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Live reports / 28.11.2023

Bluescamp 2023 et 141e Blues Station

Villeneuve-sur-Lot et Tournon d’Agenais (47), du 24 au 28 octobre 2023.

Comme tous les ans, l’excitation est grande pour la cinquantaine de stagiaires qui se retrouvent au Lycée L’Oustal de Villeneuve-Sur-Lot où Christian Boncour organise son fameux “Bluescamp”. Cinq jours à vivre la musique, en parler, jouer, rêver, apprendre avec des professeurs hors pairs, et aussi désapprendre pour repartir sur de meilleures bases, profiter des concerts et des jam sessions tous les soirs, du concert final, dormir de moins en moins, partager et rire de plus en plus. C’est une expérience forte, dans une bulle hors du monde et du temps, un privilège rare en ces temps troublés et difficiles pour trop de gens dans le monde. Saluons de suite le travail des bénévoles et des personnels mobilisés du Lycée sans lesquels rien ne pourrait se faire.

Cette année, le collège des professeurs est encore impressionnant : Carlos Elliot & Bobby Gentilo accompagnés des Cornlickers – Dave Groninger, Tony Ryder et Dale Wise –, Big Dave Reniers, Andy J Forest, Lluis Coloma, Paul San Martin, Tonky de la Peña, Michel Foizon, Gladys Amoros, Sylvain Tejerizo, Drew Davies, Abdell B Bop, Hugo Deviers, répartis dans les ateliers chant, guitare, saxophone et affiliés, piano, harmonica, basse, batterie. Après une journée passée en cours, chaque soirée est consacrée à une “masterclass” d’un des artistes invités puis à la jam session où stagiaires et professeurs communient joyeusement en musique.

La première masterclass est donnée par Big Dave Reniers le mardi 24 octobre. Fondateur des Electric Kings, un des meilleurs groupes européens de blues ayant jamais existé, accompagnateur d’Elmore D, et bien d’autres, Big Dave est un personnage truculent, harmoniciste et chanteur d’exception. Il donne la priorité à la musique et se lance de suite dans une reprise à grimper aux rideaux de Bring it on home, seul au chant et à l’harmonica. Amplifié ou non, le son de Dave à l’harmonica est énorme, plein, chaleureux, et regarder ses mains donner des effets est fascinant. Il est rejoint par Hugo Deviers à la batterie pour Pretty thing puis Michel Foizon, Abdell B Bop et Paul San Martin pour Sitting on top of the world façon Howlin Wolf.

Le mercredi, c’est au tour de Lluis Coloma et c’est une nouvelle bulle de grâce qui se forme. Seul au piano, il dédie une première ballade blues à sa femme, enchaîne sur un ragtime de Scott Joplin, un titre en boogie-woogie et stride appris de Bob Seeley, une reprise de Little Brother Montgomery, d’autres de Meade Lux Lewis, Leroy Carr, Allen Toussaint, avant de conclure sur une de ses compositions mêlant samba bluegrass, musique d’Enio Morricone, blues et boogie-woogie ! Là encore, regarder ses mains est captivant.

Andy J Forest prend la suite le jeudi avec l’humour distancié qui le caractérise. Il commence à la guitare et au chant sur Motel blue Orleans puis Breech in the levee qui parle de l’ouragan Katrina et des inondations qui ont submergé La Nouvelle-Orléans dont il n’a pas évacué avec sa famille car « sa voiture ne marchait pas ». Il passe à l’harmonica pour un instrumental fantasque façon Big Walter Horton puis est rejoint par Michel Foizon, Drew Davies, Sylvain Tejerizo, Paul San Martin, Hugo Deviers et Abdell B Bop sur ses compositions Borrowed time et I love you worse. Il accueille ensuite à la guitare dans un clin d’œil fort sympathique les stagiaires Laurent Bougerolle et Alain Millet, qui, au sein du groupe Nantais Colfax, ont depuis toujours à leur répertoire le morceau Never been to Chicago écrit par Andy.

Carlos Elliot, Bobby Gentilo et les Cornlickers, qui, avec Big Dave, ont participé généreusement aux jam sessions des jours précédents, sont les vedettes du vendredi. Carlos et Bobby apparaissent d’abord en duo de guitares et chant, avec les élèves de l’atelier batterie en soutien rythmique sur leurs tambours. Émotion garantie. Suit Slow down, une composition pas encore enregistrée, avant que les Cornlickers montent sur scène. Mention particulière au batteur Dale Wise, ancien compagnon de Big Jack Johnson, spectacle à lui tout seul tant son jeu de batterie et son langage corporel sont singuliers. Au fur et à mesure des morceaux suivants, majoritairement Hill Country blues, un style qui permet de transformer rapidement un morceau en base musicale à partager, les autres musiciens apparaissent aux claviers, saxophones, guitares, c’est de plus en plus festif et tout le monde finit debout à chanter et claquer des mains. Le rappel se fait avec les seuls Cornlickers et Mississippi mockingbird chanté par Dale Wise.

Et arrive le samedi, dernière journée du stage avec le concert de clôture qui constitue le 141e événement “Blues Station”.

Les stagiaires ouvrent la soirée avec courage et conviction. Le répertoire emprunte à Bill Doggett, Roy Brown, Bo Diddley, John Brim, Big Jack Johnson, Otis Rush, Otis Spann, Billy Preston, Flash Terry, Lou Ann Barton, Tabby Thomas, James Brown, Barbara Carr et Bobby Womack, c’est dire s’il faut du talent collectif pour fédérer le tout.

Les professeurs leur succèdent avec d’abord l’entrée progressive de Michel Foizon, Hugo Deviers, Abdell B Bop, Paul San Martin, Drew Davies et Sylvain Tejerizo, pour des titres entraînants de rhythm and blues bien jump. Puis Tonky de la Peña donne une orientation soul blues, avant que Gladys Amoros ne se fasse encore plus blues puis jump. Michel Foizon, Drew Davies et Sylvain Tejerizo exécutent un bel instrumental pour laisser une scène bien chaude à Big Dave. Celui-ci envoie un Early in  the morning en version lente, chant et harmonica à tomber augmentés d’un superbe solo de Michel Foizon. La reprise de Billy boy Arnold qui suit est elle ornée de beaux breaks d’orgue et piano. Andy J Forest conclut cette partie avec Tee ni nee na nu et Louisiana, une composition dédiée à Professor Longhair, dont Paul San Martin évoque joliment le jeu au piano. Le final est en boogie rapide et le « bye bye » d’Andy se déforme en « buy a CD » ! Tout au long de ce défilé musical, ça a été une avalanche de talent musical et vocal et, en tant que stagiaire, on se dit que c’est une chance énorme d’être guidé par tous ces artistes. Nul doute que les spectateurs apprécient aussi à leur façon.

Nous sommes dans le sud-ouest et la musique laisse temporairement la place à la finale de la coupe du monde de rugby projetée sur grand écran.

Après la victoire de l’Afrique du Sud, la scène revient à Carlos Elliot, Bobby Gentilo, et les Cornlickers. Ce sont Bobby et les Cornlickers qui entament avec une reprise de RL Boyce chantée par Dale Wise puis Catfish de Big Jack Johnson chanté par Bobby. Arrive Carlos Elliot qui, comme tout au long de la semaine, ne tarde pas à faire venir d’autres musiciens. On revoit donc Tonky de la Peña, Lluis Coloma, Sylvain Tejerizo, Big Dave, Michel Foizon, Gladys Amoros, Hugo Deviers, Abdell B Bop et le concert devient de plus en plus festif. Une pause collective est marquée pour que Carlos, Bobby et les Cornlickers jouent “calmement” une belle interprétation de Cielo avant que tout le monde revienne, avec en plus Isabelle Bazin, excellente élève de l’atelier guitare et son jeune fils Léo au piano. C’est encore Dale Wise au micro pour Mississippi mockingbird.  Abdell B Bop, directeur musical du stage, est mis à l’honneur avec un solo de contrebasse slappée. Le rappel se fait avec Carlos, Bobby et le groupe pour une nouvelle version de leur composition Slow down.

Une fois ce festin musical et émotionnel fini, il faut atterrir. On passe encore un ou deux jours dans l’euphorie, puis c’est le retour à la vie réelle et l’attente du stage 2024 qui commence.

Texte et photos : Christophe Mourot

Big Dave, Isabelle Bazin, Léo & Lluis Coloma