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Live reports / 09.08.2018

Jazz à Vienne (Part. 2)

Ce sont les grosses guitares qui résonnent dans le théâtre antique ce 2 juillet, unissant deux générations du blues-rock d’outre-Manche : celle des grands stylistes, représentée par le virtuose sauvage Jeff Beck, et celle des jeunes pousses, en la personne de la trentenaire Joanne Shaw Taylor.

J’ai été très agréablement surpris par le set de Taylor en ouverture. Loin des clichés guitar-héroïques et des morceaux passe-partout qui ne servent que de prétextes à d’épuisants solos à rallonge, comme souvent chez les Anglais de sa génération, la jeune dame sait installer un climat. Sa guitare n’est pas démonstrative ; elle sert le propos musical de compositions personnelles, plus proches du rock que du blues certes, mais au final assez prenantes. Le sourire de Joanne est partagé ! Dommage que son nom soit écorché (« Joan ») sur les écrans géants face au public…

Faisant sortir les photographes, Jeff Beck fait ensuite son entrée en scène sur le tempo oppressant et le volume assourdissant d’une guitare pensée comme instrument de démolition (Pull it, tiré de son dernier album studio, “Loud Hailer”). L’allure simple du septuagénaire, à la silhouette immédiatement reconnaissable derrière ses lunettes de soleil rondes, contraste avec la sauvagerie de son attaque et le bouillonnement créatif de sa “patte” musicale. Ses seuls doigts calleux (quelle idée du merchandising de vendre des médiators à son effigie ? Beck n’en utilise pas !) manipulent avec expertise le manche et la barre de vibrato de la guitare Fender pour en sortir des sonorités uniques, proprement envoûtantes… Qu’importe alors si le fil du concert s’avère un peu décousu, piochant au gré des morceaux dans différents genres musicaux, ou si les premiers titres chantés semblent incongrus après la première série de pièces instrumentales. Car même dans les ballades à la Roy Buchanan qui accentuent son versant jazz plus cérébral, la musique de Beck a quelque chose d’animal, d’instinctif et de sensuel.

Et les classiques s’enchaînent, du Stratusemprunté à Billy Cobham au Going downde Don Nix convoquant les mânes de Freddie King (quel final !). Au chant et à l’harmonica sur ce dernier, mais encore sur Superstition (historique collaboration de Beck et Stevie Wonder) ou bien un magnifique A change is gonna come qui semblait s’adresser à Sam Cooke là-haut dans les étoiles, soulignons la performance de Jimmy Hall, ancien du groupe Wet Willie. Car Jeff Beck sait s’entourer : on a aussi entendu ce soir-là le grand batteur de fusion Vinnie Colaiuta et l’ancienne bassiste de Prince, Rhonda Smith, ainsi que la violoncelliste Vanessa Freebairn-Smith… Mais c’est bien Jeff Beck le grand maître à bord. Ne prenant le micro que pour saluer le public (en français !) et présenter ses musiciens, il laisse sa guitare parler pour lui. Et celle-ci, contrairement à celles du retraité Jimmy Page ou de l’Eric Clapton de ces dernières années, n’est pas avare en intenses frissons électriques.

Éric Doidy