;
Live reports / 10.05.2019

Lake Street Dive, Élysée Montmartre, Paris.

19 avril 2019.

En quinze ans de carrière, c’est seulement la seconde fois que le quintet bostonien se produisait à Paris. Il s’agissait donc de ne pas louper le coche, ce que se sont bien gardé de faire les nombreux fans du groupe, venus en masse pour les soutenir. C’est donc devant un Élysée Montmartre bien rempli que le Ida Bang and The Blue Tears ouvre les festivités. Venu de Suède, ce trio acoustique (une chanteuse lead, deux guitaristes acoustiques, également chanteurs) fera mieux que chauffer la salle. Alternant blues funky et folk planant, leur enthousiasme, leur fraîcheur et leur capacité à remplir l’espace (groove solide, belle complémentarité des deux guitares) leur valent de quitter les planches sous les vivats mérités du public.

On passe quand même à un niveau supérieur avec Lake Street Dive, dont l’impeccable maîtrise technique leur permet d’aborder tous les styles de façon complétement décomplexée. Le premier titre (Baby, don’t leave me alone) pose d’emblée le cadre : une intro jazzy vaporeuse, un couplet smooth funk, un pont rock violemment saturé, un chorus de clavier jazz funk discoïde, une outro où le tempo est divisé en deux. Ça secoue, ça surprend, mais ça passe aussi comme une lettre à la Poste grâce aux mélodies et à la voix limpide et bien posée de Rachael Price. Sans jamais trop en faire, la chanteuse parvient à (re)lier, à donner de la cohérence à tous les blocs disparates disposés par ses facétieux partenaires.

Soirée pleine de surprises donc, très groove, épicée de jazz (leur éducation), de rock ‘n’ roll à tendance indé (les riffs de guitare, qui doivent autant à Keith Richards – les accords en barrés – qu’à Pearl Jam – les montées chromatiques – ou à John Frusciante – les double stops atonaux), d’un sens inné pour les la-la-las power pop (rappel de leur profession de foi : mixer les Beatles et Motown), d’une aptitude aux breaks qui tuent façon grand-huit, d’un humour pince-sans-rire arty new-yorkais (leurs postures, leurs vannes, leur arrivée sur scène aux sons de Eye of the tiger), de folk, de beaucoup de funk, de soul aussi (Curtis Mayfield n’est jamais très loin)… Tout ça sans sonner prétentieux ni sombrer dans l’exercice de style ; juste une grande culture et une immense ouverture d’esprit, qui s’appuient sur un répertoire solide, majoritairement tiré de leur dernier disque, “Free Yourself Up” (Good kisser, Musta been, Shame, shame, shame, Hang on Red light kisses…), sans oublier quelques tubes (Mistakes, mais Side pony manquait à l’appel ; dommage…) et la référence obligée à leur souffre-douleur Bobby Tanqueray (medley de trois chansons). 

Michael Calabrese
Bridget Kearney

Mais Lake Street Dive, c’est aussi un collectif fascinant à “regarder” tant les individualités qui le compose n’ont rien à voir entre elles (à tel point qu’à l’exception de la paire rythmique, ils ne se regardent quasiment pas, d’où une certaine froideur quand même). À la batterie, pieds nus, bandana vissé sur le front, Michael Calabrese est en interaction constante avec Bridget Kearney, auteure principale du dernier CD et âme du groupe. Sa contrebasse hyper funky constitue le point d’ancrage du quintet, tant dans sa singularité intrinsèque que dans sa puissance (quelle main droite !) et sa gestion du temps et des silences (quel toucher de main gauche !). Aux claviers, la nouvelle recrue Akie Bermiss. Discret, talentueux, il renforce le caractère funky-prog du groupe. C’est aussi un chanteur d’exception, ce qu’il démontrera lors de son incroyable reprise de You’re still the one de Shania Twain. À la guitare, perdu à gauche de la scène, caché derrière sa mèche blonde et ses grosses lunettes de nerd, Mike Olson colore les chansons de multiples textures : électrique ou acoustique ; sons clairs, crunch ou saturés ; jeu aux doigts ou au médiator ; accordage standard ou en open ; chorus de slide ; effets divers. Mieux qu’un guitariste, c’est un coloriste… doublé d’un bon trompettiste (Mistakes) qui aime s’aventurer en territoire free.

Discrètement charismatique, Rachael Price domine les débats mais laisse de l’espace à ses collègues, tous excellents chanteurs. À ce titre, le rappel a cappella de Bad self portraits constitue le sommet du show. La soirée se conclut en beauté avec l’oxymoresque You go down smooth, noyée de chœurs beatlesiens. La traditionnelle séance de dédicace post-concert est prise d’assaut par des fans encore plus enthousiastes qu’au début. Un signe qui ne trompe pas.

Texte : Ulrick Parfum
Photos © Wilfried Antoine-Desvaux   

Elysée MontmartreLake Street Divelive in ParisUlrick ParfumWilfried-Antoine Desveaux