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Live reports / 14.02.2018

Guy King + Bootleggers 04

Pour ouvrir cet après-midi de blues – premier concert à 16 h 30 – dans une salle de l’Eden copieusement garnie, le groupe local Bootleggers 04 a choisi un hommage à Stevie Ray Vaughan sur l’instrumental Scuttle buttin’. C’est solide, surtout grâce à “Steackmike” Gerace qui tient la guitare tout en assurant la batterie à l’aide de pédales, soutenu par la basse métronomique de Patrice Boulesteix.

 


Bootleggers 04

 


Patrice Boulesteix

 

SRV reste à l’honneur quand Audrey Bouillot se présente au chant sur Pride and joy : c’est une bonne chanteuse impliquée capable de sensualité (I just want to make love to you, A change is gonna come), mais aussi d’une certaine originalité sur une reprise amusante du standard Sweet home Chicago, sur lequel elle s’accompagne au… kazoo ! The thrill is gone permet au guitariste Hamid Zeghouane de distiller un solo inspiré et mordant.

 


Audrey Bouillot

 


Hamid Zeghouane

 


“Steackmike” Gerace, Audrey Bouillot

 

Le registre éclectique insiste sur les courants les plus modernes (Red house, Got my mojo working, I’m tore down, Georgia on my mind en rappel…). Mais après une parenthèse peut-être superflue sous la forme d’une reprise de Toute la musique que j’aime (malgré la belle slide de Hamid), le groupe prouve également qu’il ne dédaigne pas s’aventurer sur des voies plus traditionnelles (Take this hammer). Une entrée en matière convaincante.

En 2001, je m’étais rué sur l’album “Comin’ Alive!” de Willie Kent, bientôt désigné disque de l’année tant par les lecteurs que les chroniqueurs de Soul Bag. Je me souviens parfaitement d’un guitariste certes marqué par Albert King, mais ses interventions lumineuses ruisselantes de feeling révélaient un véritable talent personnel. Sur la photo au verso de la jaquette du CD, se tenait ce musicien aux longs cheveux ondulés. En lisant les notes, j’appris qu’il se nommait Haguy F. King, et qu’il se chargeait également des arrangements et de la production. Un rôle central qu’il tiendra jusqu’au décès de Willie en mars 2006. En 2004, lors de la nuit du blues du festival À Vaulx Jazz, je vis pour la première fois “en vrai” ce même guitariste, toujours avec Willie Kent. Cette fois, sa chevelure formait des nattes plaquées sur son crâne, mais je fus une nouvelle fois sidéré par son jeu de guitare, d’autant qu’il ouvrait le show pour son leader. Un show que Willie mènera progressivement au sommet comme il savait si bien le faire.

 


Guy King

 

Ce dimanche 28 janvier 2018, en m’approchant de la scène de l’Eden District Blues à Oraison lors de la balance, je sais que le guitariste a entre-temps tout coupé. Son nom d’abord, puisqu’il se fait appeler Guy King depuis quelques années, et ses cheveux, coupés ras… Mais pas sa guitare. Car dès les premières notes de All your love – un titre qu’il ne jouera pas durant le concert –, l’émotion ressentie dix-sept ans plus tôt à l’écoute de “Comin’ Alive!” remonte. Chaque note vibre, suinte, claque… Puis les doigts partent dans d’autres directions, il y a aussi du jazz dans ce blues. Car Guy King est un vrai styliste au phrasé singulier : hormis pour quelques riffs et parfois en rythmique, il joue avec le pouce, pendant que l’annulaire et l’auriculaire s’agrippent au corps de l’instrument. En outre, grâce à un toucher tout en contrôle et apparemment sans effort, il obtient une sonorité incroyable, prenante, dense et irrésistible. Une technique unique, qu’il a en quelque sorte “inventée” après avoir appris de façon classique, avec un médiator qu’il abandonnera ensuite.

 

 


Fabrice Bessouat, Cédric Le Goff

 

Écrit comme ça, tout semble simple… D’autant, il convient de le mentionner et même de le souligner, que Guy King est également un très beau chanteur, puissant, expressif et soulful à souhait. Et tout s’applique dès le premier titre du concert, Bad case of love, bien arrangé avec ses chœurs et ses accents jazzy à la guitare, puis sur une longue lecture intense de Truth, titre éponyme de son magnifique dernier album. Viennent ensuite Hey now histoire d’aborder le R&B, Gangster of love, “talkin’ shuffle” sarcastique, If you love me like you say avec un fabuleux solo en accords graves… En cinq titres, Guy King démontre une palette extrêmement étendue et rien ne semble inaccessible à ce talent naturel. Sa démonstration implacable et très variée se poursuit avec un autobiographique et romantique My happiness au swing délicat, un zeste de Jimmy Reed avec Honest I do, un hommage mélancolique et respectueux à B.B. King sur There must be a better world somewhere et un énergique If the washing didn’t get you (The rinsing will) sur lequel la guitare atteint des sommets. Et c’est par un autre titre popularisé par Albert King, Born under a bad sign, qu’il achève un concert qui confirme qu’il s’inscrit, à seulement quarante ans, parmi les artistes les plus accomplis de sa génération.

 

 


Antoine Escalier

 


Fabrice Bessouat

 

Mais aussi talentueux soit-il, un homme seul ne peut jamais pleinement exprimer son potentiel sans des accompagnateurs à la hauteur. Et concert après concert, la formation du batteur Fabrice Bessouat – à la tête de l’agence Soul Shot qui fait tourner Guy King et bien d’autres –, du bassiste Antoine Escalier et du claviériste Cédric Le Goff s’affirme parmi les plus crédibles en Europe pour accompagner les musiciens américains qui se déplacent sans leurs groupes réguliers.

Enfin, n’oublions surtout pas de remercier l’équipe de l’Eden District Blues emmenée par Gilles Boncour, qui fait plus que jamais autorité dans ses choix artistiques, et toujours aussi sympathique et efficace en termes d’accueil et d’organisation.

Daniel Léon
Photos © Paul Kozma