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Live reports / 01.12.2021

Bluescamp 2021, Villeneuve-Sur-Lot

Attendu impatiemment par les candidats stagiaires, le Bluescamp de Christian Boncour et son association ABC à Villeneuve-Sur-Lot s’est bien tenu cette année. Avec John Primer et son groupe, Ivy Ford et les autres professeurs-piliers, le plaisir d’apprendre, écouter et jouer ensemble a été intense, laissant comme à chaque fois des souvenirs forts.

26 au 30 octobre 2021.

A partir du lundi 25 octobre au soir, les participants rejoignent le site du Lycée L’Oustal de Villeneuve-Sur-Lot et les premières jams informelles ne tardent pas à en faire vibrer les murs. John Primer est arrivé avec son bassiste Dave Forte et son batteur Lenny Media, l’harmoniciste Steve Bell ayant annoncé un retard d’une journée. La chanteuse guitariste Ivy Ford et le pianiste Ken Saydak sont là aussi ainsi que les autres professeurs, presque tous habitués : Michel Foizon et Tonky de la Pena pour la guitare, Gordon Beadle et Sylvain Tejerizo pour le saxophone, Paul San Martin pour le piano, Nico Wayne Toussaint pour l’harmonica, Gladys Amoros pour le chant, Denis Agenet pour la batterie, Abdell B Bop pour la basse. À titre personnel, je suis stagiaire au cours d’harmonica.

Les professeurs !

La journée type se compose d’heures de cours le matin et l’après-midi, avec des horaires variables selon le principe “on joue tant qu’on en a envie”, donc on joue beaucoup ! Après le repas du soir, l’un des musiciens invités fait une masterclass, avec présentation personnelle et interprétation de plusieurs morceaux avant de partager la scène pour la jam session avec les stagiaires.

Le mardi soir, c’est Gordon Beadle qui ouvre la série, proposant de répondre à des questions plutôt que de parler de lui-même. Il joue ensuite un instrumental en solo avant d’être rejoint par Paul San Martin, Michel Foizon, Abdell B Bop, et Denis Agenet. Avec Gordon, l’exubérance est de mise et il débride aisément, entre autres, l’instrumental Cleo’s mood avant d’accueillir les élèves de sa section. La transition avec la jam est toute trouvée, au cours de laquelle Ivy Ford commence à montrer qu’il faudra compter sur elle, apparaissant à la batterie avec un solo sur 24 hours of the day.

Le mercredi, Ken Saydak parle de ses origines polonaises, son apprentissage de l’accordéon puis du piano pour imiter ses idoles Jerry Lee Lewis, Little Richard et Fats Domino. Pour lui, « la route n’a été ni droite ni simple, mais sans regrets ! ». Quand vient le moment de jouer, les quelques titres qu’il interprète seul sont forts en émotion blues. Son talent est au niveau de ceux qui l’ont inspiré, notamment Sunnyland Slim. Il accueille ensuite Steve Bell, Dave Forte et Lenny Media et on grimpe encore d’un cran dans le Chicago blues, avec Steve Bell qui réincarne son père de façon étonnante. Ivy Ford s’immisce à la guitare et lance la jam du jour.

C’est elle qui donne la masterclass du jeudi. Nous parlerons plus longuement d’elle bientôt dans Soul Bag car j’ai pu l’interviewer. Ses apparitions sur scène mais aussi au quotidien du stage montrent vite que c’est une sacrée personne. Pour ce soir, elle envoie au chant et à la guitare, Help the poor, Whiskey love, composition en valse jazzy, Dust my broom et Shake your moneymaker, vite accompagnée par Ken Saydak, Dave Forte et Lenny Media. On apprend au passage que Lenny est un neveu de Vance Kelly.

Le vendredi soir est le moment de la vedette John Primer. Quand quelqu’un comme lui raconte sa vie, on touche la vérité du blues. John est né à Camden, Mississipi, dans une famille pauvre. « On avait un seul pantalon, et des chaussures mais pas de lacets. Pas de nourriture non plus. » À trois ans il se met à la musique et c’est aussi l’année où son père meurt. Il apprend à jouer sur un diddley-bow à une corde fait maison. Cela lui vaudra une fessée donnée par sa grand-mère car il était interdit de planter des clous dans la façade en bois de la maison et de démonter le balai pour en récupérer le fil de fer. Son vrai nom est Alfonzo Primer, mais on l’appelle John “Boy” Primer car son père s’appelait John. Sa maman décède en 2010. « Le blues vient des temps difficiles, il vient d’Afrique, c’était un chant partagé entre les esclaves pour se parler en code sur les bateaux puis dans les champs de coton. » Son idole était Muddy Waters. À 14 ans il rêvait de jouer avec Muddy et ce rêve est devenu réalité. Il monte à Chicago à 18 ans en 1963, où il retrouve sa mère qui y était partie quand il avait six ans, le laissant à la garde de son oncle. Il réalise que les bluesmen dont il écoutait les disques sont bien vivants et il décide de rester sur place.

Il joue ensuite deux titres en duo avec Steve Bell (« I want to put some hot sauce on the blues ! ») puis les deux sont rejoints par le reste du groupe. Et la soirée bascule dans l’incroyable. Alors qu’il est de coutume de jouer seulement quelques titres, c’est à un véritable concert de John Primer & the Real Deal Blues Band que nous allons assister. I got the same old blues est un gros blues qui place tout de suite la barre très haut. That will never do maintient la tendance avant de partir dans la ballade Rainy night in Georgia, sa longue intro à la guitare puis une descente dans le public qui met tout le monde en orbite. Steve Bell fera de même un peu plus tard avec une séquence d’harmonica stratosphérique.

John est un spécialiste du Chicago blues mais la fibre soul vibre très bien en lui comme le montre sa reprise de You send me. Il fait ensuite monter sur scène le jeune stagiaire Valentin Vasseur, dont le jeu de guitare laisse déjà rêveur alors qu’il n’a que 15 ans, et son acolyte batteur Aurel Wienc. Soulignons au passage le niveau musical élevé des jeunes stagiaires présents, sans parler de celui de bien des adultes. Après un shuffle et une reprise de Stormy Monday, ce sont Paul San Martin et Nico Wayne Toussaint qui montent sur scène pour You don’t have to go. C’est ensuite l’autre jeune guitariste Anaël Nakpane qui est invité sur Mannish boy. L’heure a tourné et la répétition générale du concert des stagiaires est sagement repoussée au lendemain matin.

Le samedi est le grand jour du concert final à l’Abescat de Tournon d’Agenais. Du passage des stagiaires, je ne peux pas dire grand-chose car resté à trembler à l’arrière de la scène sauf quand je passe moi-même sur scène avec mes condisciples. Les 16 morceaux du programme vont du blues au gospel en passant par la soul. Conviction et émotion, mais aussi talent, sont les ingrédients principaux.

Le concert des professeurs fait monter la tension. Gordon Beadle lance le show. Michel Foizon ressuscite Muddy Waters en slide sur One of these days. Ensuite, Tonky de la Pena avec Nico Wayne Toussaint réclament One more chance with you. Paul San Martin régale avec We’re gonna rock et un boogie endiablé, Gladys Amoros prend le micro avant un final général de haute tenue.

Après le concert de la veille, on se demande comment John Primer va attaquer cette dernière soirée. La réponse est : à fond. Blues façon Muddy Waters et Magic Slim mélangés, soutenue par la frappe puissante de Lenny Media, il ne laisse aucun répit au public. Sa reprise de Slip away avec Steve Bell très présent à l’harmonica rappelle les faces de Buster Benton avec Carey Bell dans le même rôle. Leaning tree est pris en mode shuffle, pour terminer de chauffer la salle avant qu’Ivy Ford n’apparaisse. Celle-ci, rien ne la démonte. Elle prend tout de suite les choses en main avec un Rock me baby costaud puis un superbe Voodoo woman, bien funky avec solo de guitare rock blues, passage vocal sobrement rappé, et c’est la fin du premier set.

Le deuxième sera vite transformé par John Primer en grande fête avec un instrumental d’Elmore James, un Help me chanté par Ken Saydak et clôt par Steve Bell ultra speedé à l’harmonica, avant que Nico Wayne Toussaint, Michel Foizon et Sylvain Tejerizo montent sur scène pour Close to you baby. Ensuite c’est le grand rassemblement avec Valentin Vasseur, Anaël Nakpane, Nico Wayne Toussaint, Gladys Amoros et l’ensemble des professeurs et les stagiaires qui dansent et font la claque. On distingue Got my mojo working mais qu’importe le répertoire pourvu qu’on ait la fête !

Une superbe clôture pour un événement qui, une fois vécu, ne s’efface jamais des mémoires.

Bluescamp