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Live reports / 24.08.2017

PORRETTA SOUL FESTIVAL (Part. 2)

Vendredi soir, suite et fin : It's too late to stop now.

Etait-il bien raisonnable de programmer Toni Lynn Washington (80 ans en décembre prochain) à plus d'une heure du matin (le vendredi soir) ? Par miracle, la chanteuse-entertainer ne fait pas du tout son âge et elle bénéficie du soutien ô combien enthousiaste de l'inépuisable Sax Gordon (et de son jeune fils, saxophoniste ténor, présent au pupitre à ses côtés). Miss Washington et Mr. Sax vivent et travaillent dans la même ville, Boston, Massachusetts, et ils ont publié un disque ensemble, le bien-nommé “I Wanna Dance” (Regina Royal Records, 2015). Put on your dancing shoes (de magnifiques chaussures de sport jaunes assorties au reste de la tenue, très chic, de madame), et c'est parti, sur un rythme tantôt pépère, tantôt funky.

 


Toni Lynn Washington

 


Martino Beadle, Sax Gordon Beadle, Charles McNeal

 


Paul Olguin

 

Honneur aux grandes heures de Stax (Everyday will be like a holiday de William Bell), quatre morceaux seulement, mais fort bien orchestrés et, au final, le retour sur scène de tous les artistes du soir… plus un : Wee Willie Walker, en jeans, n'est programmé que le lendemain, mais il prend déjà le micro qu'on lui tend pour participer à un bœuf vocal aux petits oignons. On a hâte d'être à demain.

 


Willie Walker, Willie Hightower

 


Maureen Smith, Willie Walker

 


Mauree Smith, Loralee Christenson, Toni Lynn Washington, Anthony Paule

 


Falisa Janaye et 
Toni Lynn Washington

 


D'Mar

 

Samedi 22 juillet.

La soirée commence par un lapsus de Rick Hutton, notre MC préféré : « Mr. Davell Thomas ! », annonce-t-il. Oups. Avant de se reprendre : « Davell Crawford, ladies and gentlemen ! » Une pensée furtive, en quelque sorte, pour le regretté Marvell Thomas (1941-2017), dans cet amphithéâtre qui porte le nom de son père, Rufus, et qui ne va pas tarder à accueillir ses deux sœurs, Carla et Vaneese. En attendant de prendre la direction de Memphis, nous sommes à Porretta, Louisiana. La Nouvelle-Orléans s'invite dans les Apennins pour une heure grâce, donc, à un Davell Crawford qui entame son set voix-piano solo par le tube Iko Iko, que l’on doit à… “Sugar Boy” Crawford, son grand-père. Iko Iko (ou plutôt Jock-A-Mo dans sa version initiale), c’est 1953. Davell n'était pas né, loin de là. Davell a la petite quarantaine, mais il est sur scène depuis une trentaine (trente ans, l'âge du Porretta Soul Festival). Comment va l'ancien petit génie des claviers, le Prince du piano de la Cité du Croissant désormais new-yorkais ? Je ne le connaissais que de nom, mais j'identifie assez facilement les morceaux qu'il a choisis pour ce soir. Choisis ? Comme avec Lucky Peterson, autre surdoué, je me dis que Davell joue ce qui lui passe par la tête à l'instant présent. Bonne ou mauvaise idée ? Approche déstabilisante en tout cas, frustrante parfois (un Don't play that song – Ben E. King, puis Aretha – bien court). Un appel inopiné au soutien du guitariste Vasti Jackson pour un long Georgia on my mind, deux emprunts à Billy Preston (Will it go round in circles et You are so beautiful), pas la moindre note d'orgue Hammond – pourtant à portée de main (cf. demain dimanche) – et pas non plus de rappel. Conquis ? Moi, pas ce soir, mais demain si.

 


Davell Crawford

 

Répétons et partageons tout le bien qu'Alain Jacquet et Jacques Périn pensent du Anthony Paule Soul Orchestra (même si l'absence, cette année, de la saxophoniste ténor Nancy Wright s'est à mon sens beaucoup faite entendre). Instrumental de Pee Wee Crayton, belle version du Stay with me de Lorraine Ellison par Loralee Christensen, et quelques autres classiques encore. Magnifique entrée en matière.

J'attendais beaucoup de l'hommage à Johnnie Taylor par Vasti Jackson. Ancien guitariste chez Malaco, le label de JT des années 80 à sa mort (tiens, JT, né en 1937, aurait eu 80 ans cette année aussi), Vasti était a priori un choix pertinent. Sauf que ce n'est pas simple (pour un guitariste) de rendre hommage à un chanteur du niveau de Sam Cooke (mais bien moins connu que lui en Europe) et, qui plus est – ce qui se justifie pleinement dans le Rufus Thomas Park – en reprenant avant tout ses succès sur Stax… Résultat : un medley mené tambours battants de sublimes cheating songs : Who's making love, Jody's got your girl and gone, Stop doggin' me, Cheaper to keep her. Mais, privé de sa guitare (n'est pas un brillant stand up singer qui veut), Vasti n'arrête pas de gesticuler sur scène et il n'en tient plus : « Graziano, je dois reprendre ma guitare ! », s'exclame-t-il. Excellente initiative ! Voici Last two dollars, époque Malaco cette fois (1996), immense tube du chitlin' circuit. Nous y voilà. Mais que ce fût court.

 


Vasti Jackson

 

 

 


Sax Gordon, Charles McNeal, Tom Poole, Derek James

 

Vous le savez bien, il s'écrit de superbes chansons de musique soul classique en 2017. Après s'être rencontrés, peut-être bien, à Porretta Terme, Wee Willie Walker, Anthony Paule et Christine Vitale (l'auteure des textes) nous réservent en live la primeur d'extraits de leur premier album commun, “After A While” (chronique dans notre numéro 228). No comment. Ces moments justifient à eux seuls, selon moi, le déplacement dans la Cité européenne de la soul. I don't want to take a chance, vieille face de George Jackson, m'enlève les mots de la bouche. Heureusement, dès qu'il raconte un truc entre les morceaux, Wee Willie ne se dépare pas de son petit rire communicatif et on ne pleure pas trop. Pas question de passer du temps à la buvette. D'autant que Wee Willie n'oublie pas son répertoire récent (Is that it?). Brillant de bout en bout. Et une mention spéciale à une première apparition, en duo avec Wee Willie, de la formidable Terrie Odabi. Demain, nous l'entendrons dans toute sa splendeur.

 


Willie Walker

 


Anthony Paule

 


Terrie Odabi

 


Willie Walker, Terrie Odabi

 


Willie Walker, Terrie Odabi

 

Heikki Suosalo, lui, sourit peu. Ce Finlandais figure pourtant parmi les hérauts des musiques soul : il travaille à leur promotion depuis (presqu') aussi longtemps que Soul Bag (1968). En coulisses, pour Soul Express (www.soulexpress.net), il réalise des interviews dignes du Docteur House et, une fois n'est pas coutume, le voici sur le devant la scène. Après Pierre Daguerre dès 1997, puis Peter Guralnick et Tony Rounce (Ace Records) entre autres, Heikki se voit récompenser d'un Porretta Award amplement mérité. Et ce camarade ne se repose pas sur ses lauriers : dans les mois à venir, son site internet vous apprendra mille choses sur les artistes de Porretta 2017. Notamment sur le nouvel album que Willie Hightower est en train d'enregistrer en compagnie de Quinton Claunch (cofondateur de Goldwax Records) dans des studios de Muscle Shoals, ceux de Wishbone.

Que d'anniversaires, écrit Jacques Périn. Ne bouclons pas les boucles, mais voici sur scène l'un des nombreux fils de celui par qui la soul est arrivée à Porretta Terme : Selassie Burke, fils de Solomon. Ici, un pont, le pont entre la gare et le centre-ville, porte désormais le nom de son père et, avant de couper le ruban le lendemain, Selassie chante, plutôt bien : Try a little tenderness et Everybody needs somebody to love (ce qui n'est pas faux). La version des Blues Brothers est passée par là et c'est la leur qui est préférée à l'originale (avec l'harmoniciste pas drôle en prime). Dommage ; mais on ne va pas leur jeter la pierre : qui serions-nous pour le faire ? Vaneese Thomas reconnaît elle-même que l'on doit aux Blues Brothers originaux une bonne partie du revival soul actuel.

 


Selassie Burke

 


Selassie Burke, Rob Paparozzi

 

Vaneese Thomas est un bonheur. J'avais zappé qu'elle avait sa propre carrière, débutée dans les années quatre-vingts, donc bien après l'épopée Stax et l'histoire écrite par son père, sa sœur et son frère. À sa manière, pourtant, elle cultive l'héritage de Memphis : quand elle chante Sat'day Night On The River, c'est du Mississippi qu'elle parle ; quand elle extrait des morceaux de l'un de ses albums récents, c'est dans son “Blues For My Father” qu'elle pioche (et notamment The old man down the road de John Fogerty). On pense à Etta James, à Koko Taylor (Wang dang doodle, qu'elle reprend). Méchamment royal.

 


Vaneese Thomas

 


Anthony Paule, Vaneese Thomas

 

La montée sur scène de Carla Thomas est à la fois tendre et délicieuse. Malgré les années et la perte d'une partie de sa dentition, l'ancienne reine de la soul de Memphis chante et balance encore rudement bien. Après son incontournable B-A-B-Y, place à un magnifique et fort bluesy Little red rooster version Sam Cooke. Top ! Puis, bien sûr, les deux sœurs se retrouvent pour célébrer la musique de leur père, à la manière de Rufus : tout sourire ! The Memphis train, dans le Rufus Thomas Park, ça a du chien ! Oui, oui, on a droit aussi à un Walking the dog tout en funk, en swing et en rigolades. Mesdames, vous revenez ici, chez vous, quand vous voulez. Mais pour un peu plus longtemps cette fois si possible.

 


Vaneese Thomas, Carla Thomas

 

Un Américain avec un accent aigu dans son nom de famille ? Ricky Fanté est un mystère pour la plupart d'entre nous. C'est l'une des surprises du chef Graziano. Fanté n'a pas quarante ans, il entretient bien son corps d'athlète vu au cinéma et à la télé. Aussi large et musclé qu'Aaron Neville, il s'exprime lui aussi à l'ancienne, mais dans un registre bien moins aérien, entre, disons, Otis Redding, Wilson Pickett et Willie Hightower. It ain't easy : c'est, nous dit-on, le titre de son succès (2004), passé hors des radars de Soul Bag. It' ain't easy, pas facile, en effet, de se faire un avis sur l'originalité de ce garçon qui, depuis, n'a rien publié et avec qui nous n'avons pas pris le temps d'échanger.

 


Ricky Fanté

 


Carla Thomas, 
Ricky Fanté

 


Carla Thomas, Ricky Fanté

 

En revanche, quelle émotion d'entendre Carla Thomas le comparer à Otis Redding (d'un point de vue physique au moins) au moment d'entamer avec lui une belle version de Tramp ! À ma connaissance, ce genre de rencontre ne se produit qu'au Porretta Soul Festival.

Julien Crué
Photos © Brigitte Charvolin