26 avril 2022.

Merci et bravo pour cet excellent cru made in France ! Cela fait plus d’un quart de siècle que l’association Backstage emmenée par Jacques Picard propose aux Normands amateurs de blues des “nuits” dédiées à nos musiques préférées, qui plus est, désormais, dans la plus grande salle de Caen. Une performance. De retour après deux années de silence – crise sanitaire oblige –, la soirée n’était évidemment pas tout à fait comme les autres : jauge réduite – 1 000 spectateurs tout de même – mais la bonne idée d’installer des chaises dans la fosse : on n’a plus 20 ans, c’est bien d’être proches (ou non) de la grande scène et de circuler comme bon nous semble tout au long des quatre heures et demie de spectacle. Un parfum de liberté retrouvée, enfin ! 

The Stealers ouvrent le bal avec un blues diablement rock. Emmenés par le guitariste et chanteur Sylvain Laforge, aux anges, guitare en avant, chant ferme et subtil, le groupe qui vient d’enregistrer un premier album teinté de boogie à la John Lee Hooker s’appuie sur la basse de Julien Boisseau et les fûts du (très) local de l’étape, Marc Mitou – son aisance et la décontraction font plaisir à voir et à entendre. The Stealers ne volent la vedette à personne, c’est un power trio sans concession, dont le répertoire évoque avec brio les décennies 1960 et 1970 du rock et du blues, celles qui ont contribué à l’éveil musical de beaucoup d’entre nous. 45 minutes, c’est un format “normal” pour une première partie qui donne envie d’assister à une prestation plus étoffée pour mieux profiter d’un groupe “plaisir” chaleureusement recommandé. 

Le toujours excellent et touchant Arnaud Fradin prend la suite en format quartet : c’est le Roots Combo, en position “ramassée” au centre de la grande scène ; choix judicieux qui donne la pleine mesure d’une complicité de musiciens très pros et très sympas. Une heure de délices. À l’harmonica, Thomas Troussier, le Nantais heureux de son retour d’un soir sur ses terres caennaises, est exceptionnel d’écoute et de répondant. Quand complicité rime avec amitié et générosité : ils ne sont pas tous les deux, mais tous les quatre, ici et maintenant, avec nous et pour nous. Igor Pifonk Pichon à la contrebasse et Richard Housset à la batterie minimaliste brillent par leur délicatesse, soutenant merveilleusement un répertoire blues traditionnel revisité avec brio et sensibilité. Arnaud Fradin a beaucoup de soul dans la voix, notamment dans les aigus. Et quand il se saisit de son dobro, le moment est magique et le public est au diapason, réagissant et rugissant. Le temps, encore une fois avec ces garçons, suspend son vol. Sublimé par une magnifique reprise de Bob Dylan, le répertoire du combo fait mouche. On a hâte d’écouter un nouvel album. 

On n’avait plus qu’à attendre la tête d’affiche et ses invités, pour un grand tapis de guitaristes tissé par un Fred Chapellier des grands soirs. Grand admirateur des regrettés Roy Buchanan et Peter Green, ami et camarade du chanteur Billy Price, Fred présente son très réussi dernier opus en date, “Straight To The Point” (Dixiefrog), et puise parmi ses plus beaux titres, utilisant chacune des guitares sagement posées derrière lui, dont une Flying V parfaitement calibrée pour des réminiscences du grand Albert King. Et quel band ! L’excellent Patrick Baldran (guitare), le classieux Christophe Garreau (basse) et le fourmillant Guillaume Destarac (batterie), auxquels s’ajoute le brillant Jérémie Tepper (guitare).

Deux invités se joignent à la fête et on se lève : Ben Toury (clavier et harmonica) tire fort bien son épingle du jeu et on se souvient de son excellent passage au Evrecy Blues Club (14), à une quinzaine de kilomètres de Caen. Place enfin au grand Mick Ravassat (guitare) pour un rappel des pépites héritées de Peter Green (1946-2020). Magic time, là encore ! Fred Chapellier confirme son rang de guitariste-chanteur au zénith de son art, magnifiant par la technique et le feeling associés un répertoire original et enthousiasmant. Cet homme au grand cœur ne fait pas qu’enflammer les guitaristes de la région, aux yeux ronds comme des soucoupes devant son jeu incroyable ; il déploie l’énergie nécessaire pour subjuguer chacun et donne la banane au pays de la pomme et de la poire. Chapeau, Fred, pour ton son sens du partage : un bonheur, tout en simplicité et en finesse. La marque des grands !

Vivement la 26e édition de la Nuit du blues. Avec des Américains cette fois ? Au printemps ou à l’automne 2023 ? En attendant, rendez-vous le dimanche 6 novembre prochain à 17 heures dans une salle des fêtes d’Évrecy transformée en club : “son et lumières adaptés, places assises : chaises, tables avec chaises, bougies, assiettes apéritives (sous réserve)…”, assure Backstage. “8e édition : programmation à venir.” On se tient au jus… de pommes, avec ou sans pépins. 

Texte : Marc Loison et Julien Crué
Photos © Guy Moraux