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Live reports / 22.03.2018

H.E.R.

Elle n’affiche toujours pas son visage au grand jour mais son talent éclabousse. Une heure et cinq minutes dans un YoYo plein comme un œuf pour confirmer une évidence : H.E.R. est un nom majeur du R&B de ces toutes dernières années.

 

 

 

Ses trois EP parus chez RCA en 2016 et 2017 (également réunis en un copieux album) se hissent largement au-dessus du lot et, sur scène, pas question de laisser s’évaporer la magie du studio. Bien au contraire. Car H.E.R. est Gabi Wilson, jeune prodige multi-intstrumentiste qui il n'y a pas si longtemps faisait sensation sur les plateaux télé états-uniens. On ressent vite ce soir l’exigence et l’assurance de la musicienne déteindre sur son groupe, un quintet qui, flanqué de deux choristes-ambianceurs (bien moins figuratifs qu’au premier abord), revêt une allure de crew. Soudé par l’envie d’en découdre sur les planches. Le batteur alterne frappe lourde et ciselage de charley pour dynamiser des prods savamment épurées, les deux claviers (dont un également bassiste) déploient la panoplie sonore nécessaire à leur transposition live.

 

 

 

 

 

 

 

Au milieu, dans sa salopette treillis et ses impressionnantes platform boots, H.E.R. en impose. Son épaisse crinière bouclée et ses larges lunettes teintées laissent peu de place pour lire l'émotion sur son visage : aucune importance, sa voix emporte tout. Elle a tout capté du flow actuel trempé dans des décennies de hip-hop et elle possède en même temps un sérieux bagage soul. Jazmine Sullivan n'est pas loin, Aretha non plus.

 

 

 

Ainsi, après une première série de titres qui jouent à fond la carte du gros son sous influence trap, H.E.R. renverse la vapeur : elle enfile une guitare acoustique et entonne Best part, fabuleux duo enregistré avec Daniel Caesar (qui le chantait sur cette même scène fin janvier). Intensité ravageuse et superbe implication du choriste qui s'acquitte de la partie masculine. H.E.R. enchaîne avec une nouvelle compo séduisante avant de saisir sa Telecaster pour porter le coup de grâce de manière inattendue. Une ballade soul et bluesy, dépouillée et pétrie de tension palpitante, ornée d'un court solo bien senti. C'était Make it rain, chanson de Foy Vance rendue populaire par Ed Sheeran pour la bande-son de la série Sons of Anarchy.

 

 

 

Lorsqu’elle saisit à nouveau sa Fender, c'est pour convoquer les esprits d'Hendrix et de Prince le temps d'un bref déluge qui cède vite place à un brossage d'accords délicats : H.E.R. vient d'introduire l'imparable U. Bientôt la sangle tourne, guitare dans le dos la chanteuse vit pleinement ses compos lucides et entêtantes.

 

 

 

 

La salle, aux anges, goûtera presque l'ensemble de son répertoire déjà très consistant (Facts, Focus, Lights on..). On regrette juste qu’elle ne profite pas d’un de ses trop rares passages derrière le clavier pour interpréter en piano-voix son tout récent single My song. Mais en fin de parcours, l’enchaînement Every kind of way, Jungle et Changes lui donne l’occasion de laisser sa voix s’envoler. Une première date française mémorable qui en appelle, souhaitons-le, un paquet d’autres.

Nicolas Teurnier
Photos © Frédéric Ragot