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Live reports / 25.07.2014

Chicago Blues Festival

Malgré une dette publique abyssale, la municipalité de Chicago, contrairement à d’autres, maintient la gratuité de son festival de blues, grâce à un sponsoring intensif, des accords avec l’État du Mississippi et l’entregent de son maire ambitieux. Conclusions ? L’événement reste populaire – les familles y viennent pique-niquer en nombres – et la météo ensoleillée aidant, des dizaines de milliers de visiteurs sont venus apprécier les bluesmen (women) du “pays” et y passer un excellent week-end à des prix de consommation encore abordables. Et pas un mégot ni papier abandonné dans l’herbe, tant les éboueurs sont efficaces… et les gens disciplinés !

Compte-rendu partiel et subjectif de la diversité du R&B proposé sur les cinq scènes. Nouveauté : le pavillon “Meet me in Memphis” réservé à des solistes goûteux.

Vendredi 13 juin

Toujours tiré à 4 épingles, Guy King (vo, g) en impose dans son style préféré, le B.B. King cuivré des années 1965-1975, copié jusque dans ses intonations vocales. Peu naturel mais impeccable.

Morry Sochat (vo, hca). Pourquoi donc nos scènes continuent-elles de l’ignorer alors qu’il maîtrise à fond les codes du Chicago blues ? Même le festival de rockabilly de Las Vegas invite ce beau gosse style 50's.

 


Guy King © Brigitte Charvolin

 


Morry Sochat © André Hobus

 

James Armstrong (vo, g). Belle renaissance après son agression : sobriété des solos et paroles intéressantes. Cependant, il reste à contre-jour, comme sa personnalité effacée.

Mr. Sipp (vo, g). Le “Mississippi Blues Child”, digne successeur de Vasti Jackson, est flamboyant et excitant à suivre sauf que son répertoire entier semble n’être qu’un long solo de guitare tendu.

 


James Armstrong © Brigitte Charvolin

 


Mr. Sipp © Brigitte Charvolin

 

Cicero Blake (vo). Ce pilier de la soul West Side est par trop marqué par la maladie et ses vocaux en traduisent la fragilité.

Mark Hummel Harmonica Blow Out, feat. Billy Boy Arnold. Sans Little Charlie mais avec les “suspects habituels” de Chicago (sauf le bassiste). Le San Franciscain est dans son élément et Billy Boy Arnold reprend du Sonny Boy I, le thème du festival. Set classieux.

 


Cicero Blake © Brigitte Charvolin

 

The Carolina Chocolate Drops. Beau revival des string bands, emmenés par une vraie leader multi-instrumentiste (dont le violon). À voir aussi pour leur maîtrise scénique et culturelle.

 


The Carolina Chocolate Drops © Brigitte Charvolin

 

Otis Taylor (vo, g). Je l’ai toujours trouvé prétentieux. Ici, il fut carrément sans intérêt, ennuyant et bruyant. Anne Harris (violon) ne sauve pas le set.

 


Otis Taylor © Brigitte Charvolin

 


Ann Harris © Brigitte Charvolin

 

Célébration de John Lee “Sonny Boy” Williamson. Final spectaculaire sur la grande scène du Petrillo. Tous les participants jouent de l’harmonica après un défilé de vétérans : Corky Siegel (hca, vo, kbd) en meneur de revue du Siegel-Schwall Band. Sam Lay, tout en cape impériale, encore à la batterie. Billy Boy Arnold (vo, hca, g), Marcella Detroit (ex-Marcia Levy, qui ne devrait pas aborder les ballades), Billy Flynn (g, hca), Omar Coleman (hca), Mark Hummel (hca), Kenny Smith (dm), Billy Branch (vo, hca), Johnny Iguana (p)…

 


Billy Boy Arnold et Mark Hummel © Brigitte Charvolin

 


Corky Siegel et Marcella Detroit © Brigitte Charvolin

 


Omar Coleman © Brigitte Charvolin

 


Marcella Detroit, Corky Siegel, Harvey Mandel, Sam Lay © Brigitte Charvolin

 

Samedi 14 juin

Les suspects habituels (Bob Corritore, B. Flynn, K. Smith …) transpirent dans la mini tente de la Société de Blues de Chicago, installée sur un parking, le public se massant librement sur le macadam. « Les bluesmen y donnent généreusement de leur temps » (sic), c'est-à-dire s’y produisent sans être payés, sinon par la générosité des spectateurs (!). Dave Riley (vo, g) apporte sa touche Mississippi. D’autres groupes y font leurs débuts ou des noms passent dans des sets thématiques. Dave Weld (vo, g)  fait une démonstration énergique de slide. Les prestations du samedi se terminent, pour la troisième année consécutive, avec l'excellente Geneva Red (vo, hca) et The Original Delta Fireballs (son mari, Jackie 5 & Dime en one man band, guitare double manche et grosse caisse). À deux, ils “pompent” du blues baveux. Nouveauté de leur répertoire : des titres de Howlin’ Wolf et Otis Rush revisités au banjo. Ils feraient un tabac chez nous !

 


Billy Flynn et Felton Crews © Brigitte Charvolin

 


Bob Corritore et Dave Riley © André Hobus

 

Selwyn Birchwood. Alligator a raison de miser sur ce jeune chanteur-guitariste (y compris lap steel) de Floride, ex-élève de Sonny Rhodes. Le meilleur compliment qu’on puisse lui adresser ? Une nettoyeuse afro-américaine, dansant sur place avec son balai, s’écriant à la ronde : « J’ai acheté ce CD ! J’ai acheté ce CD ! »

 


Selwyn Birchwood © Brigitte Charvolin

 


© Brigitte Charvolin

 

Les Chicago Blues Diva’s : Deitra Farr, Peaches Staten (ma favorite) et son washboard, Nellie “Tiger” Travis. Accompagnés par Mike Wheeler (g), elles sont “entertaining” dans un genre très concurrentiel.

 


Mike Wheeler et Nellie Travis © André Hobus

 

Et revoilà Guy King (vo, g), net et précis dans son répertoire rétro mais pas “habité”.

Big James & The Chicago Playboys (vo, tb). Soul blues compact, dansant et bien mené. J’aime quand ils carburent ainsi.

 


Big James © Brigitte Charvolin

 

Eden Brent (vo, p). Autre darling pour qui j’éprouve quelque faiblesse. Piano juke joint et vrais vocaux de shouter, mais elle tend à banaliser ses compos soit vers la facilité (What’d I say, Georgia, par exemple) soit dans un style “radio friendly”.

Bettye LaVette (vo) Quelle interprète ! Quelle dramatisation contrôlée ! Quelle contemporanéité sans trahison de quelques-uns de ses hits passés ! Elle parle à l’âme. Et quelle ligne (merci le yoga) !

 


Eden Brent © André Hobus

 


Bettye LaVette © Brigitte Charvolin

 

Dimanche 15 juin

Le brunch blues au Jazz Mart de Bob Koester est un passage obligé et les artistes Delmark s’y produisent, au milieu des piles de 45-tours, posters, T-shirts et rangées de CD et vinyles… Y passent pour un hommage/promo/argument de vente : Tail Dragger, Dave Specter, Sharon Lewis, Dave Weld, Mike Wheeler, Linsey Alexander, Willie Buck, Kate Moss… Eddie C. Campbell, cloué dans une chaise roulante, tente de participer tant bien que mal. Douloureux.

 



Linsey Alexander et Kate Moss © André Hobus

 


Willie Buck © André Hobus

 

Jim Liban (vo, hca) & The Joel Paterson Trio (g) ou la renaissance d’un vétéran de Milwaukee, en pleine forme. Soutien dynamique et varié. Quel plaisir !

Smiley Tillmon Band (vo, g). Gros blues baveux de ghetto. L’élégante Kate Moss (g) vient souligner la gouaille de sa mama-chanteuse, Felicia Field.

 


Jim Liban (hca) & Joel Paterson (g) Tio  © André Hobus

 


Smiley Tillmon © André Hobus

 


Kate Moss et Felicia Field © André Hobus

 

Dorothy Moore (vo). Sa santé fragile affecte son chant gospelisant. Harmonica ponctuel. Mais son public reste nostalgique et chaleureux.

Nikki Hill (vo) Un look sexy de conquérante, une voix d’incitation au… (complétez) et une tornade scénique : son mari Matt (guitare méchante) et elle occupent la grande scène avec une simple section rythmique. Torride ! Rien d’étonnant alors que leur soul blues rock’n’roll leur sert d’entrée dans les festivals du genre.

 


Dorothy Moore © Brigitte Charvolin

 


Nikki Hill © Brigitte Charvolin

 

Aaron Neville (vo). Je comprends que la gent féminine éprouve des frissons à fleur de peau à l’écoute de sa voix céleste et angélique, sans doute comparable à celle des castras. Et avec de super pros funky (dont son frère Charles au sax), on jubile dans le New Orleans divin. Mais le rocker mécréant que je suis n’est pas (encore ?) touché par cette grâce.

Dr. John (vo, kbd). Qu’on cesse de le surnommer le Bon Docteur ! Installation scénique le plus loin possible du public, pas un regard ni geste vis-à-vis des spectateurs, présence visuelle basique entre deux claviers à partitions, renvoi de la presse après trois titres… Son seul solo de guitare est hésitant. Seuls points positifs : il est en voix et ses arrangements plus funky revitalisent ses classiques (au détriment du piano). Retournez plutôt aux disques : ce ne sont pas les interventions de sa tromboniste qui créent l’événement…

 


Charles Neville © Brigitte Charvolin

 


Aaron Neville © Brigitte Charvolin

 


Dr. John © Brigitte Charvolin

 

Comme chaque année à pareille époque, le Centre culturel offre une série de concerts de midi et quelques projections blues. Parmi celles-ci, une avant-première : un documentaire de la BBC sur Big Bill Broonzy, en présence de son réalisateur britannique Jeremy Marre et de son conseiller historique, Robert Riesman, auteur de la désormais biographie définitive sur le bluesman, ainsi que deux de ses nièces. Le sous-titre est éloquent : “L’homme qui exporta le blues en Grande-Bretagne”, avec des documents encore inédits et des interviews de Keith Richards, Eric Clapton, Ray Davies… Passionnant !

 


Jeremy Marre et Robert Riesman © Brigitte Charvolin
 

 


Rosie Tolbert, Robert Riesman, Jo Ann Jackson © André Hobus

 

Quand le Legend’s de Buddy Guy ne programme pas en simultané des bluesmen présents au festival, il pratique une politique touristique d’une banalité Rock me baby / Sweet home Chicago, voire pire. Néanmoins, nous y avons apprécié… Guy King (vo, g) et son little big band dont le premier set, nickel, bien sûr, dura deux heures !

Par décence mémorielle, j’ai évité les concerts de Johnny Winter.

Le B.L.U.E.S., qui est à vendre, semble lui aussi vivre sur sa réputation et proposait un J.W. Williams (vo, g, b) sans intérêt, aux standards recuits. Rabattons-nous alors vers le Kingston Mines où, heureusement, Toronzo Cannon (vo, g) était en grande forme, plus dynamique qu’en disque et meilleur chanteur. Mais le club aux deux scènes (quand est-ce que Joanna Connor n’y officie pas ?!) n’est pas du goût de tous les amateurs (je les comprends).

Si la soirée consacrée aux chanteuses était à éviter au Reggie’s – club consacré au rock – en revanche, celle dédiée aux harmonicistes valait le déplacement. Je ne les ai pas tous vus (trop tard dans la nuit) mais l’intensité du Californien Aki Kumar (vo, hca), la sobriété de Scott Dirks (hca) – co-auteur de la bio de Little Walter – et l’excellence de Jim Liban (vo, hca), tous soutenus par le Rockin’ Johnny Band (g) ont déjà suffi à ma satisfaction. Par contre, la soirée de clôture du festival, le dimanche, au Smokedaddy’s, sur le même thème, n’a pas rencontré son public (alors que l’entrée était gratuite !) malgré les vigoureuses envolées de Bob Corritore (hca), Morry Sochat (vo, hca), des invités (Aki Kumar, Scott Dirks…) bien encadrés par Dave Specter (g) et sa section rythmique à contrebasse. Lequel Dave Specter, outre un show spectaculaire au SPACE, avec les participants à son nouveau CD (non vu) continue de se produire en ville en toute liberté instrumentale, souvent un peu froid : un set complet de variations blues/jazzy accroche peu l’attention.

 


Rockin' Johnny et Aki Kumar © André Hobus

 

Enfin, j’ai gardé le meilleur pour clôturer cette chronique : la prestation de James Cotton (vo, hca) avec Tom Holland (g) et Darrel Nulisch (vo) au SPACE, dans Evanston. Si, à près de 80 ans, le bluesman historique de chez Sun a un petit peu perdu de son souffle, en revanche, son inventivité créatrice est intacte et ses interventions surprennent toujours, même dans Rocket 88. Fameux ! Oui, il faut venir à Chicago au moment du festival.

André Hobus

 


Willie Clayton © Brigitte Charvolin

 


Vance Kelly © Brigitte Charvolin

 


G.C. Cameron et Lady L © Brigitte Charvolin

 


Vick Allen © Brigitte Charvolin