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Interviews / 23.06.2020

Déconfinement blues : du côté des clubs

Dans le bouleversement qu’ont connu nos vies ces derniers mois, le secteur culturel, et notamment celui de la musique, a été particulièrement affecté : suspension des concerts, décalage des sorties de disques… Si les premières étapes d’un retour à la normale apparaissent, avec la réouverture de quelques lieux de concerts, celui-ci sera forcément très progressif, et la saison estivale, habituellement marquée par de nombreux événements festivaliers, est d’ores et déjà quasiment réduite à néant.

Au-delà de l’impact sur les spectateurs, privés du contact physique avec la musique, cette situation a aussi des conséquences économiques sur l’ensemble des acteurs du secteur : artistes et techniciens, bien sûr – pas toujours couverts par l’intermittence –, mais aussi festivals, salles, clubs et tourneurs. Sans surprise, le secteur du blues et de la soul, parent pauvre habituel de la vie culturelle française, est particulièrement exposé, du fait de la taille parfois modeste de ses structures et de sa faible visibilité médiatique. Soul Bag a voulu en savoir plus en interrogeant quelques-uns des acteurs du secteur, du côté des tourneurs et des clubs.

Du côté des clubs, comme pour les tourneurs, les annonces successives des 13 et 16 mars – interdiction des rassemblements de plus de cent personnes puis confinement –, ont été brutales, malgré les signes avant-coureurs. Pour Hervé Paradis, administrateur de l’Azile à la Rochelle : « Progressivement dès le début du mois de mars, les salles de spectacle de la ville fermaient, avec des critères de jauges de plus en plus contraignantes. Lors du concert du groupe Cactus Candies le 12 mars, nous savions déjà que ce serait le dernier avant le confinement, même si nous étions plus optimistes à l’époque sur les dates de reprises. » L’impact a été immédiat, comme le raconte Sébastien Vidal, directeur artistique et programmateur du Duc des Lombards à Paris : « On est passé de tout à rien en 24 heures… Cela nous a mis dans un état étonnant d’hébétement. D’un coup, il n’y plus d’horizon et tout ce que vous êtes n’existe plus. Pas de signe de reprise et durant plusieurs semaines impossible d’en prévoir une. D’abord, on a imaginé reporter tous nos shows sur juillet, puis août, puis sur la rentrée, puis plus rien. Pour la première fois dans ma vie, je n’avais pas une programmation en tête… ce qui occupe d’habitude 80 % de mes réflexions 24 heures sur 24… » Du côté du Temps des Crises, à Bourgueil, la réaction s’est faite en deux temps, comme le raconte Dominique Bouillon : « Nous avons annulé toutes nos dates jusqu’à nouvel ordre, en espérant une durée courte, puis toute la programmation jusqu’à l’été. » Il a évidemment fallu, dans tous les cas, gérer les conséquences de cette suspension des activités et ses suites : à l’Azile, « les deux salariés de l’association ont dû gérer les annulations et reports de la programmation avec le public et les artistes, avant d’être placé en chômage partiel pour une durée encore indéterminée. Au début nous avons tenté d’imaginer une reprise potentielle en mai, mais au fur et à mesure que la situation s’est dégradée, il nous a paru évident que la saison était terminée. »   

“Il nous a été important pendant cette période de soutenir les artistes et producteurs et de les rassurer sur l’avenir.”

Hervé Paradis (L’Azile)
© DR

L’impact diffère fortement selon la nature juridique des structures et son modèle économique. Pour Dominique Bouillon : « Le Temps des Crises est géré par une association qui n’emploie pas de salariés permanents et la salle est mise à disposition gracieusement donc cette mise en sommeil n’a pas de graves conséquences financières pour la structure. Les seuls à pâtir de la situation sont les artistes déprogrammés et les techniciens que nous faisons travailler les soirs de concert. » À l’Azile, « l’impact financier est à l’image de ce que l’on peut observer chez la plupart de nos confrères, avec des pertes importantes de trésorerie. Heureusement, la municipalité de La Rochelle et le département de Charente-Maritime ont maintenu leur soutien. Comparativement à d’autres pays, on peut également se réjouir des aides de l’état et du chômage partiel qui nous a évité des licenciements, même si elles ne combleront pas toutes les pertes, cela nous a permis de limiter la casse et d’envisager une reprise possible pour la rentrée.  Nous sommes en revanche très inquiets pour les intermittents, qu’ils soient artistes ou techniciens, ils sont nombreux à connaître actuellement d’importantes difficultés économiques. »

Sébastien Vidal partage cette analyse sur les mesures d’aide mises en place : « On a mis en place tout de suite les mesures de chômage partiel. Il faut saluer la rapidité de la mise en place de ces mesures, qui nous ont permis de passer le premier cap du confinement. Il faut absolument que mesures soient maintenues tant que nous ne pouvons pas exploiter le club à 100 %. » 

“Nos seules craintes concernent une baisse éventuelle de fréquentation parce qu’il est plus facile de fabriquer de la peur que de la faire disparaître.”

Dominique Bouillon (Le Temps de Crises)
© DR

Une fois le choc passé, et au-delà de l’impact individuel de la situation, la vie des structures ne s’est pas arrêtée. Au Duc des Lombards, « on a fait vivre le club sur les réseaux sociaux. On n’a jamais lâché l’affaire et je pense qu’on a été actif et intéressant. » À l’Azile, « Le confinement n’a pas été vécu par tous de la même manière et dans les mêmes conditions de vies. Certains ont souffert de solitude, de promiscuité ou d’anxiété. On imagine aisément qu’un artiste animé par sa passion, souffre de ne pas pouvoir se présenter en public. Il nous a été important pendant cette période de soutenir les artistes et producteurs et de les rassurer sur l’avenir. Pour plusieurs d’entre eux, cette période a suscité une remise en question importante. » 

Malgré un certain volontarisme, l’avenir reste incertain. Au Duc des Lombards, « on vient d’ouvrir une terrasse devant le club et nous travaillons activement sur le programme. On va rapidement proposer des concerts et on s’adaptera aux mesures sanitaires. Il nous faut être optimiste… même si nous avons bien compris que parfois le scénario du pire peut devenir la réalité. » Au Temps des Crises, la question du redémarrage se pose : « Nos seules craintes concernent une baisse éventuelle de fréquentation parce qu’il est plus facile de fabriquer de la peur que de la faire disparaître et nous ne pouvons pas estimer correctement la profondeur des “dégâts”. Nous verrons à la reprise si la dynamique reprend ou si cette longue coupure avec les adhérents-spectateurs a des effets négatifs sur la fréquentation. » À l’Azile, « nous essayons actuellement de reporter tous les artistes initialement programmés, mais ce n’est pas chose facile car notre calendrier pour la saison 2020-2021 était quasiment bouclé avant le confinement. Il est d’autant plus difficile de rajouter des dates supplémentaires sur la saison prochaine que nous ne savons pas si la crise sanitaire sera totalement résorbée, et si la fréquentation reviendra à un niveau viable. ». 

L’évolution de la situation sanitaire est en effet un facteur majeur de l’avenir, comme l’explique Hervé Paradis : « Pour l’instant nous nous préparons à une reprise à partir de fin septembre 2020, mais sous réserve que la situation soit profondément améliorée. Il serait pratiquement impossible pour nous de respecter les mesures actuellement nécessaires, cela nous amènerait à proposer des concerts avec une jauge divisé par 3 ou 4 ce qui, sans aide massive en compensation, amplifierait le déficit déjà causée par la période de confinement, nous n’aurions alors pas les moyens de rémunérer convenablement les artistes avec qui nous partageons la recette de billetterie. De plus, l’Azile est reconnue pour sa proximité et sa convivialité, il est donc difficile d’imaginer des concerts devant un public clairsemé et masqué. ».

On se dit que si on arrive à poser 7 milliards sur la table pour sauver l’automobile, 250 millions pour sauver le spectacle vivant est tout à fait imaginable.” 

Sébastien Vidal (Duc des Lombards)

Le maintien et le développement de mesures de soutien sont également des conditions majeures de la pérennité des structures. Sébastien Vidal résume ses attentes : « Il faut que les mesure de chômage partiel soient prolongés, tout comme le statut des intermittents a été sanctuarisé jusqu’en août 2021. Il faut des mesures d’exonération de charges patronales et un plan de soutien massif pour la relance de notre secteur. Avec le PRODISS [Le syndicat national du spectacle musical et de variété] nous l’avons chiffré à 250 millions d’euros. On se dit que si on arrive à poser 7 milliards sur la table pour sauver l’automobile, 250 millions pour sauver le spectacle vivant est tout à fait imaginable. » 

De son côté, le public a un rôle fondamental à jouer dans cette relance. Pour Hervé Paradis : « Si, dans le scénario le plus positif, nous reprenons à la rentrée, nous aurons besoin d’un public bien présent et nombreux. Nous ne rattraperons pas les pertes accumulées sur plus d’un trimestre, mais nous pourrions au moins retrouver une situation saine financièrement et moralement. Nous pourrions alors rassurer notre équipe, rassurer notre public et nos artistes. » Comme l’explique Sébastien Vidal : « Nous avons l’obligation d’être bon à tous les niveaux pour donner à notre public encore plus de bonnes raisons de venir nous voir. » 

Au-delà de la vie des clubs, l’enjeu de cette reprise dépasse de loin celle de la survie des lieux de spectacles existant, comme le rappelle Hervé Paradis : « Le réseau des petits lieux de diffusion est capital pour bon nombres d’artistes professionnels, nous devons leurs promettre de faire le maximum pour leur survie. »  

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © Frédéric Ragot

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