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Live reports / 22.03.2023

Cécile McLorin Salvant, New Morning, Paris

14 mars 2023.

Soirée d’exception : à quelques jours de la sortie de son nouvel album (chroniqué dans notre numéro actuellement en kiosque) et au cœur d’une tournée européenne qui précède les festivités estivales à venir, Cécile McLorin Salvant s’arrêtait pour un soir et deux shows (Soul Bag a assisté au premier) au New Morning, dans des conditions de confort d’écoute et de proximité rares pour une artiste de cette envergure. 

Le New Morning est évidemment plein – mais avec une jauge raisonnable et uniquement des places assises – pour accueillir la chanteuse. Plutôt que de faire le choix des itinéraires balisés du jazz vocal, adossée sur ses trois Grammys, elle a choisi de tracer depuis ses débuts sa propre route et de développer son univers personnel, n’hésitant pas à surprendre régulièrement son propre public et à l’emmener là où il ne s’attendait pas à aller. C’est ainsi que le concert commence par Dame Iseut, un morceau de la trobairitz du XIIe siècle Alamanda de Castelnau, qu’elle interprète tout d’abord en occitan puis en créole haïtien, en clin d’œil à ses origines familiales. 

La chanson, qui clôt le nouvel album, ouvre ici un voyage musical qui ne s’interdit rien, qu’il s’agisse de standards, de chansons françaises et internationales ou ses propres compositions. À Dame Iseut succède donc le I’m all smiles créé par Barbra Streisand, puis deux chansons de l’album précédent, Obligations et I lost my mind, avant une version de Le temps est assassin, de Véronique Sanson, précédée d’une superbe introduction à la guitare acoustique et qui se conclut sur le cri du cœur d’une spectatrice : « Magnifique ! » 

Glenn Zaleski, Cécile McLorin Salvant, Marvin Sewell, Yasushi Nakamara

L’accompagnement, largement renouvelé par rapport aux concerts précédents (Glenn Zaleski au piano, Marvin Sewell à la guitare, Yasushi Nakamura à la basse, Keita Ogawa à la batterie et aux percussions) est tout à fait à la hauteur, même si le pianiste n’a pas (encore ?) développé la télépathie qui unissait la chanteuse à Sullivan Fortner. Mais c’est évidemment le chant de McLorin Salvant et sa créativité permanente qui éblouit le plus. Ainsi, sur Obligations – qu’elle interprète avec le seul accompagnement de la contrebasse –, chacune des itérations de la phrase « promises lead to expectations », avec ses différentes variantes au fil du texte, est interprétée de façon différente. 

Même des chansons récentes comme la merveilleuse Ghost song – sans doute la plus belle chanson de 2022 – sont réinventées et semblent être créées par la chanteuse à l’instant. Peut-être un peu déstabilisés par certains morceaux du nouveau répertoire, les fidèles de la chanteuse accueillent avec plaisir The trolley song, la chanson de Judy Garland qu’elle avait enregistrée sur l’album “For One to Love” et qui lui permet de laisser libre cours à son jeu de scène le plus expressif, avant de revenir au nouveau disque pour le très joli et très tendre Doudou, qu’elle présente comme « la fausse dernière chanson »

En rappel, c’est à un autre monument de la chanson française qu’elle s’attaque avec Ne me quitte pas – qu’elle présente comme une chanson de Yuri Buenaventura ! Elle en donne une version épurée, qui ne doit rien dans son interprétation à celles de Jacques Brel ou de Nina Simone, respectant à la lettre le texte, mais jouant avec les rythmes et les silences pour susciter une émotion qui se voit jusqu’aux larmes qui coulent librement sur les joues de ma voisine. 

Il est évidemment impossible de rester sur un tel moment et, malgré les lumières rallumées et la musique remise – et les spectateurs du second show qui attendent derrière la porte ! –, la salle continue à rappeler l’artiste jusqu’à ce qu’elle revienne avec ses musiciens pour The world is mean, un titre de Berthold Brecht, Kurt Weill et Marc Blitzstein enregistré sur l’album “Ghost Song” et devenu un de ses classiques. Le retour à la rue des Petites Écuries donne l’impression d’un réveil à la sortie d’un rêve, tant le concert a fait l’effet d’une parenthèse onirique. Dix ans après la parution de son premier album personnel, la chanteuse, amatrice de sorcières et de fantômes, continue à enchanter son public…

Texte : Frédéric Adrian
Photos © Frédéric Ragot

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