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Live reports / 30.06.2012

JAZZ À VIENNE

 
Esperanza Spalding © Pascal Kober / www.pascalkober.com

Depuis sa création en 1981, Jazz à Vienne s’est imposé comme une manifestation de première importance ouverte à tous les styles de jazz sans se laisser séduire par les sons factices des musiques racoleuses. Cette année n’a pas fait exception avec une programmation s’appuyant sur la tradition pour mieux s’ouvrir aux courants les plus actuels du jazz.

 

Samedi 30 juillet

Programmé l’an passé au Club de Minuit, le Robert Glasper Experiment avait cette année les honneurs de la grande scène du festival. Pianiste de jazz inspiré par Thelonious Monk et Herbie Hancock, Robert Glasper explore aussi de nouvelles voies empruntant au jazz rock et au hip-hop pour délivrer une musique urbaine, à la fois électrique et éclectique, mais toujours charpentée par l’authenticité du jazz. Un show savamment ordonné où se sont succédés des moments de détente et de tension (Smells like teen spirit).

Explorant quelque peu le même registre (elle invitera le temps de quelques mesures son copain Robert Glasper à la rejoindre sur scène), Erykah Badu prend ensuite possession du lieu. Étoile de la soul actuelle, elle sait jouer de sa voix aux accents charmeurs. Son jeu de scène remarquable par sa sobriété évite les procédés tape-à-l’œil parfois utilisés par quelques-unes de ses collègues. Son message, qui s’appuie sur la tradition pour s’ouvrir sur les sons actuels R&B et hip-hop, fut bien perçu par le public.

 

Dimanche 1er juillet

Le groupe Take 6 a débuté la soirée de dimanche traditionnellement consacrée au gospel. Faisant preuve d’une technique vocale époustouflante qui est à la base de sa réputation, le groupe a su communiquer au public les vraies valeurs du gospel authentique. Agrémentée d’un jeu de scène ludique mettant en valeur un répertoire ratissant large, la qualité de leur prestation a ravi les spectateurs qui avaient bravé la pluie et le froid.

Leur succédait le London Community Gospel Choir. Cette formation à géométrie variable a présenté un répertoire accessible à tous empruntant au funk, au rock et à la musique latine, ce qui s’avère un juste retour des choses. Servie par d’excellents chanteurs, cette démarche festive évite toute tentative racoleuse surtout quand le répertoire privilégie le gospel le plus authentique (Amazing grace).

 

Lundi 2 juillet

Le lendemain soir, Gregory Porter s’est imposé comme l’un des grands vocalistes actuels, ce dont tout le monde est maintenant persuadé. Qu’il évoque Marvin Gaye, une de ses inspirations, ou qu’il se lance dans une interprétation de Chain gang, Gregory Porter possède de bien belles qualités : une ligne de chant taillée à la pointe sèche, un phrasé naturel, une voix phonogénique, une diction immaculée et une implication constante qui lui permet de personnaliser ses interprétations.

Vinrent ensuite quatre pianistes d’exception pour un hommage à Thelonious Monk au travers de quelques-unes de ses compositions ou de standards marqués par sa personnalité. Virtuoses incontestés, Kenny Baron, Benny Green, Eric Reed et Mulgrew Miller, qui étaient déjà venus à Vienne en 1991, perpétuent la tradition du jazz dans ce qu’elle a de plus solide. Disposant des deux pianos, les quatre compères ont débuté leur prestation, intitulée « An Evening With Two Pianos », par Just you, just me. Force est de reconnaître que cette formule, pour spectaculaire qu'elle soit, ne favorise pas une libre invention en contraignant les quatre protagonistes à rester sur leur réserve afin de ne pas se gêner. Heureusement, nous eûmes droit à des duos de haute volée : Kenny Baron/Mulgrew Miller (Skylark) et Eric Reed/ Benny Green (All blues). En solo, Mulgrew Miller nous a gratifié d’une version d’anthologie de I got it bad and that ain’t good que l’on retrouve interprétée par Monk dans le recueil “Plays Duke Ellington”. Invité surprise, Hervé Sellin a joué brillamment Monk’s dream. En guise de conclusion, les quatre pianistes se sont retrouvés pour interpréter une dynamique version de Blue monk.

Clôturant la soirée, le toujours jeune McCoy Tyner a encore beaucoup de choses à dire. Si sa démarche est quelque peu chancelante, son jeu de piano conserve encore une vigueur qui lui permet de diriger les opérations avec l’aide des excellents Gerald Canon (basse) et Montez Coleman (batterie). Sa belle version de Blues on the corner qui avait fait le succès de l’album “The Real McCoy” le prouve amplement. Assumant le lourd héritage paternel, le saxophoniste ténor Ravi Coltrane, ici dans le rôle de guest star, a livré une prestation remarquable qui doit beaucoup à son propre talent.

Alain Tomas

 

Dimanche 8 juillet

Cette soirée s’inscrit sous le signe de la contrebasse. Pour ouvrir, la pimpante chanteuse (et bassiste, donc !) Esperanza Spalding se présente dans une configuration quasi big band avec pas moins de six cuivres ! Elle entame avec Us puis un Smile like that (bien nommé tant son visage est barré d’un perpétuel sourire) agrémenté de quelques envolées de scat qui font le charme de sa voix, caractéristique que l’on retrouve sur le plus langoureux Crowned & kissed. Tous deux sont extraits de son dernier CD “Radio Music Society”, tout comme Black gold et Radio song, qui eux sortent des canevas habituels du jazz et se destinent sans doute plus à devenir des classiques plus orientés “grand public”. Un show qui démontre un incontestable talent vocal et instrumental et une capacité à générer de beaux moments d’émotion, mais par moments, on aurait aimé que la jeune Américaine de 27 ans s'impose davantage au sein d’une formation peut-être un peu trop étoffée pour elle.


Esperanza Spalding

En revanche, dans la formule plus dépouillée du trio avec deux compatriotes impeccables (le pianiste Omri Mor et le batteur Amir Bresler), le contrebassiste israélien Avishai Cohen frappe les esprits. Le temps d’un seul thème d’une quinzaine de minutes (Seven seas), les trois musiciens font preuve d’une complicité exemplaire, que ce soit Mor au toucher étonnant et Bresler tel un caméléon derrière ses fûts, le leader s’essayant pour sa part aux improvisations les plus débridées en faisant de sa contrebasse un instrument de percussion. Faisant Intime ambiance indescriptible ! Faisantcorps avec son instrument, habité et hyper expressif (tout tient dans l’expression de son regard), Avishai Cohen délivre un set vibrant qui conquiert le public… qui le récompense bien avec quatre rappels (dont Besame mucho chanté avec cœur en ladino par Cohen) dans une ambiance indescriptible !


Avishai Cohen

Mais la soirée n’est pas finie. Nous prenons la direction de L’Esplanade-Saint-Vincent, un lieu ouvert quelques mois plus tôt dans lequel on peut boire un verre, manger un morceau (notamment sur la base d’assiettes composées à des prix très abordables) et bien sûr écouter du jazz… Nous y retrouvons la chanteuse Anne Sila entourée du Spank Trio, soit Benoît Thévenot au piano, François Gallix à la contrebasse et Nicolas Serret à la batterie. Fort gracieuse, Anne se révèle être une vocaliste plus que prometteuse et affirmée pour son jeune âge, maîtrisant aussi bien le scat que ses classiques, qu’elle chante d’ailleurs dans un anglais excellent, une vertu pas si courante chez nos compatriotes. Derrière elle, le trio affiche une complémentarité et une envie qui permettent à ce show rafraîchissant de rester en mode “open groove” pour notre plus grand plaisir. Dès lors on tape volontiers du pied… et surtout on quitte le lieu à regret ! Une belle découverte.

 
Anne Sila & Spank Trio

Lundi 9 juillet

En ouverture de cette nuit du blues, Awek délivre un set enthousiasmant et percutant comme il en a désormais l’habitude, et confirme que la France tient un excellent groupe de blues (et pas de blues français, ne nous méprenons pas). Au programme marqué par la variété des tempos et des registres, des compositions tirées du dernier CD “Rich And Famous”, A place where I can hide (enlevé), She turns me on (shuffle) et Gone too long (jump blues), un zeste de Louisiane et de Jimmy Reed avec Hush your mouth du précédent CD “It’s Rollin’”, sans oublier une reprise “tour de force” avec le blues lent Early in the morning. Beau succès. Mais le public à beau en redemander, les organisateurs probablement pris par le temps ne leur permettent pas de revenir…

Quant à Keb’ Mo’, il a sensiblement fait évoluer sa musique et à notre avis dans le bon sens. On est aujourd’hui loin du revivaliste qui se présentait en solo pour essentiellement reprendre de façon appliquée des titres traditionnels… Grâce à une formation composée d’un second guitariste (également mandoliniste, harmoniciste et chanteur !), d’un bassiste, d’un batteur et de deux claviers (dont un également chanteur), sa musique variée prend désormais parfois des accents soul car c’est un beau vocaliste naturel dès lors crédible dans ce registre (I’m telling you now, The door). Elle prend également des tons résolument contemporains (Muddy water, More than one way home), devenant même menaçante quand il s’essaie au blues lent (I’m in a dangerous mood). Toujours à l’aise à la slide (The reflection, That’s not love), il manie désormais bien la guitare électrique et surtout propose des compositions personnelles qui retiennent l’attention (Henry, France). Un peu comme pour Awek, malgré une standing ovation, le personnel du festival se rue sur scène sous la bronca du public pour démonter la scène. Mais Keb’ Mo’, lui, ne se démonte pas : il revient au milieu des techniciens, se saisit d’un micro, de son dobro et commence à entonner Am I wrong alors que son instrument est débranché… Peu importe, il enchaîne a cappella et, vaincu, l’ingénieur du son finit par tout rebrancher, permettant au batteur, au bassiste et à l'organiste de revenir partager ce beau moment avec un théâtre antique ravi malgré un certain chaos !

Pour conclure la soirée, Magic Slim se fait attendre le temps d’un rituel visiblement bien rôdé qui voit successivement son batteur (Walking the dog), son guitariste (Little red rooster) et son bassiste (Let’s straighten it out) y aller chacun de son morceau. Le vétéran du Chicago blues nous fait un peu peur en début de concert (Living in my neighborhood, I can’t hold out) : jeu de guitare hésitant, voix difficilement compréhensible comme s’il avait du mal à bien articuler, il fait presque plus que son âge (75 ans le 7 août prochain)… Mais il lui faut sans doute de nos jours un peu plus de temps pour entrer dans un concert qui va finalement aller crescendo. Et même si ce n’est plus le meilleur Magic Slim, il retrouve néanmoins peu à peu son allant et surtout son incomparable intensité, d’abord sur les blues lents dont il a le secret (Bad boy, Crazy woman), puis même quand le tempo s’accélère pour des pièces grondantes (I’m a bluesman, Gonna move to Kansas City, Going to Mississippi). Il est enfin rejoint par Keb’ Mo’ pour un final (Help me, The blues is alright) qui conclut dans l’enthousiasme une édition réussie.

 

Mardi 10 juillet


Encore une belle soirée, cette fois sous le signe du jazz moderne et du chant divin. Servis par une sonorisation réjouissante d’équilibre, le saxophoniste Joshua Redman et le Bad Plus Trio étreignent d’entrée, notamment grâce au batteur Dave King, assurément monté sur ressorts, hyperactif et diablement efficace ! Dès lors, Redman joue littéralement sur du velours au gré de thèmes qu’il n’a pourtant pas composés, ainsi Silence is the question. Il alterne interventions sensuelles que l’on pourrait presque qualifier de romantiques (Love is the answer, Prehensile dream), aux côtés d’envolées dynamiques et rageuses (2 p.m., Who’s he?). Tout cela témoigne parfaitement bien de l’éclectisme de ses influences multiples, qui vont de John Coltrane à Aretha Franklin, en passant par les Temptations, les Beatles, Police et Led Zeppelin ! Envoûtant et passionnant.


Joshua Redman

La batteuse Terri Lyne Carrington lui succède avec son Mosaic Project pour une musique moderne, énergique et cuivrée mais un peu stéréotypée au début, la faute à une sonorisation qui prend du temps à se mettre en place et à un contrebassiste mécanique et un peu trop obsédé par le registre grave. Mais Terri Lyne est bien une batteuse de tout premier ordre, elle sait prendre les choses à son compte avec dynamisme au sein d’un combo qui ne demande qu’à la suivre (Sippin’ at Bell’s). Toutefois, force est de reconnaître que l’arrivée de Dianne Reeves marque un changement de dimension. Charismatique et souveraine (avec sa souplesse de timbre, Dianne Reeves est définitivement l’égale des plus grandes), elle impressionne dans tous les registres, se fait tour à tout charnelle (Simply beautiful), churchy et poignante (Echo), joueuse (That day)… Et face à Dianne, plus que jamais déesse de Vienne, on reste sans voix !


Helen Sung (p), Dianne Reeves (voc), Terri Lyne Carrington (dm), Joshua Hari Brozoski (b, cb), Tia Fullet (s), Tineke Postma (s), Nir Felder (g)


Dianne Reeves, Terri Lyne Carrington

 

Mercredi 11 juillet

On lui a sans doute déjà faite : qualifier le Français Stéphane Belmondo d’as des as de la trompette… Mais on ne pourra pas qualifier ce Belmondo-là de magnifique, réservons cela à l’artiste qui le suivra sur scène. Et plus sérieusement, il fait bel et bien partie des artistes qui comptent sur l'instrument. À la tête d’un quartet particulièrement soudé et dense (au sein duquel se distinguent le pianiste et occasionnellement flûtiste Kirk Lightsey et le batteur Billy Hart – quel jeu de cymbales ! –, le contrebassiste Sylvain Romano assurant un soutien exemplaire de souplesse), il propose un set rêvé de jazz moderne. Des thèmes comme You and I, Habiba et What’s new, sur lesquels les solistes improvisent dans la plus pure tradition du style, le démontrent. Une musique dense et compacte mais riche, qui vous saisit et ne vous lâche plus.


Sylvain Romano (cb), Kirk Lightsey (p), Stéphane Belmondo (tp), Billy Hart (dm) et deux de leurs accompagnateurs

La suite des événements va révéler un changement radical de registre et d’ambiance… « Vous êtes absolument magnifiques. » À plusieurs reprises, Melody Gardot utilisera cette phrase pour remercier les spectateurs du théâtre antique, et ce dans un français impeccable, s’il vous plaît. On ne peut que lui retourner le compliment, et pas seulement pour sa plastique certes tout aussi impeccable, mais surtout pour son art empreint d’une rare originalité, dont le jazz n’est qu’une composante. Son concert, ou plutôt son spectacle, est une invite au voyage, un voyage initiatique durant lequel elle passe de la finesse à la ferveur pour dévoiler ses inspirations, et qui passe bien sûr par les États-Unis, son pays natal, mais aussi par l’Amérique du Sud, le Portugal, l’Afrique du Nord… D’emblée, elle fascine et s’avance seule sur la scène pour No more, my Lord (un negro spiritual d’origine indéfinie, proche du holler, évidement déniché par Alan Lomax et enregistré dans une prison en 1947…) chanté a cappella. Pas encore de mélodie pour Melody, qui s’accompagne seulement d’un curieux bracelet à clochettes (pour qui sonnent les chaînes ?) et de son talon aiguille qui tourmente inlassablement la scène. Obsédant. Le ton est donné pour un show parfois baroque qui décline toutes les facettes d’un étonnant talent hybride, favorisé par un groupe au diapason même si le saxophoniste pourrait s'épargner quelques clichés. Mais ne boudons pas, tous sont au service d’un répertoire toujours chargé d’émotions plurielles qui nous mènent au Brésil (Mira) et en France (Les étoiles), réveille les peines de cœur (So we meet again my heartache), la passion sur un gospel lancinant et enfiévré (Who will comfort me avec le public définitivement charmé), l’apaisement sur Somewhere over the rainbow en second rappel. Enfin, ne nous attardons pas aux pauses langoureuses, car il reste l’essentiel, la voix. Ses inflexions déroutantes, imprévisibles et désarmantes qui lui donnent vie et sens. En un mot, la maturité. À 27 ans, Melody Gardot a la voix d’une chanteuse de 20 ou 25 ans son aînée. Oui, Miss Gardot, vous êtes absolument magnifique.

 

Jeudi 12 juillet


C’est en quelque sorte un nuit du blues “bis” qui nous attend pour cette avant-dernière soirée du festival. Trombone Shorty ouvre avec deux instrumentaux absolument assourdissants, notamment à cause du guitariste Pete Murano et surtout du bassiste Mike Ballard, qui espèrent sans doute voir les vieilles pierres du théâtre antique se desceller… Et il faudra bien un jour nous expliquer pourquoi les musiciens éprouvent le besoin de jouer aussi fort, diluant ainsi toute nuance dans un déluge sonore. Heureusement, les choses s’arrangent (et l’oreille s’y fait !) quand Trombone Shorty se met à chanter sur une version funky d’On your way down. On peut ensuite enfin profiter de la qualité des musiciens, en premier lieu du batteur Dwayne Williams, pour le moins percutant, et des deux saxophonistes Dan Oestreicher (baryton) et Tim McFatter (ténor), qui se livrent une belle “bataille” sur Whole lotta loving. Et le concert s’envole joyeusement quand le leader enchaîne I got a woman et She’s alright, sur lequel il s’offre un bain de foule. Dans un registre plus standard, The craziest thing et Make it funky permettent de belles parties de saxophone, en particulier grâce au ténor très inspiré. Visiblement pas gênée par le son, la foule en redemande et obtient un rappel (What you gonna do to me), sur lequel elle fait la fête aux musiciens qui échangent leurs instruments pour son plus grand bonheur. Trombone Shorty évolue incontestablement à la tête d’un super groupe, mais on l’apprécierait encore davantage s’il réduisait les décibels.


Du coup, l’ambiance apparaît presque feutrée quand la formation d’Hugh Laurie s’installe. Sympa et facétieux, Laurie échange avec le public, plaisante avec goût et prend le temps d’expliquer les origines des titres qu’il interprète, faisant preuve au passage une réelle culture musicale. De toute façon, cultivé, celui que la reine Élisabeth II a fait Officier de l’ordre de l’Empire britannique en 2007 ne peut que l'être… Pour ce concert, il puise largement dans le répertoire de son CD “Let Them Talk”, très inspiré de la Louisiane avec des reprises datant souvent des années 1920 et 1930. Chanteur honorable et pianiste accompli, il s’entoure d’un groupe à géométrie variable avec une choriste, un organiste-accordéoniste, un batteur-percussionniste surprenant (il joue avec trois baguettes, deux dans la main droite et une dans la gauche, quand il n’ajoute pas un tambourin !), un clarinettiste-saxophoniste-harmoniciste, un guitariste-mandoliniste… La formation alterne avec classe et verve des standards (Mellow down easy, St James infirmary, Battle of Jericho, Tipitina, avec toujours des arrangements soignés) et des choses moins courantes (Buddy Bolden’s blues et Winin’ boy blues de Jelly Roll Morton, ou bien Swanee river, composée par Stephen Foster en… 1851 !). Certes, il ne s’agit que de reprises, mais c’est enjoué et effectué avec originalité, une fois encore à l’aide d’arrangements personnels. Et si ce docteur-là n’est pas Dr. John, ses potions en valent bien d’autres.


 


Vendredi 13 juillet


Ce vendredi 13 n'aura guère porté chance aux courageux spectateurs de la dernière nuit du festival, marquée par une pluie aussi fine que persistante. Lauréats du tremplin RéZZo Jazz à Vienne, les membres du Trio Enchant(i)er signent un set de jazz moderne très technique destiné aux initiés. Les musiciens sont compétents : Grégory Sallet au saxophone et Olivier Jambois à la guitare ne manquent pas d'imagination et savent mettre du rock dans leur jazz, surtout le second nommé sur Berceuse euclidienne et C’est l'histoire d'un insomniaque. Mais 35 minutes, c'est un peu juste pour “se mettre dedans”…


En 2010, les Jazz Crusaders ont souhaité se reformer avec trois des membres fondateurs du groupe en 1960, le saxophoniste Wilton Felder, le tromboniste Wayne Henderson et le pianiste Joe Sample. Ils choisissent On Broadway pour se mettre en place, comme pour bien signifier que leur set s’inscrira sous le signe du groove et de ce Gulf Coast Jazz qui les caractérise, ce dont attestera effectivement plus tard The thing. Désormais septuagénaires, les trois musiciens ont de beaux restes, surtout Sample à son avantage sur Eleanor Rigby et New time shuffle qu’il porte avec un allant certain. Le show reste toutefois assez routinier, d’autant que le batteur bien peu inventif Doug Belotte ne fait rien pour relancer la machine, y compris sur des classiques qui s’y prêtent pourtant comme Snowflake… Mais on ne peut être indifférent à l’émotion générée par ces musiciens “historiques”, et ce jazz qui n’occulte pas le funk (Scratch) s'écoute sans ennui.


En revanche, à bientôt 86 ans (il est né le 3 août 1926), le chanteur Tony Bennett, bien qu'il ait toujours belle allure, se contente du minimum et son cabotinage lasse rapidement, d'autant qu'il écourte ses titres qui durent en moyenne deux minutes… Après quarante minutes de variété pop légèrement jazzy (et malgré un excellent Harold Jones à la batterie), nous décidons d'arrêter les frais.


Mais nous quittons les gradins sans tristesse, car jusque-là nous avions passé une semaine d'un très haut niveau artistique. Et pour prolonger le propos d’Alain Tomas en préambule, on dira que ce festival aujourd’hui plus que trentenaire poursuit effectivement son chemin exemplaire, sur la base d’une programmation ouverte et parfois novatrice, mais surtout avec un respect des traditions musicales qui consolide sa vocation première et son crédit.


Daniel Léon


Photos © Pascal Kober / www.pascalkober.com