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Live reports / 15.07.2022

Blues Rules Crissier Festival 2022 

9 au 11 juin 2022.

Les musiciens du festival sont logés dans le Swiss Tech Hotel, accolé au gigantesque campus de sciences de Lausanne, lui-même situé au bord du Lac. Il y a probablement plus de fans d’Elon que d’Elvis dans les parages. Le soir du 8 juin, les musiciens américains se retrouvent dans un bar à bières et à burgers pour un petit “meet and greet”. Quelques fans sont là et font signer des disques à Robert Finley, Eric Deaton et Kenny Brown, mais l’essentiel du meeting et du greeting se passe entre les musiciens. Les vieux et les jeunes échangent des blagues autour d’une bière ou d’un burger. Kent Burnside écoute avec attention Robert Finley. On a vraiment l’impression d’être dans une réunion de famille ou un mariage. 

Damion Pearson, chanteur-guitariste et harmoniciste de Memphissippi Sounds regarde avec curiosité un diddley bow fabriqué à partir d’une canne par Vincent Delsupexhe, cofondateur du festival. Bientôt la chose est branchée à un ampli et quelques notes slidées résonnent dans le bar. 

Kent Burnside et Kenny Brown le rejoignent, ainsi que la saxophoniste Diane Hoffman, Damion passe donc à l’harmonica.  Tout ça est improvisé, il n’y a pas de micros pour les voix, et on entend difficilement le chant. Pas grave, le groove est là, et on voit bien que tout ce petit monde se connaît et a des références musicales en commun. Damion Pearson donne au tout un enthousiasme communicatif, frappe le rythme sur ses cuisses et donne l’impression de bien s’amuser. Robert Finley boit une bière et filme les petits jeunes avec son téléphone, il a le sourire aux lèvres, et n’en perd pas une miette. 

Kent Burnside lui demande alors de les rejoindre. Finley commence par démontrer son aise à la guitare, avant de dégainer sa voix qui elle, n’a pas de difficulté à planer au-dessus du grondement des guitares électriques. Il livre une performance habitée, théâtrale et drôle. Tout le monde prend conscience que ce grand homme bizarrement fagoté a quelque chose de spécial. 

Kenny Brown, Robert Finley, Libby Rae Watson © Benoit Gautier
Eric Deaton, Damion Pearson © Benoit Gautier
Robert Finley, Kent Burnside, Diane Hoffman © Benoit Gautier
Robert Finley, Christy Johnson, Damion Pearson, Kent Burnside, Libby Rae Watson © Benoit Gautier

Pendant ce temps, les autres musiciens eux, se retrouvent, discutent et boivent des bières. Quand il est temps d’aller rejoindre le site du festival pour manger une fondue, certains d’entre nous sont déjà bien entamés. La fatigue joue pour tout le monde, pour d’autres, c’est le manque d’habitude du vin, ou peut être la simple envie de s’en coller une petite avant le début du festival. Toujours est-il que les trajets en voiture entre l’hôtel et le site sont assez mémorables. George Sheldon, musicien qui assurera la basse pour la plupart des concerts des artistes américains, nous livre notamment une très grande performance de redneck bourré, qui restera dans les souvenirs de tous. La conversation prend des tours plus qu’absurdes. Les propos partagés sont trop extrêmes pour être rapportés ici, mais sachez que George a bien failli se fâcher avec son ami batteur et ex-voisin Lee “The Groove Ginger” Ingram. Le tout culmine avec un concours d’imitations de Donald Duck entre Damion et George. Tout le monde est hilare, sauf Kent Burnside qui s’est endormi. 

Nous arrivons à la petite baraque qui sert de backstage au festival. Y a fondue. George ne goûte pas la belle odeur de vin blanc et de fromage qui flotte dans l’air. Il s’éloigne rouler une cigarette en m’égrenant à l’oreille toutes les odeurs peu ragoûtantes que lui évoque ce fumet montagnard. Chers amis suisses n’en tenez pas rigueur à George, la suite de l’histoire montrera que c’est un homme d’une grande sagesse. Entre-temps, nous discutons avec Damion “Yella P” Pearson de Memphissippi Sounds. Son binôme Cam Kimbrough n’a pas pu venir, testé positif au covid au dernier moment. On discute de son apprentissage de la musique, il nous montre des photos de lui à 4 ans avec une guitare Mickey, parfaitement assortie aux posters qui recouvrent les murs de sa chambre. Damion nous raconte sa rencontre du blues, dans les houseparties et le gospel, à l’église. Damion s’est fait une spécialité d’interpréter des vieux spirituals à l’harmonica pour les enterrements : « Les vieux adorent ça ! Ils viennent souvent me voir et me disent : “Tu viendras jouer pour mon enterrement, hein ?” » 

Ô surprise, qui voyons-nous derrière Damion en train de s’enfourner goulument un morceau de pain couvert de fondue dégoulinante et brûlante ? George ! « C’est délicieux ! », nous dit-il en levant le pouce en l’air. J’aime à penser que cette bouchée de fondue est le premier pas qu’il aura fait vers la Lumière. 

Vendredi 10 juin

Car voyez-vous, le lendemain, quand nous le recroisons, George n’est plus le même homme. Il a troqué ses cheveux gras couverts d’une casquette de trucker pour un pelage soyeux, sa bouche souillée de grossièretés prend la forme d’un sourire communicatif, son regard vitreux est désormais doux et attentif. Qui est cet homme ? Certainement l’une des plus belles rencontres de ce festival. 

Les organisateurs poussent les artistes à venir le plus tôt possible sur le site, ce qui occasionne pour certains de longues heures d’ennui, mais est un moyen plutôt efficace de forcer les gens à socialiser. À côté du réfectoire, il y a un petit cercle de canapés au milieu desquels se trouvent quelques instruments et un deux amplis, et surtout le trio belge Well Well Well. Renaud “RL” Lesire joue tantôt sur sa Telecaster, tantôt sur une Epiphone laissée là des morceaux qui témoignent de sa grande ouverture musicale : RL Burnside bien sûr, mais aussi Freddie Green et Bobby Bland. Il a Ain’t no love in the heart of the city tatoué autour du cou. On parle de notre amour commun pour Lenny Kilmister de Motörhead, mais pas seulement. « Je suis vraiment passé par toutes les phases, quand j’étais gosse j’étais fan de Cloclo, je l’imitais et mes cousines faisaient les Claudettes derrière moi ! »

Renaud Lesire chantant St James Infirmary pour son batteur Gert Servaes, conquis © Benoit Gautier

En sortant de l’espace réfectoire, je trouve Diane Hoffman assise sur un rocher. Nous parlons de la version locale du Cola qui est une interprétation, disons libre de ce grand classique de la malbouffe mondiale. Elle me dit qu’elle a besoin de quelque chose d’un peu plus fort. Ce sera donc un petit bourbon accompagné de jus de pomme. Attablés, nous parlons de nos vies et de Kent Burnside, qui est parti faire un tour dans la Mustang d’un des chauffeurs du festival. L’homme s’est affublé d’un magnifique costume blanc, un « pimp suit », comme le dit George. Bon calcul : Diane nous dit que lors du point presse, les reporters se sont précipités sur lui. Elle assure son booking donc elle est heureuse de voir que l’artiste attire l’attention des médias locaux. 

J’entends quelques notes de bluegrass et nous descendons, George, Diane et Kent, écouter les Beauregard Boys, un groupe suisse qui mêle musique cajun et bluegrass « un cousin du blues un peu énervé, et probablement un peu bourré aussi ». Le public est très familial, il y a plein d’enfants qui courent partout et même les pensionnaires d’une maison de retraite. Les Suisses ont une énergie et une bonne humeur communicatives. Ils jouent « Parlez nous à boire, Wagon wheel et plein de classiques. Le chanteur fait preuve d’une grande polyvalence. La composition titre de leur dernier album La corde cassée est franchement bien foutue, et on se dit que pour démarrer, c’est une belle réussite. 

Les Suisses cèdent la place au one man band anglais Half Deaf Clatch. Le soleil descend et brille à travers les feuillages, et d’un seul coup, tout est plus beau. La voix de l’anglais est plus rock que blues, et le stomp régulier qu’il tape avec le pied est un peu binaire. Certains pensionnaires de la maison de retraite trouvent que ça commence à faire un peu de boucan. Je me dis que je devrais m’inquiéter de partager ce sentiment. 

On a pourtant droit à des petites touches plus fines comme l’intro de Old death train évocatrice de Blind Willie Johnson. Quand il s’agit de reprendre un titre de RL Burnside, l’Anglais nous dit qu’il a un peu les chocottes étant donné les éminents représentants de sa tradition qui traînent dans le public et en coulisses. L’homme nous promet « la première chanson de blues qui parle de Tom Cruise et de scientologie », mais peine à s’accorder et perd patience. Il se lance alors dans une interprétation de Stones in my pathway. C’est le plus beau moment du set, les trilles de guitare de Johnson font sautiller la locomotive en fonte de Half Deaf Clatch et ça fait du bien de se balader hors des rails. « Qui a besoin de chansons sur les enlèvements par des aliens quand on a Robert Johnson ? » Sages paroles ! 

Thomas Lécuyer et Vincent Delsupexhe sautent sur scène pour nous annoncer qu’un groupe est venu s’insérer dans la programmation pour un morceau surprise. Il s’agit de Will Barber, « qui se baladait dans les bois ». Le trio offre une prestation très rock, basée sur une lap steel guitar et une basse bien groovy. Ça rugit, le groupe n’a pas fait de balances, le son bave un peu, mais le public apprécie. 

Beauregard Boys © Séverine Gonzalez / cvrin prod

La scène est ensuite prise par Memphissippi Sounds, ou plutôt, puisque le duo est amputé d’une moitié, par Damion “Yella P” Pearson, accompagné par la section rythmique qui accompagne la moitié des artistes américains du festival : George Sheldon à la basse, Lee Ingram à la batterie. À ceux-là s’ajoutent Diane Hoffman au saxophone et Kent Burnside à la guitare solo. C’est la première fois que ce petit monde joue ensemble. Il n’y a pas vraiment eu de répétitions, à part les balances le matin même. Je serre un peu les fesses pour eux. 

Les morceaux prennent la forme de longues jams où Yella P déploie son énergie explosive. Il ponctue ses morceaux de glapissements : « Coo coo coo cooooo », qui sont bientôt repris par le public. Il dit : « Kent, play the blues for me », le grand homme s’exécute et le jeunot se met à danser sur le solo, pose sa gratte, sort son harmonica. Les ingés son ont du mal à suivre ce tourbillon, mais ça passe. Le solo d’harmonica fait bientôt place à une espèce de prêche semi rappée : « I was standing at the crossroads» Tout ça sent l’impro d’un homme qui a l’habitude de ce format. Le groupe suit sans trop de difficultés apparentes. 

Après un morceau boogie au cours desquels Damion lâche des « aaah ! » de jouissance au milieu des solos d’harmo, il nous lance sur un morceau « qui parle d’une expérience que j’ai vécue à Natchez, Mississippi ». Ça s’appelle Saturday morning. Le morceau avance à fond les ballons, Damion mouline sa guitare impitoyablement, et pourtant sa voix prend des accents RnB. Tout est fabriqué sur place, sous vos yeux ébahis : l’homme fait frapper le public dans les mains, s’allonge sur scène, joue un solo de guitare. Le seul problème c’est que tout le petit monde qui joue avec lui a du mal à savoir quand arrêter la boucle infernale. On y arrive pourtant. Damion demande au groupe la permission de « get funky with the drummer », juste lui à l’harmonica et Lee à la batterie. Le morceau s’appelle Clarksdale, un de mes moments préférés du concert. Lee assure comme une bête, le tempo accélère, Damion lance une poignée de When the Saints dans le ragoût, c’est délicieux et roboratif. Le set s’achève sur un Rollin and tumblin chaotique comme il se doit. À la sortie, Eric Deaton, qui ne joue pas aujourd’hui mais qui est venu écouter ses amis, lui pose la question qui me brûle les lèvres : « Alors, c’est comment de jouer avec cinq personnes alors que t’as l’habitude d’être en duo ? » « Eh ben en fait c’était plus facile, j’avais pas à me préoccuper de faire la basse à la guitare, pas besoin d’utiliser une machine pour faire des boucles d’harmonica. » 

Damion Pearson, Eric Deaton © Benoit Gautier 
Vicious Steel Fuel Band © Séverine Gonzalez / cvrin prod
Vicious Steel Fuel Band © Séverine Gonzalez / cvrin prod

Pendant que nous parlons, le groupe Vicious Steel Fuel Band monte sur scène. « C’est eux qui jouent avec un tracteur sur scène ? », me demande Deaton, curieux de voir ça. Il n’y a plus de tracteur, mais il y a du monde sur les planches. Le groupe de Cyril Maguy est passé du format duo à un sextet avec des cuivres. Ça sent effectivement l’huile de moteur, d’ailleurs les musiciens sont habillés en pompistes. Le son est très rock, même si l’influence des musiques blues est sensible. Les structures rythmiques et mélodiques au sein des morceaux varient pas mal. Un morceau se distingue, joué à la cigarbox et au slide, il alterne entre couplet blues groovy et refrain punkifiant. Le groupe fait participer le public, ça fonctionne bien.

Puis c’est au tour de Robert Finley de prendre possession de la scène. La nuit est tombée comme par magie. Il se faufile entre les amplis, guidé par sa fille Christy, qui sera ses yeux pendant tout le concert, servant à la fois de roadie et de setlist humaine, en lui chuchotant le prochain morceau à l’oreille. Il ouvre avec I just want to tell you, et enchaîne sur Sharecropper’s son. J’exulte. Kent Burnside, qui se trouve à côté de moi, a l’air de bien profiter aussi. Beaucoup des musiciens du festival sont venus voir le grand homme. Certains viennent aussi pour une curiosité : le batteur Marlon Patton joue de la basse avec un système de pédales ! D’ailleurs, certains membres du public incrédules hurlent : « Where is the bass ? »

Cette très longue et haute silhouette un peu penchée en avant est capable de se mouvoir avec une souplesse impressionnante, esquissant des chorégraphies avec sa fille qui amènent son bassin à onduler dangereusement près du sol. Mais plus encore, c’est le son qui sort de ce grand échassier qui ébahit. Dès les premiers morceaux, Finley dégaine son falsetto, et en fait un usage plus que prolixe. Je ne peux pas me plaindre. Il s’assoit pour être à l’aise pour réaliser le doublé I can feel your pain / Holy wine, et cette abondance de notes haut placées et parfaitement maîtrisées arrache à votre serviteur quelques larmes. 

On rigole aussi, comme quand il semble se perdre dans son ad lib final et que sa fille vient lui taper sur l’épaule pour l’en sortir. Autodérision encore quand Finley raconte en intro d’une chanson : « Vous savez quand j’étais un petit garçon, il y avait à côté de chez moi trois poivrots qui étaient assis dans la rue, et un jour qu’on passait devant, mon papa me demande ce que je veux faire plus tard dans la vie, et j’ai répondu : “Papa, je veux devenir un poivrot”, les poivrots n’ont aucun souci dans la vie, à part celui de trouver leur prochaine gorgée. Et je suis devenu un poivrot. Donc la prochaine chanson parle du fait qu’il n’est jamais trop tard pour réaliser vos rêves. » 

Un des grands moments de la soirée est le gospel All my hope is in Jesus, particulièrement habité. Et comme ce soir, c’est le dernier concert de la tournée, Mr. Finley veut mettre en avant sa fille Christy qu’il remercie : « Elle prend bien soin de son papa et prend garde à ce qu’il ne se fasse pas kidnapper par des femmes douteuses. » Christy prend donc possession de la scène pour un I’d rather go blind judicieusement enchaîné avec Tennessee whiskey de Chris Stapleton, qui est en fait une orchestration d’un texte de George Jones sur la musique du tube d’Etta James. Rick Lollar livre un beau solo à la guitare, au milieu d’un set où il aura remarquablement occupé l’espace avec son compère. Difficile de croire qu’il n’y a que deux musiciens sur scène. Papa est assis derrière sa fille, il kiffe et il a raison : Christy assure. 

On enchaîne sur Souled out on you, « Un morceau qui parle de ce moment où trop c’est trop. » Un chien aboie dans le public. « Voilà, même le chien sait de quoi je parle. » Le set se termine sur deux morceaux où Finley accompagne à la guitare. Un blues, Why I sing the blues, qu’il aurait aimé un peu plus épicé, mais Mr. Finley est un homme responsable : il a vu qu’il y avait des petits dans l’assistance, alors il essaie de maintenir sa performance dans les limites de la décence. Le dernier morceau est un rocking blues, en hommage à son état d’origine : Down in Louisiana. L’ex-charpentier ne compte pas se coucher tout de suite. Alors que sa fille jette quelques t-shirts dans le public, il annonce qu’il rencontrera volontiers tous ceux qui le souhaitent. Une petite queue se forme devant le backstage, des parents accompagnent leurs petits qui viennent rencontrer ce généreux géant. 

Robert Finley © Séverine Gonzalez / cvrin prod
Christy Johnson © Séverine Gonzalez / cvrin prod
Robert Finley © Séverine Gonzalez / cvrin prod

Le groupe de Kent Burnside prend la suite. Le public commence par chanter un happy birthday to you à l’artiste qui fête ses 51 ans ce soir. La soirée progresse et le public suisse commence enfin à s’encanailler un peu. On entend qu’il réagit un peu plus, intervient pour pointer la qualité d’un solo ou encourager une montée en intensité. Kent lance « un petit boogie », I feel all right, particulièrement méchant. Damion Pearson s’est joint au groupe et fait des siennes à l’harmonica pendant que Kent tient un rythme sautillant à la guitare. « Je vais vous jouer un blues bien sale » : il ne ment pas, son Catfish blues est tout poisseux et couvert de mucus : ne vous frottez pas les yeux, ça pique. On a droit à un solo au saxophone de Diane Hoffman, dont on peut profiter de la délicatesse malgré une présence bien trop en retrait à notre goût dans le mix. Kent encourage Damion à plonger et à faire quelques longueurs supplémentaires dans ses solos, c’est une bonne idée, la sauce prend. Lee est au taquet à la batterie. 

Dans ce blues à mi-chemin entre Chicago et Hill Country, beaucoup de place est laissée au groove et aux instruments, ce qui fait qu’on n’a pas trop prêté attention à la performance vocale. Au milieu d’un couplet, je surprends à me dire “attends, mais il chante !”. En effet au cours du set, la voix de Burnside nous a semblé prendre de l’aisance et se révéler peu à peu. Le petit-fils du grand maître entame alors une chanson de RL Burnside. Son Jumper on the line est joué en bas du manche, dans un style funky du plus bel effet. Le style Hill Country n’est pas facile à faire fonctionner, et on voit George Sheldon qui se démène à la basse pour maintenir son rythme sautillant tout en luttant contre un mal de crâne carabiné. La voie de la rédemption n’est pas aisée à parcourir, mais George s’en sort impeccablement. Le set se termine sur un beau All your love (I miss lovin’) qui fait gigoter comme il faut. 

Les organisateurs montent sur scène pour promettre du bourbon gratuit au courageux public qui restera pour le dernier set, celui de Hey Satan. Le groupe étant résolument plus rock et votre serviteur ayant définitivement arrêté la picole, je remonte fissa vers le réfectoire/backstage. J’y trouve Robert Finley en pleine discussion avec Diane Hoffman, qui lui dit toute son admiration. Ils parlent du sens de la vie. Finley n’en revient pas d’être là où il en est : « Tu te rends compte, on est payés pour faire la fête ! Avant je bossais toute la semaine pour pouvoir faire la fête le week-end, maintenant on me paye pour ça, that’s fucked up ! » Il se marre ! Finley conseille à Diane, qui dit n’en pas avoir le goût, de s’acheter un smartphone : « Regarde, moi j’en ai un, alors même si l’aveugle peut y arriver, tu peux le faire ! Tu sais, il faut qu’on reste à la page, sinon, on va nous foutre en maison de retraite ! » Il se marre encore : « Parfois ma fille me dit que je suis bon pour la maison de retraite, je lui dis, tu sais tu peux m’y mettre, je redonnerai vie à toutes ces vieilles sisters, je passerai de chambre en chambre et je leur dirai : “C’est quand la dernière fois que t’en as vu un comme ça ?” » En tous cas les pensionnaires de la maison de retraite croisés dans le public sont couchés depuis longtemps. Je ne tarde pas à les suivre. 

Damion Pearson, George Sheldon, Kent Burnside, Diane Hoffman © Séverine Gonzalez / cvrin prod
© Séverine Gonzalez / cvrin prod

Samedi 11 juin

Dans la cour de l’hôtel, devant sa chambre, je trouve Renaud Lesire de Well Well Well allongé sur une chaise longue, méditant au son de Little Walter. « Y en a beaucoup qui voudraient jouer comme lui, mais pas un seul qui voudrait avoir sa vie. » Je lui demande s’il pense que tous les musiciens sont malheureux. Il a l’air de penser que tous ont leurs démons. Je suis d’accord dans une certaine mesure : il faut être dingue pour mener cette vie. On parle de la pandémie, et du fait qu’elle a obligé chacun à prendre du recul, y compris les musiciens. Il approuve, il me parle de sa petite baraque dans les bois, de sa tranquillité retrouvée loin de la ville et de ses tentations. C’est pas tout ça, mais la navette pour le festival m’attend au pied de l’hôtel. 

Kenny Brown trouve devant l’hôtel un abruti de journaliste français à chapeau qui glande souvent avec son bassiste George Sheldon. George a l’air de bien l’aimer, mais il n’arrête pas de déblatérer des histoires absurdes. Ce gars dit qu’il est allé hier dans une boutique chic au centre de Lausanne dans laquelle il aurait acheté des appâts à poissons pour 50 dollars le pound. Dans la boutique, les appâts seraient coulés en plaques qu’ils briseraient au marteau. N’importe quoi. Le gars raconte ensuite qu’il est allé dans un chalet dans la montagne suisse et qu’il y passait son temps à regarder des troupeaux de petits corbeaux hyper agressifs se foncer dessus et se battre à longueur de journée. George me regarde et me dit : « T’inquiète, moi aussi personne comprend quand je parle. » Si je parlais anglais correctement, Kenny aurait compris que les corbeaux étaient des vaches et les appâts à poissons étaient du chocolat. 

Quand le van arrive, Kenny Brown a du mal à rentrer dedans. Ne vous méprenez pas, l’homme est gras comme une ballerine qui pense que la scène fait gagner 10 kilos. C’est juste qu’il aime avoir son espace vital : « J’aime pas ne pas pouvoir bouger : le pire c’est l’avion. Franchement, le type qui conçoit ces fauteuils pour les avions, c’est un enculé de sadique. » Encore une fois, je me retrouve à l’arrière avec George Sheldon. Dans ce van, il y a donc Kenny Brown, qui a fini par rentrer là-dedans, sa femme, Libby Rae Watson, Eric Deaton et un chauffeur bénévole, béni-soit-il. George dégaine son téléphone pour me montrer des photos de ses enfants. Le voilà à la pêche avec son fils, et sa fille avec un des chats. Entre deux photos, je vois une créature nettement moins mignonne. C’est un des nombreux gators qui peuplent le marécage sur lequel règne George, pêchant perche et poisson-chat, chassant cerf et canard. Des alligators, il en a toute une collec. Quand je lui montre en retour ma fille de deux ans arborant son t-shirt de fan de crocodiles, je me dis qu’elle serait bien plus heureuse dans ce marécage avec George que dans un appart de banlieue parisienne. 

Kenny Brown © Benoit Gautier

George et moi retrouvons Diane, je lui donne un morceau de chocolat à partager, je lui dis que c’est du bon : 100 dollars le kilo. Comme évidemment elle ne voit pas du tout ce que représente un kilo, et se met à penser que les quelques grammes que j’ai ramenés valent beaucoup plus que leur prix et me remercie avec profusion. Elle en déguste un morceau avec George, ils confirment que les Suisses connaissent leur affaire. 

Kenny arrive, il nous dit qu’il a essayé de toquer à la porte de Robert Finley dans la journée, mais qu’il n’a pas réussi à le trouver. Ils devaient répéter, parce que Robert doit venir faire un morceau avec lui ce soir. « T’as qu’a faire une chanson de son dernier album », propose Diane. Kenny à joué dessus, il les connaît bien. Mais il n’est pas sûr que ce soit le cas de Robert : « Le gars a déboulé en studio, et il a juste inventé les chansons sur le moment. Quand il est revenu à Nashville quelques mois après pour faire les vidéos, il ne se souvenait plus des paroles ! » 

Je me retrouve à discuter avec Eric Deaton, qui a dans les mains son album de 2009, “Smiling At Trouble”. Je lui demande s’il compte en ressortir un bientôt. Il avait réservé du temps en studio pour faire un album l’année dernière, mais son batteur, Kinney Kimbrough, le fils de Junior, s’est blessé le pied. Il a donc repoussé. « Et si ça ne va pas mieux ? Tu envisages d’enregistrer avec quelqu’un d’autre gars ? » Pas question pour l’instant. Eric veut le vrai son Kimbrough, celui du batteur avec qui il a appris le métier, quand il jouait de la basse dans le groupe de Junior. 

Diane Hoffmann, qui est plus ou moins le manager de Kent Burnside reçoit un appel : « Quand ? OK, je descends tout de suite. » Apparemment, Kent a rencontré un groupe français hier et a accepté de faire un morceau avec eux. Les Pneumatic Serenaders de Perpignan sont en train de nous broder un folk aux accents gothiques proche de Moriarty. Les influences sont américaines, mais le son est français. Il y a des chœurs à la Danny Elfman, du banjo et du kazoo. Un très beau duo entre la chanteuse et la batteuse, au washbord sur I ain’t gonna marry. Kent arrive, encore bien attifé, et le groupe lance une espèce de blues en mineur. Y a du bottleneck, on parle d’un mec qui voudrait plonger sa tête dans une rivière de whiskey comme un col vert. Familier, me direz-vous. Sauf que l’intro de la chanteuse tient davantage de la complainte irlandaise que de la musique du Mississippi. Le reste est à l’avenant, mais Kent écoute patiemment, et parvient à trouver sa place là-dedans. 

Je le retrouve un peu après devant une assiette particulièrement éclectique, et il m’explique : « Ils ont commencé à jouer et je me suis dit “oh oh, je crois que j’ai embarqué sur le mauvais bateau !” Mais ce qu’il faut savoir c’est que je joue à l’oreille, je peux tout jouer, je suis un professionnel ! » 

Pneumatic Serenaders © Séverine Gonzalez / cvrin prod
Pneumatic Serenaders © Séverine Gonzalez / cvrin prod
Kent Burnside © Benoit Gautier

Le premier artiste américain de ce samedi est Libby Rae Watson. La petite femme s’assoit sur scène, accompagnée par un Yella P qui semble avoir le don d’ubiquité. La collaboration est encore une fois improvisée : c’est la première fois qu’ils jouent ensemble. Elle ouvre son set par une interprétation de Grinnin in your face de Son House, et en moins d’une minute, la dame a convoqué l’attention de l’ensemble du public. Elle attrape sa guitare à résonnateur National et me fait découvrir une chanson de Rabbit Brown, un musicien de La Nouvelle-Orléans dont c’est un des rares titres enregistrés. Quelle belle trouvaille, la chanson est hyper intelligente, drôle et pleine de défi envers un monde par lequel Rabbit Brown semblait ne pas vouloir se laisser emmerder. 

Miss Libby nous raconte qu’elle a eu la chance de parcourir le Mississippi dans les années 1970 pour rencontrer ses idoles. Parmi elles, Sam Chatmon, qui lui a appris son Whiskey blues. Encore une fois, les paroles sont drôles, la mélodie est entraînante et on se dit que ce répertoire du blues pop du début du XXe siècle est vraiment rempli de perles qui ne demandent qu’à briller au cou d’interprètes contemporains. Libby enchaîne sur une autre chanson de Chatmon : « Mesdames, je pense qu’on peut toutes s’identifier à celle-là. » Dans Last time shakin it in bed with me, la narratrice excédée par la tendance de son compagnon à tout laisser traîner, lui annonce que cette danse nuptiale sera la dernière et qu’elle compte bien valser avec tous les hommes qui lui plairont.

Libby nous offre un très émouvant talking blues qui raconte sa rencontre de Big Joe Willams. Le cofondateur du festival Vincent Delsupexhe danse avec sa fille au pied de la scène, tout le monde passe un bon moment. Après un She shimmy très Hill Country et un The world done made a change emprunté à Cora Fluker et mis à jour pour correspondre aux maux de l’époque, miss Libby aperçoit Vincent qui lui indique qu’il ne lui reste qu’un morceau. « Un morceau ? Mais je suis venue de loin moi ! » Ce sera deux. Libby Rae Watson offre une performance habitée sur Shake shake shake. Le public est conquis. 

Damion Pearson, Libby Rae Watson © Séverine Gonzalez / cvrin prod

Vincent Delsupexhe et Thomas Lécuyer montent sur scène pour effectuer leur importante tâche de messieurs loyaux et introduire un gros morceau de musique : 2 heures de Hill Country blues avec Eric Deaton, Kenny Brown, et surtout Lee Ingram et George Sheldon, qui vont devoir assurer la rythmique pendant tout ce temps, avec déjà au moins trois concerts chacun dans pattes. On peut dire que ces deux-là auront bossé, maintenant solide et souple la colonne dorsale des groupes américains du festival. 

Eric Deaton prend possession de la scène. L’ancien bassiste de Junior Kimbrough installe tout de suite une ambiance à l’aide d’un Green level joué à la side sur un tempo enflammé. Il passe à un blues lent, et on ne peut qu’être impressionné par sa technique à la main droite. Le pouce en appui, la main reposée dans la position d’un bassiste, il caresse toutes les cordes avec les quatre doigts restants et mouline le tout pour produire un son de frottement continu. Le rythme devient un peu dingue et je me mets à danser, un ou deux enfants dans le public singent votre serviteur. Il est vrai que je me trémousse comme un macaque. Smile at trouble calme le jeu. Le morceau titre de son album de 2009 est une complainte qui mélange au Hill Country quelques touches dylanesques. Quelqu’un m’attrape les épaules et me secoue comme une poupée de chiffon. C’est Yella P. On danse en écoutant Deaton : une musique à l’image de l’artiste, à la fois douce et puissante, sereine et ludique. 

George lance une ligne de basse particulièrement funky et la température augmente d’un degré. Il fait pourtant déjà chaud. Le bassiste nous a confié qu’il a passé une bonne partie de la journée à répéter les morceaux pour ce soir. Ça se sent, le groupe est bon. Deaton fait des miracles avec sa guitare : il parvient à en faire un groupe de choristes qui reprend en contre point son chant laidback sur un morceau aux influences blues, funk et southern rock. 

Son My mind is rambling emprunté à son maître Junior Kimbrough est particulièrement réussi. Il joue en picking, c’est soulful à souhait. La tête commence à tourner doucement, même si je vous garantis que je n’ai pris aucun psychotrope. Deaton termine son set par un instru de Funkadelic, Good thougts, bad thoughts. Deaton tricote une dentelle délicate et on s’enroule dedans. À côté de moi, un des cuistots du festival a les yeux comme des soucoupes, il n’arrête pas de dire : « Woah ! Woah ! Woah ! » On ne saurait mieux dire. 

George Sheldon, Eric Deaton © Séverine Gonzalez / cvrin prod

Comme promis, il n’y a pas de changement de plateau et Kenny Brown arrive sur scène pour jouer Nobody but you, un autre Kimbrough. On plonge dans une sorte de mélasse, on se laisse porter par de puissants courants océaniques. Non, je n’ai toujours pas pris de drogue. 

Kenny Brown c’est quelque chose : sa présence scénique est aussi laconique que sa musique est débordante. La personnalité semble effacée et discrète, mais sa guitare raconte une autre histoire : une gouaille baroque, bravache, presque défiante. Miss Maybelle ouvre le bal, c’est un boogie aux accents country avec bien entendu une tranche bien épaisse de slide saignante. Il nous offre un Stop breakin down de Robert Johnson. De cet homme émane cette sorte de chant tranquille de ceux qui connaissent leur voix et n’ont plus rien à prouver. Il y a clairement un twang country dans les accents presque yodelants de ce chant. Brown considère de toute façon que le rock, le blues et la country sont juste des nuances de la même couleur. 

Il enchaîne Rollin and tumblin, lance un Shake em on down enflammé dos au public, et moi je commence à danser un peu trop fort pour vraiment me souvenir de ce qui s’est passé. Il invite Yella P puis Miss Libby « mon amie depuis les années 1970 » pour un Laughing just to keep from cryin‘ que Brown a appris de son voisin Joe Callicott quand il était gamin. Kent Burnside prend la place de Yella P et de Miss Libby pour un Jumper on the line particulièrement enflammé. Puis c’est Robert Finley qui débarque. Personne ne sait ce qui va se passer. Il passe la sangle de l’Epiphone crème sur laquelle jouait Renaud Lesire la veille pour chanter un rocking blues probablement fabriqué et autobiographique : « J’y vois pas grand-chose, mais j’aime vraiment le petit peu que je vois. » Il sort en musique comme une star. Deaton revient sur scène, ils jouent Shake your money maker et Crossroads blues. Je suis visité par un esprit qui me secoue comme un trousseau de clés dans le tambour d’une machine à laver. Il faut que je m’éloigne un peu pour reprendre mon souffle. Backstage, Robert Finley, sa fille Christy, Yella P et la femme de Kenny dansent ensemble sur Talk to me baby. 

Kenny Brown descend de scène et salue le trio belge Well Well Well qui doit prendre la suite avant d’aller se chercher « un peu de gnole ». Il s’assoit entre Renaud Lesire et Gert Servaes. Après avoir lampé quelques gouttes il déclare : « Tu sais, on ne réalise pas toute l’énergie qu’on y met quand on est dedans, c’est seulement quand on s’arrête que ça te tombe dessus. » 

J’avise George, mécanicien de la boogie machine qui a ronronné pendant deux heures : « Alors George, on a travaillé dur ? » « Ouais, je l’ai senti passer. » Le musicien, chasseur, fermier et protecteur bienveillant des alligators issu d’une famille dont la devise est “to suffer is best” n’a pourtant pas l’air de souffrir. Il a l’air heureux. 

Damion Pearson, George Sheldon © Séverine Gonzalez / cvrin prod
Damion Pearson, Libby Rae Watson, George Sheldon, Kenny Brown © Séverine Gonzalez / cvrin prod
Lee Ingram © Séverine Gonzalez / cvrin prod
Eric Deaton, George Sheldon, Kenny Brown © Séverine Gonzalez / cvrin prod
Robert Finley, George Sheldon, Kenny Brown © Séverine Gonzalez / cvrin prod
Renaud Lesire, Kenny Brown, Gert Servaes © Benoit Gautier
George Sheldon © Benoit Gautier

La scène est ensuite prise par Miss Nickki and the Memphis Soul Connexion. Le groupe français joue un instru pour introduire la chanteuse. C’est du sérieux. Tight, comme on dit. Ms. Nickki interprète ses chansons avec tout son corps, mime, danse. Elle trouve dans Florian Royo un compagnon de scène particulièrement vivant. Ce très expressif guitariste français, en plus d’être un excellent musicien, semble jouer sa vie à chaque coup de médiator et offre un spectacle fascinant au spectateur. Il est très surprenant, et vraiment réjouissant d’entendre dans ce festival ce son soul blues qui représente une bonne partie de la réalité du genre dans les États du sud des USA. À côté du groove lancinant des juke joints du Hill Country qui a influencé les rockers blancs du monde entier, on a droit à bonne louche de cette musique sautillante et souvent graveleuse qui réjouit encore le public afro-américain. 

L’héritière de Denise LaSalle nous offre une Soulful dress griffée Sugar Pie DeSanto, elle prend son temps pour interagir avec le public, faisant preuve d’un humour taquin quand elle prend un accent français ou se moque gentiment de ses musiciens. Where the big girls at est bien graisseux comme il faut, le public commence à bien se chauffer et à jouer le jeu. Son I can’t stand the rain, un autre classique memphisien popularisé par Ann Peebles, est l’occasion d’une belle participation du public qui reprend délicatement « rrainnn » pendant toute la fin de la chanson. Le set se termine sur un morceau emprunté à la reine Denise LaSalle, Smoking in bed. C’est particulièrement jouissif. À la sortie, le claviériste Pierre Cherbero me confie que s’il adore avoir découvert le son soul blues avec Ms. Nickki, il encore du mal à se convaincre d’adopter tous les maniérismes du genre : « Ah non, les sons pourris de cuivres au clavier, je peux pas, je peux pas. » Encore un effort, brother, tu n’es pas loin du Royaume. 

Ms Nickki, Florian Royo © David Trotta
Ms Nickki & The Memphis Soul Connexion © David Trotta
Ms Nickki © David Trotta
Ms Nickki © Daniel Elbaz
Julien Dubois, Ms Nickki, Florian Royo © Daniel Elbaz
Well Well Well © Daniel Elbaz
Well Well Well © Daniel Elbaz

Les Belges de Well Well Well semblent être le bon groupe au bon endroit au bon moment. Fabian Bennardo, qu’on a vu grimper au cocotier dans de nombreux projets, fait preuve d’une énergie explosive comme à son habitude. On n’était pas endormis, mais nous voilà encore plus réveillés. Les Américains voulaient voir le spectacle, ils ne sont pas déçus : Libby Rae Watson est à mes côtés et regarde impressionnée ce groupe rendre hommage au blues du Hill Country avec autant d’énergie que de révérence. Kenny Brown et Yella P son aussi de la partie, et montent bientôt sur scène. 

Renaud Lesire reste tranquille quand il voit les représentants de la tradition qu’il aime tant occuper la scène avec lui. Il est cool, ne se laisse pas déstabiliser, mais son sourire en dit long. À côté de moi, les deux compères de Boom Boom Club, le combo qui a assuré les intersets, sont déchaînés : les beaux costards vintage de Guillaume Buro et Roman Bader se froissent dans une partie de lutte greco-romaine-corrida-sumo improvisée. Certains spectateurs bousculés froncent les sourcils, mais on ne peut rien trop dire, ils ont l’air de s’éclater.

L’ami Vincent Delsupexhe abreuve le premier rang du public de bourbon d’assez bonne qualité. Pierre Cherbero de la Memphis Soul Connexion fait partie de la brochette et tend son verre. Vincent le remplit généreusement : « Tu connais beaucoup de festivals qui donnent autant de bourbon à leur public ? » « Euh, en fait je ne connais pas beaucoup de festivals qui donnent du bourbon à leur public tout court. » 

Et sur bien des plans en effet, il n’y a pas beaucoup de festivals comme le Blues Rules de Crissier.

Texte : Benoit Gautier
Photos © Séverine Gonzalez, David Trotta, Daniel Elbaz et Benoit Gautier
Photo d’ouverture : Ms Nickki © David Trotta