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Hommages / 18.09.2020

Le blues de Jimi Hendrix

L’influence des musiques afro-américaines dans leur ensemble – jazz, blues, soul – sur l’œuvre de Jimi Hendrix ne sera une découverte pour personne. Il y a un peu plus de 25 ans, les héritiers en charge de la gestion de sa carrière posthume publiaient une anthologie, simplement intitulée “Blues”, qui soulignait, à partir de reprises et d’originaux largement inédits, la profondeur de la connexion du musicien avec l’idiome. Petit tour d’horizon des liens – bien souvent bilatéraux – avec quelques figures du genre. 

Albert King
Le plus fameux gaucher du blues – avec Otis Rush – ne pouvait pas ne pas influencer le jeu d’Hendrix : tous deux jouent en effet sur des instruments classiques, théoriquement plus adaptés aux droitiers, tenus à l’envers, même si Hendrix, au contraire de King, en inversait les cordes afin que les cordes les plus graves restent en haut. Même si les deux musiciens ne semblent pas avoir croisé le fer – bien que King ait au moins ouvert une fois pour Hendrix, au Fillmore, en 1968 – et si King – qui accuse occasionnellement Hendrix d’avoir photographié ses doigts pour lui piquer des plans – n’est que modérément conquis par la musique de son cadet (« un guitariste sacrément bon » mais « qui jouait trop pour jouer le blues », dans une interview de 1991 pour Guitar World), Hendrix a puisé dans son répertoire en enregistrant en studio une version de Born under a bad sign en 1969 (resté inédit jusqu’en 1994) et surtout en s’inspirant d’un titre de King, Travelin’ to California (sur l’album “The Big Blues” de 1963) pour écrire son propre Red house. Pas rancunier pour le coup, King en fera la chanson titre de son dernier album, paru en 1992…

B.B. King
Si B.B. King a raconté à plusieurs reprises avoir croisé la route d’Hendrix sur le chitlin’ circuit – en particulier quand ce dernier accompagnait Little Richard –, il n’est pas certain que les deux musiciens aient eu l’occasion de jouer effectivement ensemble. Ils sont tous les deux présents un soir d’avril 1968 au Generation Club pour une soirée hommage à Martin Luther King assassiné quelques jours plus tôt à laquelle participent notamment Buddy Guy, Al Kooper, Elvin Bishop et le Paul Butterfield Blues Band, mais les éléments sonores qui existent ne permettent pas de les entendre simultanément. B.B. King mentionne explicitement Hendrix pendant sa prestation, mais il est fort possible qu’il ne fasse que saluer sa présence dans la salle, et non sur scène. Quoi qu’il en soit, le Rock me baby de King faisait régulièrement partie du répertoire scénique d’Hendrix, notamment lors de sa prestation au festival de Monterey. 

Buddy Guy
Buddy Guy aussi était de ce fameux concert au Generation Club, et quelques images survivent de sa prestation, pendant laquelle Hendrix est en train de le regarder avant de le rejoindre sur scène. Bien que Guy soit souvent rattaché aux pionniers du Chicago Blues électrique avec lesquels il a fait son apprentissage, il est plus proche en âge – sept ans d’écart – de Hendrix et des musiciens du “british blues boom” que de ceux-ci, et leur jeu de scène spectaculaire puise aux mêmes sources, celles du “showmanship” venu du chitlin’ circuit. Buddy Guy n’a cessé depuis de rendre hommage à la musique d’Hendrix, sur disque comme sur scène, Voodoo child (Slight return) faisant partie des incontournables de ses concerts au moins depuis le début des années 1990.

Robert Petway
Du Killing floor d’Howlin’ Wolf – le premier morceau du dernier concert donné par Hendrix, douze jours avant son décès – à Rock me baby, en passant par Thaw out d’Albert Collins ou Everything’s gonna be alright de Little Walter, Hendrix a souvent inclus dans son répertoire scénique des classiques du blues. Mais le titre qui revient le plus régulièrement au programme est une composition plus ancienne, Catfish blues. Bien que Hendrix le présente souvent comme un morceau de Muddy Waters (qui s’en est largement inspiré pour son propre Rollin’ stone), c’est en général à Robert Petway, qui l’enregistre en premier, qu’en est attribuée la composition. Figure obscure, proche de Tommy McClennan et probablement originaire du Mississippi, Petway n’a enregistré au cours de sa carrière qu’à deux reprises, en 1941 et 1942, pour le label Bluebird, qui publie le résultat sur sept 78-tours. Hendrix de son côté ne semble pas avoir gravé Catfish blues en studio, même si différentes versions live ont été publiées.

Johnny Jones
Figure majeure de la scène R&B de Nashville dès le début des années 1960, Johnny Jones sert pendant quelques mois de mentor au jeune guitariste ainsi qu’à son acolyte du moment, Billy Cox, qui viennent tous deux de quitter l’armée et se produisent régulièrement dans les clubs de Jefferson Street. Si les routes de Jones et Hendrix ne semblent pas s’être croisées par la suite, Jones saluera en 1968 le souvenir de son ancien protégé en donnant sa propre version de Purple haze pour un single paru en 1968 sous le nom de Johnny Jones And The King Casuals. 

Earl King
Paru en 1968, le double “Electric Ladyland” – dernier album studio paru du vivant d’Hendrix – est largement considéré comme le chef-d’œuvre de l’artiste. Alors que son prédécesseur, “Axis: Bold as Love”, ne comprenait que des titres écrits par les membres de l’Experience, celui-ci voit le retour des reprises, au nombre de deux : un emprunt à Bob Dylan (All along the watchtower) et Come on, une obscurité extraite du répertoire du bluesman néo-orléanais Earl King, qui l’avait gravée pour le label Imperial. Difficile de deviner où Hendrix a été chercher le morceau, passé inaperçu lors de sa sortie initiale : une preuve de plus de sa connaissance approfondie du patrimoine blues ! Le titre est depuis devenu une sorte de standard, repris notamment par Freddie King, Anson Funderburgh et Stevie Ray Vaughan. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo © DR

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