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Live reports / 09.10.2012

JON CLEARY

La Nouvelle-Orléans en plein Paris. On y avait eu le droit il y a trois mois quand les murs d'une Cigale bondée suintaient le “fonk” du maître en la matière, Dr. John, merveilleusement servi par son Lower 9-11. En renfort aux claviers, il y avait aussi celui qu'on peut considérer comme son fils spirituel tant il porte haut la flamme du piano de la Big Easy, Jon Cleary. Bouillant. C'est avec ce souvenir en tête – et celui de prestations mémorables à Cognac en 2003 – qu'on poussait la porte du Duc des Lombards. Cleary s'y produisait en trio et, à nouveau, c'était très chaud.

 

La formation réduite n'avait rien du concert au rabais. Au contraire, ce fut même l'occasion de prendre toute la mesure du talent de Cleary au piano acoustique, chose moins évidente lorsqu'il joue avec ses Absolute Monster Gentlemen et que le funk est roi. Des Gentlemen au Duc, il n'y avait que le bassiste Cornell Williams. C'est déjà beaucoup. D'un monstre du groove il s'agit bien. Un modèle de précision, d'assise, de fluidité, de tempérance, doublé d'un chanteur averti et d'une complicité hors pair avec Cleary. Une claque à lui tout seul. Et on peut en dire autant de son acolyte à la batterie, monsieur Doug Belote. Deux orfèvres du groove néo-orléanais au service d'un interprète et créateur de la trempe de Cleary, ce n'est pas rien. Grande maîtrise et relief optimal étaient donc de mise tout le long du set.

 

Un tour de chauffe en shuffle (le classique Reconsider baby) histoire de prendre ses marques sur le beau piano à queue du club, puis on rentre dans le vif du sujet avec Go to the Mardi Gras de Professor Longhair avant d'embrayer – en toute logique – sur C'mon second line. Là, sur cette compo à faire danser les morts, on atteint déjà un premier climax. C'est que Doug Belote, à la demande du patron, nous pond un modèle de “second line drumming” bien collant sur lequel viennent se greffer ses deux compères pour une communion festive des plus jouissives. Comme s'il ne faisait pas déjà assez chaud, Cleary s'y octroie au beau milieu un break boogie déchaîné en solo. Main gauche ravageuse, main droite frétillante et talon qui martèle furieusement l'estrade : ça tangue sévère rue des Lombards !

 

En verve également au chant, le leader poursuivra en mêlant ses solides compositions (So damn good, Help me somebody – cette dernière dans une version cubaine tout à fait grisante) à des relectures du répertoire d'Allen Toussaint, avec le même haut niveau d'inspiration et de personnalisation que sur son dernier album (“Occappella!”, entièrement dédié à « s'amuser avec des chansons d'Allen Toussaint »). Wrong number lui permet de briller en mode ballade, Let's get low down donne lieu à second paroxysme de “Nola fonk” emmené par un Doug Belote phénoménal dans son traitement laidback de la pulsation… Enfin, avec What do you want the girl to do, Cleary nous prend par surprise. Sur les couplets, sa voix semble flotter quelque peu, mais comment ne pas croire que c'est intentionnel tant tout se resserre lorsque vient le refrain divinement chanté avec le concours de Cornell Williams. Le contraste est saisissant, la magie opère.

 

Zéro temps faible, un interlude en piano solo pour montrer de quelle fraîcheur peut faire preuve une pièce centenaire de Jelly Roll Morton, et un When you get back décidément “tubesque” … Ça y est, le trio doit déjà mettre un terme au voyage (deuxième départ à 22 h comme de coutume au Duc des Lombards). Cleary a tout de même le temps de revenir seul pour un Junco partner dont il se sert de canevas qui voit fleurir son jeu ultra-vivant aussi bien sur le plan rythmique que mélodique. À chaque mesure, c'est James Booker, c'est Dr. John, c'est La Nouvelle-Orléans d'hier et d'aujourd'hui qui prennent vie sous les doigts de Cleary. En solo, en trio ou avec vos Gentlemen au complet, revenez vite je vous prie.

Nicolas Teurnier