 6ster : prix Blues sur Suresnes, Rives de blues & Co, France Blues 1, Montfort Blues, Collectif des Radios Blues
  • Blue-Footed Boobies : prix Soul Bag
  • Zacharie Defaut : prix Bain de Blues
  • The Windy City Blues Band : prix l’Azile et Odéon
  • Winter Blues Band : prix France Blues 2

An Diaz & Yokatta Brothers, vainqueurs du tremplin en 2022 clôturent cette édition au titre de leur premier prix. Remontés comme des pendules et motivés comme jamais, An Diaz (chant), Manu Slide (guitare et harmonica), Stéphane Bihan (basse et contrebasse) et Julien Mahieux (batterie) livrent un concert incandescent. An est à fond dès les premières secondes, ses compères la suivent au quart de tour. Pour les avoir vus plusieurs fois dans l’année, on ne peut que constater qu’ils s’améliorent à chaque sortie, que leur répertoire contient des moments forts comme Can’t stop now, qu’on attend véritablement, que la voix d’An est exceptionnelle, et que leur formule est gagnante, surtout quand les musiciens sont tous installés au même rang sur scène, ce qui permet de les apprécier pleinement.

Et il arrive un moment où la musique doit s’arrêter, où la scène blues doit s’éteindre. On reste alors sur place, des étoiles plein les yeux et les oreilles, on échange une dernière fois avec les spectateurs, les amis, et on finit par partir avec cette impression renouvelée que les Rendez-Vous de l’Erdre procurent des émotions à nulle autre pareille. Rendez-vous en 2024. (CM)

Textes : Christophe Mourot et Jacques Périn
Photos © J-M Rock’n’Blues et Christophe Mourot
Plus de photos ici.

An Diaz & Yokatta Brothers © J-M Rock’n’Blues
An Diaz & Yokatta BrothersAnthony StelmaszackArnaud GobinBen BridgenBenoît GaudicheBlue-Footed BoobiesChristophe MourotCyril DurandDenis AgenetDenis AgentFabrice BessouatFélicien DavidFrançois NicolleauHugo DeviersIgor PichonJ-M Rock'n'BluesJacques PérinJulie DumoulinJulien BouyssouJulien BroissandJulien DuboisKévin DoubléKévin Doublé 4tetLes Rendez-Vous de l'Erdre 2023live reportLouise VOMax GenouelMax Genouel Texas Blues ReviewMike SanchezNico DuportalNico Wayne ToussaintNicolas DeshayesNuca Swing GangQuentin WinterTampa RoadThe Checked ShirtsThibaut ChopinThomas AubeWindy City Blues BandYoann Loustalot