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Live reports / 31.01.2019

Bradenton Blues Festival

Comment échapper au blues à l’approche de l’hiver, au nombre grandissant de légendes du blues irremplaçables et disparues et aux guignolades incessantes de Trumpenstein ? Excellente solution : se diriger vers le doux climat de la Floride pour une journée intense et s’envoyer une forte dose de blues. C’est ce que nous proposait l’équipe du Bradenton Blues Festival pour la septième fois. L’édition 2018, une fois de plus jouant à guichet fermé, annonçait un plateau alléchant, sans oublier une organisation millimétrée, une sono impeccable et un emplacement agréable dans un parc au bord d’une rivière. Il faut d’autre part noter que tous les groupes comportaient les membres réguliers de chaque musicien et que cela s’est ressenti dans leur soutien sans faille ainsi que leur plaisir communicatif de jouer ensemble. Ces facteurs réunissaient donc les meilleures conditions possibles pour que la magie opère. C’est ce qui s’est produit à chaque performance dans des styles très différents tout aussi excellents les uns que les autres.

 


Christone “Kingfish” Ingram

 

Pour bien entrer dans le sujet, nous avons tout d’abord eu droit à Christone “Kingfish” Ingram, un jeune phénomène de 18 ans. Son jeu de guitare fluide respire le naturel et l’aisance sans excès. Contrairement à beaucoup d’autres prétendants peut-être aussi doués, Christone a aussi la rare chance de posséder une belle voix posée, chaude et pleine de feeling. Tout au long de sa prestation il a abondamment démontré avoir complètement absorbé les leçons de ses illustres aînés tels Freddie King et Albert King. On sent vraiment être en présence d’un futur “grand” du blues.

Chris Cain, le sexagénaire vétéran de ce festival est une valeur sûre et un musicien hors pair non seulement à la guitare, au chant mais aussi au piano. Durant son set, il eut ample opportunité de valider sa réputation dans tous les domaines de son art. Devant un public enthousiaste, il enchaîna des morceaux rappelant à la perfection tantôt B.B. King, tantôt Albert King sans oublier sa touche personnelle. La classe !

 

 

Shakura S’Aida

 

Shakura S’Aida s’est ensuite emparée de la scène. Outre sa voix puissante, ce qui frappe le plus chez elle est son jeu de scène et son sens de l’interprétation mettant en valeur chaque chanson. Son répertoire varié couvre de nombreuses émotions servies par une voix tour à tour cajoleuse, sexy, suppliante, rugissante et menaçante. Tour de force d’une pro. On retiendra un moment fort de sa prestation avec Let it rain, une chanson présentée comme basée sur une vieille ballade des années 1930 à propos de pluie diluvienne et inondation en Louisiane. Elle sut créer à la perfection une atmosphère lourde et pesante à propos de cette pluie que l’on peut subir ou contre laquelle on peut/doit se battre (qui ne va pas sans rappeler le climat politique actuel). La présence de Chuck Campbell contribua fortement à cette atmosphère grâce au son lancinant et envoûtant de sa pedal steel.

 


Mr. Sipp

 

Mr. Sipp (Castro Coleman), récente recrue Malaco, issu du gospel, joue à merveille des morceaux bluesy au rythme prononcé (comme à l’église) et testés sur les publics noirs du Mississippi. Durant sa prestation, le souriant et sympathique quadra rechercha au maximum la participation du public allant jusqu’à se mêler à la foule le temps d’un long solo pour le plus grand plaisir de tous. Autre morceau notable était celui où il expliqua qu’il lui serait judicieux et nécessaire de se tenir à l’écart de Mrs. Jones, malgré ces forts sentiments pour elle, dans le simple but de sauvegarder son propre mariage. Pour montrer sa polyvalence, il finit par un morceau mélangeant Little wingOver the rainbow et l’hymne national Star spangled banner qui, comme il se doit aux États-Unis, vit tout le public se lever et se découvrir le chef main sur le cœur.

 


Mike Welch, Mike Ledbetter

 

Malgré la qualité exceptionnelle de tout ce que nous avions eu le plaisir de vivre jusque-là, restait le clou de la soirée avec le fameux tandem Mike Welch-Mike Ledbetter. Cette association assez récente est une formule aussi simple que redoutable. Prenez un exceptionnel chanteur, mettez-le avec un guitariste tout aussi exceptionnel, ajoutez une forte dose de respect mutuel et profitez de chaque instant d’un grand spectacle ! Chacun donne le meilleur de lui-même et pousse l’autre toujours plus sur des morceaux dans le style du Westside de Chicago à la Magic Sam-Otis Rush. Mike Ledbetter, chanteur surdoué s’est tourné vers le blues dans les dix dernières années et son jeu de scène agressif et dynamique révèle son implication totale dans chaque chanson. Pour rivaliser, “Monster” Mike Welch a bien besoin de se sortir les tripes lui aussi, nous assénant un barrage de riffs bien appuyés, jaillissant de sa guitare au son cinglant et implacable. Il faut aussi remarquer un accompagnement sans faille de la section rythmique permettant au duo de s’exprimer pleinement. Leur set fut d’une telle intensité que le public a fini vidé de son énergie, épuisé mais vibrant des pieds jusqu’à la tête. 

Donc, au final, une véritable succession de prestations de haut rang. De mémoire de fan de longue date et vieillissant, je peux compter sur les doigts de la main ce genre d’événements bluesistiques, surtout durant cette dernière décennie. Cerise sur le gâteau, aucun musicien n’avait de cannes ou de fauteuil roulant, tous étant jeunes voire très jeunes et définitivement prêts à assurer la relève !

Alain Récaborde et Phil Daniels 
Photos © “Boo Boo” Récaborde

bradentonbluesfestival.org

N.B. :  Ce texte a été rédigé avant l’annonce du décès soudain de Mike Ledbetter survenu le 21 janvier 2019. Lire notre hommage ici.