;
Live reports / 05.07.2017

CHICAGO BLUES FESTIVAL 2017 (part 1)

Vantant toujours sa richesse culturelle et la gratuité du festival, la ville de Chicago, organisatrice de l’événement, a cependant dû faire face à de dures réalités économiques : des chiffres de fréquentation réalistes contre les affirmations fantaisistes précédentes, sponsoring en baisse et plus de 700 jours (!) de non-approbation budgétaire globale au niveau de son État, l’Illinois. Conclusions : changement de lieu – le Millenium Park et son prestigieux auditorium signé Frank Gehry – et une programmation plus “ouverte” afin d’attirer un public plus large tout en ne trahissant pas l’esprit originel. C’est globalement réussi dans cette configuration qui accueille déjà les festivals de jazz et de gospel. Une réévaluation des aménagements nous est promise pour 2018 même si certaines difficultés rencontrées semblent insolubles pour l’heure : la scène Crossroads, par exemple, est inaccessible à des engins de levage et les bluesmen doivent porter leurs équipements depuis la rue, sans l’aide d’ouvriers municipaux. Quid de la disparition de l’espace convivial entre artistes et media ? Comment fluidifier davantage la foule venue en masse sur la pelouse du Jay Pritzer Pavilion ? Le stand du club Rosa’s organise ses propres mini-concerts à même la promenade, donc formation d’un bouchon qui s’est ajouté aux files des débits de boissons vu les températures caniculaires. Et quelques autres postes sont à revoir. Inversement, le public a bénéficié d’une très bonne, voire d’une excellente sono, des sièges confortables de l’auditorium face à son écran géant et de l’ombrage accru des plantations. La géographie resserrée des lieux a aussi réduit les déplacements entre podiums. Incontestablement donc, la popularité de l’événement a suscité des soucis, mais aussi une attractivité nouvelle. Qu’en est-il maintenant de la programmation ?

Comme chaque année, elle est incitative en amont : conférences et mini prestations hebdomadaires au Centre culturel, concerts gratuits le midi sur la Daley Plaza – nous y avons apprécié le groupe de Matthew Skoller et Deitra Farr en forme – et, cette fois-ci le lancement officiel par la mairie d’un hommage à Muddy Waters en pleine State Street (cf. notre rubrique actu).

 


 © BC

 


© BC

 

Vendredi

Rip Lee Pryor (vo, g, hca, pied). Le fils de Snooky se produit en homme-orchestre. Si cette formule archaïque se recentre sur les fondamentaux du blues, elle finit tout de même par lasser : notre écoute a changé.

Eden Brent (vo, p). Sa gouaille et son piano mississippien renouent avec la tradition honky tonk qu’elle abandonnait en disques.

 


Rip Lee Pryor © BC

 


Eden Brent
© AH

 

Mary Lane (vo). Chant monocorde mais elle fait corps avec chaque édition et son accompagnement Chicago blues (Rockin’ Johnny à la guitare), un plaisir. Allez, à l’an prochain.

Nick Moss Band (vo, g). Retour à 100 % de la dynamique de la Windy City. Ils déménagent ferme, surtout avec les envolées saturées de ce “vampire” (le look) de Dennis Gruenling (hca).

 


Mary Lane © BC

 


Nick Moss © BC

 


 Dennis Gruenling © BC

 

Jarekus Singleton (vo, g). Le divorce d’avec Alligator Records n’est pas encore prononcé mais ce set hard funk sans compositions identifiables y contribuera.

Guy King (vo, g). Swing blues très fluide, clean, bien “propre sur lui” comme on dit en Belgique. La raucité vient des cuivres. Mais je le reconnais : c’est agréable et classieux.

 


Ben Sterling, Jarekus Singleton © BC

 


Guy King © AH

 

Henry Gray (vo, p). À 92 ans et transporté en chaise roulante, il paraît inébranlable et va remporter un succès extraordinaire alors qu’il y a quelques mois, il s’écroulait au festival de New Orleans. Couvé par Bob Corritore (hca) et accompagné – je n’écris pas “soutenu” – par des cracks (Kenny Smith, Billy Flynn, Bob Stroger …) et Oscar Wilson (vo) en invité, il martèle encore vigoureusement son clavier comme chez Howlin’ Wolf.« 

 


Henry Gray, Bob Corritore © BC

 


Kenny Smith © BC

 


Bob Stroger © BC

 


Bob Corritore © BC

 


Henry Gray, Bob Corritore © BC

 


Oscar WIlson © BC

 

Jamiah Rogers (vo, g). L’ex-leader du trio de jeunots, Jamiah on Fire, se lance en vedette. Beaucoup de notes et poses de rigueur mais pas (trop) d’excès. Peut-être à suivre.

Tribute to Barrelhouse Chuck. Ou l’occasion d’apprécier des pianistes le plus souvent accompagnateurs : Johnny Iguana, Roosevelt Purifoy, pour une fois au jeu spectaculaire, et Willie ‘Shawny (ex-Jimmy Rogers), que je n’ai pas vu ici. Bien sûr, Billy Flynn (g) assure.

Rob Stone (vo, hca). Solide jeu walterien. Willie Hayes (dm) sait vous relancer à point nommé. Un plaisir malgré le style “déjà entendu” du leader.

La soirée s’ouvre et s’achève sur la grande scène avec :

John Primer (vo, g). La grande tradition du blues à la Muddy Waters, sans surprise mais qu’est-ce qu’on est content de l’entendre. Steve Bell (hca) y est impeccable.

 


John Primer © BC

 


Steve Bell © BC

 


John Primer, Steve Bell © AH

 


John Primer © AH

 

Rhymefest (le rappeur Che Smith). Je dois décrocher malgré l’originalité de sa démarche sociale et son accompagnement inédit : la difficulté des paroles, leur versification rythmée et leurs images.

 


Rhyme Fest

 


Billy Branch, Rhymefest © BC

 

La célébration des 40 ans de carrière de Billy Branch (vo, hca) & The Sons of Blues. Honneur, accolade et mention officielle pour le héros du jour. Musicalement, belle orchestration cuivrée et choristes (Bill McFarland, trombone, en directeur) soulignant sa longévité d’interprète puisqu’il n’est associé à aucune composition-signature. Mais quel panache et quelle succession de bluesmen locaux qui se sont retrouvés à un moment dans sa formation : Lurrie Bell, Freddie Dixon, JW Williams, bien meilleur qu’en entertainer touristique, Carlos Johnson, passionné et sinueux, Carl Weathersby qui, ici, se fourvoie dans deux ballades soul, et deux guitaristes montants (Giles Corey et Dan Corelli). L’effigie de feu Nick Charles (b) rappelle son jeu fondateur. Branch a aussi fait des incursions dans des styles plus modernes mais c’est en harmoniciste traditionnel qu’il domine sa génération. La revue fut parfois un peu trop festive : peu importe ! Let the good times roll!

 



Billy Branch © BC

 


Marvin Little, Bill McFarland, Hank Ford, Kenny Anderson © BC

 


Giles Corey © BC

 


Freddie Dixon © BC

 


Dan Carelli © BC

 


Billy Branch, Lurrie Bell © BC

 


JW Williams © BC

 


Carlos Johnson © BC

 


Carl Weathersby, Marvin Little © BC

 

Samedi

Khalif Wailin’ Walter (vo, g). Son chant médiocre ne s’est pas amélioré. Direction : la tente-bulle surchauffée de l’État du Mississippi, une des nouveautés, à la capacité doublée par rapport à l’espace ouvert des années précédentes.

Christone “Kingfish” Ingram (vo, g). À seulement 18 ans, sa voix douce rappelle aisément celle d’Albert et B.B. King, présents également dans ses solos. De sa Gibson Les Paul qui semble minuscule sous ses doigts, il sort aussi des mélopées en harmonie avec le chant.

 


Khalif Walin' Walter © BC

 


Christone “Kingfish” Ingram © BC

 

Donda’s House. Le groupe (avec DJ) lance un pont entre house music et blues mississippien. Pas pour moi.

Big Bill Morganfield (vo, g). Le plus “détaché” de son père Muddy mais au service de la tradition. Beau style bottleneck (en verre), voix de baryton et un harmoniciste walterien très compétent : Mark Malone.

Coco Montoya (vo, g). Son retour chez Alligator démontre aussi une maturité plus blues, amplement présente dans ses longs solos déployés sur tempo lent. Il touche le cœur à la Ronnie Earl, avec des réminiscences plus acérées, héritage de ses années chez Albert Collins.

 


Big Bill Morganfield © BC

 


Coco Montoya © AH

 

Eddie Taylor Jr. (vo, g). En meilleure forme physique, il assure davantage son répertoire 100 % Chicago (Martin Lang, hca). Mais son frère Tim reste monotone aux drums.

Jimmy Johnson (vo, g). Comment avec un jeu, un sound et une voix si spécifique n’est-t-il pas devenu, à 88 ans, un modèle cité et à suivre ? Il faut donc le voir et le revoir chaque année, le bonhomme ayant décidé de ne plus tourner chez nous.

 


Eddie Taylor © AH

 


Jimmy Johnson © BC

 

Nellie “Tiger” Travis (vo). Grande scène du Jay Pritzker Pavilion, dont elle s’empare tant bien que mal (chaussures inadaptées et descente malhabile dans la foule ; c’est où qu’on remonte ?!). Comme elle se produit en “soul night”, elle est passée des modèles précédents (Koko Taylor, Tina Turner) à Beyoncé. Mouais… Mais le grand écran la magnifie, d’autant plus qu’elle possède le punch vocal nécessaire.

Theo Huff & The New Agenda Band. Quoi de neuf au programme ? Un ouragan de medleys soul enchaînés par l’archétype du chanteur élégant et dynamique, formé au gospel, qui transforme l’auditorium en une congrégation acquise. Tout un orchestre cuivré et des choristes lui répondent, soulignant ici une intonation, là un pas de danse pour celui qui a incarné sur les planches du Black Theatre Ensemble des vedettes telles que Sam Cooke ou Otis Redding. Set trop exubérant.

 


Nellie “Tiger” Travis © BC

 


Theo Huff © BC

 


Willie Henderson, Theo Huff © BC

 

William Bell (vo). Sa sweet soul historique ne me correspond en rien. Je passe. J’entends déjà votre désapprobation ! Un affiche, lointaine, dans Berwyn, me réclame. Des choix, vous dis-je.

[Écho de notre photographe Brigitte Charvolin : Songwriter reconnu, interprète toujours convaincant, William Bell avec son dernier album “This Is Where I Live” a recueilli tous les honneurs de la critique et le Grammy award “Best Americana Album”. La voix n’a rien perdu de son charme si particulier et c’est avec classe que le soulman a délivré un set mêlant anciens succès et nouvelles compositions.]

 


William Bell © BC

 


William Bell © BC

 

André Hobus

Photos © Brigitte Charvolin, André Hobus