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Brèves / 06.08.2013

Ray Johnson, 1930-2013

Ce n’est que tardivement que nous avons appris la disparition – survenue le 16 mars  2013 – du pianiste (occasionnellement organiste) et chanteur Ray Johnson, à l’âge de 82 ans. Né le 30 avril 1930, Raymond Johnson faisait partie de l’une des plus fameuses dynasties de musiciens de la Nouvelle-Orléans: il était le frère de la chanteuse Gwen Johnson et du saxophoniste Plas Johnson (la célébrité de la famille), et le cousin du trompettiste Renald Richard, du banjoïste/guitariste Don Vappie et du clarinettiste Michael White. Adolescents, Plas et Ray forment le Johnson Brothers Combo et enregistrent leur premier single pour DeLuxe (Mellow woman blues/Our boogie) dès 1949. Instrumentalement et vocalement, Ray Johnson y apparaît déjà comme fortement marqué par Nat « King » Cole et Charles Brown. À ces deux influences majeures viendra bientôt s’en ajouter une troisième, que Johnson revendiquait également, celle de Ray Charles. De retour de son service militaire en 1953, Ray Johnson enregistre quatre excellents titres – blues sophistiqués à la Charles Brown et jump/boogies – qui figurent dans le double CD Bear Family « Mercury Records – The New Orleans Sessions 1950 & 1953 ». En 1954, il part rejoindre à Los Angeles son frère Plas, lequel est en passe d’y devenir le saxophoniste le plus demandé pour des séances d’enregistrement. Doté d’une solide éducation musicale (diplomé de la Dillard University) et hautement adaptable à tous types de musique, Ray Johnson ne tarde pas à trouver également sa place au sein du petit cercle très fermé des musiciens de studio de L.A.


Ann Young, Charlie Blackwell, Plas Johnson et Ray Johnson, L. A., 1955. © : DR

Jusqu’au début des années 1970, il y participera à de très nombreuses séances (souvent en compagnie de Plas et de ces autres transfuges de New Orleans qu’étaient le guitariste/arrangeur René Hall et le batteur Earl Palmer), pour des artistes allant de groupes « surf » à des chanteurs à succès, « pop » ou « rock & roll », tels que Frank Sinatra, Eddie Cochran, Ricky Nelson ou Bobby Darin (LP « Sings Ray Charles »), mais en contribuant aussi au passage à des œuvres blues ou soul majeures, comme l’album Atlantic « T-Bone Blues » de T-Bone Walker ou le recueil « Night Beat » de Sam Cooke. C’est avec la même aisance que Ray Johnson accompagnait au piano un chanteur de jazz comme Sammy Davis, Jr., un rocker comme Troyce Key, des bluesmen ruraux comme Brownie McGhee & Sonny Terry (leurs séances Bluesway de 1969), ou qu’il avait donné vocalement la réplique à Aretha Franklin lorsque celle-ci avait chanté Mockingbird dans le cadre de l’émission TV Shindig en 1965 (visible sur YouTube à cette adresse). Dans un contexte jazz/R&B instrumental, on peut savourer le jeu de piano inventif et toujours éminemment swingant de Ray Johnson sur les trois LP Tampa heureusement réunis sur le CD « The Best Of Plas Johnson » (Wolf). Très liés avec Johnny Otis depuis leur arrivée à Los Angeles, les frères Johnson avaient notamment participé à son LP « Into The Eighties », ainsi qu’au premier album de son fils Shuggie, « Here Comes Shuggie Otis ».

En marge de son travail en studio, Ray Johnson aura mené une carrière discographique personnelle très erratique, qui se résume essentiellement à un unique LP, orienté jazz vocal et instrumental (« The Birth Of A Scene », sur sa propre marque Goad), et à une grosse trentaine de 45-tours pour une myriade de labels (Flip, Aladdin, Liberty, Imperial, Acclaim, Infinity, Loma, In Arts…). La seule constante de tous ces disques sera leur insuccès, en dépit (ou à cause) du large spectre des genres abordés. Si les ballades sentimentales (The prayer of a fool, Deep are the roots…) et la variété exotique (Blue Congo, Calypso Joe, Castanet senorita…) y faisaient écho aux pires dérives de Nat « King » Cole, il y a aussi beaucoup de perles dans ses disques, devenus pour la plupart très rares (et certains très chers). Car Ray Johnson excellait aussi bien dans le blues West Coast (The deep end, Been alone so long, Lost in the night, Black night…), le R&B effervescent (Shake a little bit, Miss Marty, Some funky blues, Find your mind…) que dans les instrumentaux au piano ou/et à l’orgue. Dans ce dernier registre, il affectionnait les pièces dansantes « festives »  aux titres souvent évocateurs (Sherry’s party, Kinda groovy, Soul city, Funky way…). Leur seul défaut en était la brièveté, d’autant plus regrettable que, sur son LP, non limité par la durée d’une face de 45-tours, Ray Johnson avait su donner toute la mesure de son talent d’improvisateur (Bag’s groove, The funk story, The cellar waltz…).

Après ses années de studio, Ray Johnson s’était reconverti dans le circuit « piano bar ». À la fin des années 1990, il avait compilé quatre CD qu’il devait sans doute vendre lors de ses prestations publiques. L’un d’eux était une reprise partielle de son LP « The Birth Of A Scene », les autres étant constitués d’enregistrements nouveaux de qualité plus ou moins artisanale : « Sings Nat Cole And More », « Country » et « Bluz », ce dernier étant, semble-t-il, le seul qui ait connu une forme de distribution. Il est d’ailleurs toujours disponible en téléchargement MP3 sur le site CD Baby. Ray Johnson était l’un de ces obscurs servants de la Great Black Music sur lesquels les projecteurs ne se seront jamais réellement fixés, mais dont la contribution, souvent anonyme, l’aura néanmoins très significativement enrichie.
Joël Dufour