;
Live reports / 26.05.2012

BLUES RULES


Reverend John Wilkins


C’est dans le petit village de Crissier, près de Lausanne, que se déroule le festival Blues Rules. Cette troisième édition fut hélas marquée par l’absence de David Kimbrough Jr., mais a néanmoins proposé de bons artistes de blues mississippien ainsi que d'autres, plus underground. Une ambiance mélangeant savamment celle d'un festival de blues downhome et celle d'un happening alternatif rural…


Le festival démarre en douceur avec un workshop d’harmonica dirigé par Adam Gussow, très respecté tant pour son passé au côté de Sterling “Mr. Satan” McGee que pour son actuel poste de chercheur à l’Université du Mississippi. La première soirée commence, elle, avec le son festif du Rising Star Fife & Drum Band déambulant de la pelouse du festival jusqu’à la scène. Avec deux batteurs, la jeune Sharde Turner, digne  héritière de son grand-père Otha, joue exceptionnellement sur une flûte traversière – son fifre de bambou, comme le reste de ses bagages, n’étant pas arrivé à temps. On les retrouve le dimanche et, visiblement heureuse, Sharde se lance alors dans un concert qui invita à la danse, très captivant sur les moments plus traditionnels (Sally Walker, Sitting on top of the world…), avec des incursions plus modernes inattendues comme Wild thing ou We will rock you (!).

 
Adam Gussow


Rising Star Fife & Drum Band


Sharde Turner


Le gros de la programmation est ensuite diversement appréciable selon les goûts de chacun. Ainsi, la old time music (bluegrass, cajun) des Oregoniens Foghorn Stringband  (violon, contrebasse, guitare) est bien interprétée, mais assez calligraphique. Bluesbeaten Redshaw est un jeune Anglais très certainement passionné du blues, mais dont le set manque encore de rythme et d’assurance. On retiendra très peu de la prestation des inclassables (folk psychédélique ?) Honshu Wolves ; la musique de ce trio bernois est décousue, et la fille à la basse hurlant ses vocalises n’améliore pas la situation.


Le très sympathique Anglais (résidant en Finlande) L.R. Phoenix propose un blues terrien, très ancré dans le Delta/Hill Country blues (McDowell, Burnside…), totalement impliqué dans un set fait pour la plupart de reprises (Hollow log, Jack O’Diamonds, Going down south). Il tient la scène racontant des histoires drôles, mais il a aussi tendance à forcer parfois trop sa voix, dans un style déclamatoire. Du bon blues quand même. Molly Gene One Whoaman Band, guitare et foot drum, se lance dans un set surexcité et franchement chaotique, au chant incohérent ; c’est pourquoi l’écoute, après un bon quart d’heure sans variations, se révèle éreintante. Avec Fred Chapellier et Neal Black, pas des surprises : un set de rock blues solide au son tonitruant, on se souviendra tout de même d’une bonne version de As the years go passing by.


L.R. Phoenix


Le duo finlandais Ataturk est franchement décevant, même pour les standards underground : son pourri, voix hurlante… Juste un peu mieux le one-man-band suisse Tong Tied Twin, soi-disant du “trash blues”, c’est à dire… bruyant.


On retrouve Adam Gussow en one-man-band sur scène avec ses harmonicas et sa batterie. Il donne un concert très agréable avec un répertoire qui comprend des bons moments dont une surprenante version de Sunshine of your love. Son jeu à l’harmonica est toujours propre, sans répit et jamais gratuit, même sur des standards comme Everyday I have the blues ou Good morning little schoolgirl.


Avec les Genevois Frères Souchet, un side project de Mama Rosin (habitués du festival), on est à mi-chemin entre le blues mississippien (ils jouent eux aussi Going down south !) et les musiques folk louisianaises. Difficile d'en dire plus.


Ceux qui ont fait le déplacement pour voir le Reverend John Wilkins n’ont pas été déçus. Le biker preacher, entouré d’un groupe bien soudé dans lequel on apprécie surtout le jeu efficace du jeune guitariste Jake Fussell, délivre un set de gospel blues sans faute : belle voix grave, répertoire de classiques bien revisités de façon North-Mississippi/soul (You got to move) et de titres de son très bon album “You Can’t Hurry God”, comme les superbes Sinner’s prayer ou I want you to help me. De loin le concert le plus marquant du festival, à revoir au plus vite !

 
Reverend John Wilkins


Les Mountain Men sont fidèles à leur folk blues attachant, teinté d’un brin d’ironie, avec l’harmonica mélodieux de Barefoot Iano et la guitare énergique de Mr. Mat ; répertoire de compositions personnelles et quelques reprises, dont une émouvante version de Georgia on my mind. Possessed by Paul James (alias Konrad Wert) est un one-man-band, professeur de banjo et de violon, qui propose du folk blues original mais respectueux, à sa manière, de grands maîtres d’autrefois. Musicien poignant, il est peut-être possédé mais il n’a pas perdu ses pédales.


Il est une heure du matin quand Keith B. Brown monte enfin sur scène. Il commence comme d’habitude avec du Son House (Death letter blues) impeccablement joué et il est vite rejoint par son bassiste Emmanuel Ducloux et un harmoniciste au jeu sensible. Keith, on le connaît, il est aussi à l’aise dans le Delta blues pur que dans de belles ballades folk, à l'instar de ce Dead end où son talent de compositeur s’épanouit très naturellement.


À l’année prochaine donc, avec l’espoir d’y retrouver la même passion pour du véritable downhome blues.
Textes et photos : Matteo Bossi et Luca Lupoli


Keith B. Brown