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Live reports / 14.03.2022

Kurt Elling feat. Charlie Hunter, New Morning, Paris

17 février 2022.

Figure majeure de la scène du jazz vocal depuis le milieu des années 1990 – il a reçu deux Grammy Awards, le dernier en 2021 –, Kurt Elling a développé sa propre approche du chant, inspirée entre autres par Mark Murphy et Chet Baker. Au fil des années et des disques, il a exploré différents répertoires – y compris ses propres compositions – et différents contextes musicaux, collaborant aussi bien avec Ramsey Lewis ou Branford Marsalis qu’avec la soprano classique Renée Fleming. 

Paru l’année dernière, son album “SuperBlue” le voyait s’aventurer pour la première fois dans un registre funk jusqu’ici inédit aux côtés du guitariste Charlie Hunter, un musicien tout-terrain entendu, en dehors de ses projets personnels, aussi bien avec les Disposable Heroes Of Hiphoprisy qu’avec D’Angelo, John Mayer ou les Snarky Puppy, et de deux membres du groupe “garage punk jazz funk” (selon leur propre description) Butcher Brown, le clavier D.J. Harrison et le batteur Corey Fonville, également membre de l’ensemble de Christian Scott. 

Pour cette première date parisienne depuis quelque temps – il s’exclame en ouverture et en français : « J’étais enfermé depuis trop longtemps ! » –, c’est le trio du disque qui l’accompagne, renforcé par deux choristes de luxe issues de la scène britannique : Vula Malinga, entendue aux côtés de Quincy Jones, Lalah Hathaway, Incognito, Gregory Porter ou Tony Momrelle entre autres, et Holly Petrie. Sans surprise, c’est le répertoire de “SuperBlue” qui constitue le cœur du programme de la soirée. 

Après une introduction instrumentale qui mets en valeur le jeu atypique de Charlie Hunter, qui joue comme à son habitude sur une guitare électrique à huit cordes lui permettant de brouiller les frontières entre rythmique, lead et basse, c’est sur Sassy, un titre de Manhattan Transfer ici revisité dans un registre à la limite du p-funk, que s’ouvre le concert. Dharma bums, une composition des trois musiciens avec des paroles d’Elling, enchaîne dans un registre blues ouvert par une introduction de Hunter en solo et qui se poursuit au fur et à mesure des improvisations de chacun des musiciens sous la direction de Elling, qui distribue du geste les solos – et se lance dans un passage scatté virtuose.

Très à l’aise et visiblement heureux de la relation télépathique avec ses musiciens, Elling, qui n’hésite pas à se lancer dans quelques pas de danse, leur laisse une large part – en particulier à Cory Fonville, constamment inventif, et chaque morceau semble s’étendre et se prolonger en fonction de son inspiration. Manic panic epiphanic, qui clôt le premier set, inclut une référence au gospel He’s got the whole wide world in his hands qui permet de mettre en valeur les deux choristes et intègre un passage a cappella, ainsi qu’un duo scatté avec la guitare de Charlie Hunter. 

Le second set se poursuit dans le même registre. Un peu défavorisé par la balance dans le premier set, D.J. Harrison se rattrape largement et s’offre quelques beaux solos, tandis que le chewing-gum ostensiblement mâché par Elling ne réduit en rien sa puissance vocale ! Le trio abandonne le répertoire du dernier album le temps d’un Going to Chicago réinventé, qui permet à Elling de montrer à la fois son inscription dans la tradition et sa capacité à la dépasser, avant d’y revenir avec la chanson titre, sur laquelle Elling s’offre un passage en français. Réclamée par le public, la ballade Endless lawns – des paroles d’Elling sur un thème de Carla Bley – est une grande réussite, illuminée par un solo d’Harrison. Emprunté à Cody ChesnuTT, The seed vient conclure en beauté le set en offrant à Elling l’occasion d’un duo scatté avec le batteur.

En rappel, l’ensemble s’attaque au Lonely avenue de Doc Pomus, ouvert par une brillante introduction en solo par Hunter mais qui s’éloigne vite de la version de référence de Ray Charles, Elling se lançant dans une série d’improvisations vocales pleines d’humour. L’enthousiasme du public ne diminuant pas après cette brillante prestation, le trio instrumental revient, sans Elling ni les choristes, pour un instrumental improvisé qui offre une belle conclusion à une soirée sans temps mort. 

Texte : Frédéric Adrian
Photos © DR