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Live reports / 04.04.2018

Chroniques du Deep South (part. 5)

Cinquième partie du voyage d'André Hobus qui en octobre dernier a sillonné le sud des États-Unis.

Shreveport (Louisiane). Si le n° 726 Texas Street (Jewel/Ronn/Paula Records) est devenu un parking anonyme du centre-ville, l’auditorium municipal, toujours en activité, a conservé son charme désuet de briques bicolores. Cette superbe salle tout en boiserie de 3 250 places, à l’acoustique impeccable, abrita le Louisiana Hayride, concurrent radiophonique hebdomadaire du Grand ’Ole Opry de Nashville, surnommé “le berceau des stars”. Elvis Presley y débuta en 1954, comme le rappelle sa fougueuse statue en bronze qui orne le trottoir. Mais où est donc passé Scotty Moore ? Seul James Burton a droit de cité : effigie équivalente et studio bien visible en face de l’auditorium. S’il peut revendiquer des contributions musicales majeures – pensons évidemment à Suzie Q de Dale Hawkins – il ne faisait ni partie des Blue Moon Boys ni des innovateurs de chez Sun.

 

 

 

 

 

Autre pôle attractif, la paisible campagne cultivée de Mooringsport pour y voir la tombe de Leadbelly. Soit. Mais c’est son environnement-terroir qui vaut le déplacement, avec sa cabane-épicerie-œufs au bacon croustillants et son casino rustique y attenant. Et bien sûr, les décorations saisonnières d’Halloween sur nappes country à carreaux.

 

 

 

Nous roulons maintenant en pays cajun, aux petites villes désuètes et colonisatrices des marais. Le petit Hall of Fame de Eunice célèbre cette musique si typée : accordéons, photos, disques et quelques artéfacts de vedettes emblématiques y sont figés, encadrés et “bocalisés” ad vitam. Que du contraire à Mamou, auto-proclamée “capitale mondiale” du genre. Une perspective ensoleillée de la sombre fête d’Halloween s’exprime dans un festival de rue, avec divers groupes cajuns se produisant sur un petit podium. Mais à 10 heures du mat’, ce sont les activités pour enfants qui attirent les mamans. Où donc sont passés les vieux couples et les hommes ? Au Fred’s Lounge (plus de 70 ans d’existence, autant dire une institution). Poussons la porte. C’est la kermesse et le barman sert daïquiris sur screwdrivers, alcools forts et bières dites de “lavage” – ma demande d’un café fait désordre – aux sounds de ‘T Don (Don Fonteneaux, chant et accordéon) bien déterminé à faire guincher les habitués et visiteurs. À fond le frottoir sur des rythmes de bal popu pendant que le guitariste alterne swamp pop, country et rock’n’roll 50s. Entre deux morceaux chantés en français acadien, annonces radio en direct et p’tit coup d’entrain. C’était un samedi matin au Fred’s Lounge.

 

 

 

 

 

 

À Breaux Bridge, le resto Pont Breaux offre plus de quiétude, même avec le groupe de Jay Cornier, plus posé et respectueux de la tradition.

 

 

La soirée au Blue Moon de Lafayette vivra dans ma mémoire : Nikki Hill. Planches pour une centaine de personnes seulement, bouteille à la main, mini scène et décoration Chess/Bobby Charles (See you later Alligator) au milieu de néons publicitaires. Chaleur nocturne hors normes. Outre sa voix à la Ruth Brown jeune, la shouter rockeuse transpire littéralement son R&B perso, relançant sans cesse le duo excitant de guitares stoniennes Matt HillLaura Chavez. Ouah ! Comme me dira celle-ci : « Je me sens chez moi, avec ce band. » Pour animer les danseurs et faire vendre des boissons tard dans la nuit, un véritable orchestre cajun/roots leur succède : Lost Bayou Ramblers, emmenés par un jeune fiddler-chanteur. Très entraînant.

 

 

 

 

 

 

 

Crowley se prépare pour son festival international du riz (elle en est la “capitale” autoproclamée) mais c’est bien évidemment la mémoire de J.D. Miller et de ses nombreux labels qui motive notre visite. L’ancien beauty parlor de son épouse, qu’il fallait traverser avant d’accéder au monte-charge poisseux et au studio, sans parler de son grenier-bazar aux disques amoncelés (que j’avais exploré en 1972), est devenu la mairie et un hall d’exposition permanente dévolu aux cultures… agricoles. A la mezzanine, quelques voitures vintage en souvenir d’un marchand d’autos. Enfin, le dernier étage lui est consacré : sa jeunesse de compositeur country et son immense apport régional au swamp pop & blues – une définition britannique – et au rockabilly. Son évocation-statue à la table de mixage n’est pas fort convaincante et un étrange Lazy Lester le scrute depuis le plafond.

 

 

 

 

 

Son fils Mark gère l’héritage : les disques actuels et subsistants sont enfin rangés sur des rayonnages un peu poussiéreux ; le studio, toujours actif mais en rénovation ; le magasin d’instruments. Je lui remets quelques photos historiques (1972) qu’il me commente : « Oui, c’était sa nouvelle table de mixage en direct d’Allemagne et personne ne savait s’en servir. Il nous a fallu un an avant de l’employer correctement grâce à la compréhension d’Allan Miller (sans relation) – il me désigne un jeune homme sur la photo – un véritable génie de l’électronique qui, comme les surdoués, était un peu dérangé. »

Texte et photos : André Hobus

 

 

Prochain chapitre : La Nouvelle-Orléans, après un crochet par Houma pour le festival de Tab Benoit, Voices of the Wetlands.